Un big bang annoncé dans la fonction publique

lundi 5 février 2018.
 

Réforme. «  Atteinte frontale  », «  stupéfaction  », «  dynamitage de la fonction publique  »  : les syndicats réagissent vivement aux annonces surprises du gouvernement, qui propose un plan de départs volontaires pour les fonctionnaires et l’usage accru de contractuels.

« Un plan de départs volontaires  » dans la fonction publique  : la formule est explosive, et la déflagration provient alors même que le grand chantier de réflexion pour la transformation de l’action publique commence à peine. Jeudi, au sortir du premier comité interministériel qui devait enclencher une réflexion dans les ministères jusqu’en avril sur des réformes structurelles, le ministre de l’Action et des Comptes publics a lâché la bombe tout en tentant d’atténuer son effet  : «  Il ne s’agit pas de faire un plan de départs volontaires pour tout le monde, bien évidemment. Il s’agit d’adapter nos services publics et de le faire avec et pour les agents publics  », a assuré M. Darmanin. Pour autant, Édouard Philippe a ajouté vouloir étendre «  largement  » le recours aux contractuels, et développer davantage la rémunération au «  mérite  » des fonctionnaires. Une provocation, une semaine après la lettre de 8 des 9 organisations syndicales de fonctionnaires réclamant l’ouverture d’une concertation en vue d’un nouveau plan de titularisation des agents contractuels.

«  C’est hallucinant, a réagi Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’union fédérale des syndicats de l’État CGT. Ces annonces sont une atteinte frontale à la fonction publique. Rappelons le contexte  : le 10 octobre 2017, l’ensemble des organisations syndicales de la fonction publique avaient appelé à la grève  ; dernièrement, il y a eu des luttes sectorielles importantes, avec la mobilisation historique de l’administration pénitentiaire, le mouvement dans les Ehpad, etc. Et maintenant, nous apprenons par voie de presse, à la sortie de ce comité, un “plan de départs volontaires”, une rémunération qui sera plus individualisée et un recours aux contrats largement étendu pour les métiers qui ne relèvent pas “d’une spécificité propre aux services publics”.  » «  C’est la stupéfaction, confirme Philippe Soubirous (FO), on apprend par voie de presse un certain nombre d’orientations du gouvernement alors que cela n’était pas à l’agenda social. Ils veulent dégrader les services publics et transférer les missions au privé. Or, c’est au Parlement qu’un débat doit avoir lieu pour savoir si nos écoles, nos hôpitaux, nos services doivent être publics ou privés.  » Pour l’Union syndicale Solidaires, il s’agit d’un «  dynamitage de la fonction publique  », car «  la gestion des personnels sera traitée sans attendre les annonces structurantes, qui seront dépendantes du rapport du comité d’experts et des réflexions menées actuellement au sein des ministères pour déterminer quelles missions ils gardent et quelles missions ils jettent  ». Le gouvernement a également annoncé vouloir «  un dialogue social plus fluide et recentré sur les enjeux les plus importants, sur le modèle de ce qui a été fait dans le cadre des ordonnances “Travail”  ». Un «  modèle  » de dialogue social que n’avaient pas vraiment apprécié les syndicats, descendus pour la plupart le manifester dans la rue. Une nouvelle décision unilatérale qui passe d’autant plus mal que les élections professionnelles auront lieu en décembre de cette année.

Depuis le lancement, en octobre, de son programme «  Action publique 2022  », le gouvernement a prétendu organiser commissions, forums régionaux et chantiers transverses pour «  moderniser  » en discutant et concertant. Mais la méthode ne convainc pas. Ni les formules avancées par le ministre Darmanin, assurant en octobre vouloir simplement «  améliorer la qualité de service  » et «  offrir un environnement de travail modernisé aux agents  ». Car, une note interne a révélé un objectif bien plus pragmatique. Le 27 septembre 2017, le premier ministre s’adressait aux secrétaires généraux de ministères avec des objectifs clairs et chiffrés  : «  Pour l’État et des opérateurs, 10 milliards d’euros d’économies à documenter pour 2020-2022, en supplément des mesures qui seront mises en place d’ici à 2019, et plus de 37 000 ETP (équivalents temps plein – NDLR) à supprimer sur la même période pour atteindre l’objectif de - 50 000 ETP sur 2018-2022.  » Pour les administrations de sécurité sociale, les économies doivent atteindre «  10 milliards d’euros, à trouver sur-le-champ hors objectif national de dépenses d’assurance-maladie  »  ; pour les collectivités territoriales «  16 milliards d’euros, dont 3 milliards d’euros pour la société du Grand Paris et une réduction de - 70 000 ETP sur la période  ».

Édouard Philippe a nommé 34 «  experts  » au profil homogène

Très vite, tous les syndicats de la fonction publique et des associations comme la Convergence des services publics, portant la parole d’élus, d’associations et d’usagers, ont dénoncé cette réforme construite comme une machine de guerre contre la fonction publique et le service public. Et ce n’est pas la nomination du Comité d’action publique, ou CAP 22, qui les a rassurés. Plutôt que de faire appel aux professionnels du secteur, aux syndicats représentatifs, aux responsables de l’aménagement du territoire, aux associations d’usagers, aux spécialistes de l’environnement ou des transports, Édouard Philippe a nommé des «  experts  » au profil homogène  : 17 des 34  membres ont usé les bancs de l’École nationale d’administration. On y dénombre moult hauts fonctionnaires passés au privé, des créateurs d’entreprises numériques, des dirigeants de fonds d’investissement qui pourraient être intéressés par la privatisation de marchés publics, des anciens de la commission Attali. Celle-ci, en son temps, proposait déjà d’abandonner des missions pour les donner au privé, de diminuer la dépense publique, de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires… Autant de points que l’on retrouve dans la feuille de route actuelle de l’action publique 2022. Même Philippe Laurent, maire (UDI) de Sceaux et membre du CAP 22, remarque que «  beaucoup de membres de CAP 22 sont de formation économique ou issus du monde financier, ce qui replace chaque discussion sous l’angle financier  ». Et, comme le relèvent 7 associations de cadres territoriaux, aucun fonctionnaire territorial n’y siège. Quant à la plateforme numérique lancée en parallèle pour sonder agents et usagers, seules 3 200 contributions y ont été recensées  ! Peu de personnes croient encore à ce simulacre d’échanges… Devant cette «  tarte à la crème de la concertation  », dénoncée par Jean-Marc Canon, l’intersyndicale des fonctionnaires, prévue le 6 février, est plus que jamais d’actualité. Et la volonté de la confédération d’organiser à la mi-mars une grande journée d’action devrait toucher plus d’une organisation.

Kareen Janselme Journaliste, rubrique social, L’Humanité


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