Le mythe du modèle allemand

mercredi 17 janvier 2018.
 

Entretien avec Hadrien Clouet, doctorant en sociologie (CSO / CNRS Sciences po) travaillant sur le sous-emploi en France et en Allemagne.

En matière de marché du travail, « le modèle allemand » est souvent mis en avant : de quoi s’agit-il ?

On parle essentiellement des mesures prises au début des années 2000, lors du second mandat de Gerhard Schröder et sa coalition socio-démocrates/verts. Il s’agit de la libéralisation du marché de l’emploi, du recul de l’âge de départ à la retraite, de la baisse des salaires qu’elle a entrainée et surtout de la mise en place de nouveaux types de contrats de travail basés sur l’idée de renforcer le contrôle sur les chômeurs et de baisser ainsi le taux de chômage.

Ce sont les lois dites Hartz, du nom du président de la commission qui les a inspirées, alors DRH de Volkswagen. Elles ont rapidement transformé le marché du travail allemand créant le premier réservoir de main d’œuvre sous payée d’Europe, il y a douze ans. Les 4 lois Hartz ont mis en place un recours plus facile à l’interim et aux licenciements, la création de sociétés unipersonnelles qui correspondent au statut d’auto-entrepreneur et enfin les « minijob » et « job à 1 € ».

Que recouvrent ces deux types d’emplois et ont-ils permis de faire baisser le chômage ?

Les minijobs, payés 450 € par mois sont au départ censés être proposés comme complément de salaire pour les personnes n’ayant pas d’emploi à temps plein. Très vite, ils deviennent pour beaucoup de travailleurs leur unique source de revenu. Mais ils sont complètement exemptés de cotisations salariales, c’est-à-dire qu’ils n’ouvrent aucun droit à la retraite ou à la protection sociale.

C’est le cas également de ce qu’on appelle les jobs à 1 €. Ce montant ne correspond pas à un salaire mais à une indemnisation. En fait, l’indemnisation chômage a été réduite de 24 mois à 12 mois maximum avec les lois Hartz avec obligation pour les chômeurs à la fin de ces 12 mois, d’accepter l’emploi qu’on leur propose pour bénéficier d’une aide forfaitaire (l’équivalent du RSA en France), y compris s’il s’agit d’un emploi d’intérêt collectif uniquement indemnisé 1 € de l’heure.

Ces types d’emplois ont contribué à faire baisser les salaires comme s’en est vanté Gerhard Schröder au forum économique de Davos en 2005 : "[L’Allemagne] a créé l’un des meilleurs secteurs à bas salaire en Europe ». Mais c’est également une bombe à retardement. Quand tous ces « salariés minijobs » arriveront à l’âge de la retraite, ils n’auront cumulé aucun droit ou très peu. Si l’on ajoute à cela la spécificité allemande du temps partiel des femmes (quasiment 50 % des femmes), la situation sera encore pire. L’Allemagne sera ainsi confrontée à une masse très importante de seniors – notamment des femmes - très pauvres.

Après, si on ne regarde que la courbe du chômage, elle a en effet baissé puisque le taux de chômage en Allemagne est aujourd’hui de 5 % environ. Mais à quel prix, puisque le nombre de travailleurs pauvres à quant à lui explosé dans le même temps.

Ce « modèle » est-il vraiment transposable ?

Le « modèle allemand » correspond plutôt au succès macroéconomique avec un niveau d’exportations record, plutôt qu’au seul marché de l’emploi. On a en France une vision assez étriquée du sujet.

D’autant que les deux structures productives sont très différentes : la France est moins industrialisée mais elle investit davantage dans les infrastructures collectives (transports…) qui sont en mauvais état en Allemagne. La France a un déficit commercial (elle importe davantage qu’elle n’exporte), à l’inverse de l’Allemagne, mais elle a un marché intérieur plus important. Enfin, contrairement à ce qui est répété dans les médias, on travaille davantage en France qu’en Allemagne et notamment les femmes.

La transposition d’un modèle à l’autre n’a pas beaucoup de sens pour toutes ses raisons mais aussi pour une raison démographique. En effet, une partie conséquente de la baisse du chômage en Allemagne est liée à la baisse de la démographie : quelle que soit la conjoncture économique, il y a davantage de personnes à sortir du marché du travail qu’à y entrer, ce qui fait mécaniquement baisser le chômage. Ça n’est évidemment pas le cas en France, où la démographie est plus dynamique. Est-ce que les entreprises allemandes se portent mieux depuis les réformes du marché du travail ?

La baisse du chômage et la limitation de son indemnisation ont entrainé un excédent pour l’assurance chômage. Les cotisations patronales ont donc été diminuées. Il y a clairement eu une redistribution du travail vers le capital à ce titre.

Mais plus généralement, c’est difficile de répondre à la question. En fait, ça dépend de quelles entreprises on parle. La lecture que l’on a en France du système allemand à savoir : « ils réussissent à avoir des entreprises qui exportent et sont performantes parce qu’ils ont baissé le coût du travail » est complètement fausse. En réalité, en Allemagne, c’est surtout le secteur des services et notamment des services à la personne qui a été touché par les réformes du marché du travail : les salaires ont été gelé entre 2003 et 2009.

Ce n’est pourtant pas le secteur confronté à la concurrence internationale. A l’inverse, dans les secteurs exportateurs, les salariés allemands sont mieux payés que les français, alors même que l’activité est soumise à la concurrence. C’est bien la preuve qu’il n’y a pas de rapport entre performance d’exportation, bonne santé des entreprises dans un marché mondialisé et niveau de salaire.

Ce que l’on devrait plutôt retenir du modèle allemand, c’est ce qui a permis le maintien des salaires dans les grosses industries, tout comme la limitation des licenciements après la crise de 2009 qui a pourtant frappé l’Allemagne plus durement : ce qu’on appelle la co-détermination. Il s’agit du droit de véto des syndicats sur un certain nombre de décisions des entreprises, et notamment la gestion du personnel et les licenciements. A ce titre, les salariés allemands qui travaillent dans des entreprises où un syndicat est présent ont plus de droits qu’en France. Les ordonnances sur le code du travail en France ne mettent pas du tout en application le modèle allemand concernant la place et le rôle des syndicats au sein des entreprises !

Quel enseignement tirer de cette décennie allemande ?

La conséquence la plus profonde des réformes du marché du travail en Allemagne se voit dans l’entrée massive au Parlement du parti d’extrême-droite AFD. Son électorat est constitué en grande partie de chômeurs et de travailleurs pauvres, désabusés par le démantèlement du système de sécurité sociale qui leur donne le sentiment d’être abandonnés. En plus de la baisse des taux de participation aux élections très conséquente ces dernières années, la tentation de l’extrême droite est l’effet le plus néfaste à long terme pour la société allemande des réformes du marché du travail.

Propos recueillis par Claire Mazin


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