Les femmes dans la révolution russe (de J.J Marie)

samedi 17 février 2018.
 

J.J Marie réussit, en faisant appel à des archives très riches, à retracer le cheminement, étroitement mêlé, de la révolution et de la libération des femmes de la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’à la fin des années 1920, principalement.

Un livre à lire absolument : Jean-Jacques Marie, Les femmes dans la révolution russe, Seuil, 2017, 384 pages, 21 euros. .

Avant même de nous faire vivre les soubresauts de cette histoire, il nous fait sentir le poids de l’oppression tsariste notamment pour la population des campagnes et pour les paysannes en particulier.

J.J. Marie retrace avec beaucoup d’empathie l’engagement de ces jeunes femmes cultivées et issues de l’aristocratie dans le mouvement populiste au XIXe siècle. Plusieurs d’entre elles se radicalisent et participent directement aux attentats individuels contre les dignitaires du régime. Elles n’échapperont pas à la répression violente, condamnées à la prison ou la déportation. Dans ce chapitre et les suivants, l’auteur redonne un visage aux nombreuses femmes révolutionnaires qui, au fil des décennies, ont combattu courageusement et contesté le sort traditionnel qui leur était promis.

Un rôle déterminant, voire d’avant-garde

Progressivement, avec le début de l’industrialisation et l’impasse de la stratégie fondée sur la violence terroriste, la grève et les manifestations durement réprimées prennent le relai. Les femmes y sont non seulement très présentes mais y jouent souvent un rôle « déterminant », voire même d’avant-garde, comme le 23 février (8 mars) 1917.

Le récit de cette journée est le seul vrai moment réjouissant de cet ouvrage. J. J. Marie nous raconte avec beaucoup d’humour comment des responsables socialistes sont débordés par des « bonnes femmes » qui sont censées ne rien comprendre à la révolution. Il cite ainsi les souvenirs d’un militant bolchevik très en colère face à la détermination des ouvrières grévistes du textile du quartier de Vyborg à St Petersbourg qui décident de manifester « contre la vie chère et le manque de pain » et viennent chercher le soutien des ouvriers métallurgistes de l’usine Ericsson, malgré les consignes du parti soucieux d’éviter la répression. Un militant menshevik, de son côté, qui travaille alors au ministère de l’Agriculture, rapporte lui aussi son scepticisme quand Il entend la conversation de deux dactylos. L’une de ces « demoiselles petites bourgeoises » déclare sans se tromper : « Vous savez, à mon avis, c’est le commencement de la révolution ».

Des décrets révolutionnaires

Après la chute du tsar et l’installation du gouvernement bolchevik, on assiste à une « avalanche » de décrets révolutionnaires pour reprendre l’expression de l’auteur. Parmi tous ces décrets, certains concernent tout particulièrement la vie quotidienne des femmes et … des hommes comme ceux qui instaurent l’état civil, le mariage civil, le droit de divorcer ou qui dépénalise l’homosexualité. Alexandra Kollontaï nommée commissaire à la Protection sociale décrète dès le 29 octobre 1917 une nouvelle réglementation du travail pour les femmes et les jeunes de moins de 16 ans. Le 20 juin 1918 un décret révolutionnaire instaure deux semaines de congés payés. Par ailleurs, le nouveau gouvernement « affirme sa volonté de créer un réseau de crèches et de jardins d’enfants », sous « la pression » d’A. Kollontaï, d’Inessa Armand et de bien d’autres militantes.

Dès le 28 décembre 1917, le commissariat à l’Assistance sociale crée également une section de la protection de la maternité et de la petite enfance avec des ramifications dans toute la société. Enfin, en 1920, un décret dépénalise l’avortement mais ceci, non pas au nom du droit des femmes à contrôler leur fécondité, mais en raison des conditions économiques catastrophiques qui règnent dans le pays, comme le rappelle Alix Holt [1].

Guerre civile

Dès 1918, la Guerre civile contraint les militants les plus dévoués et en particulier les hommes, à partir sur les différents fronts et obligent les femmes à les remplacer en partie dans la production, dans le parti, les soviets ou les syndicats. Tout ceci pouvait bousculer les rapports sociaux entre femmes et hommes mais, ce que nous montre J. J. Marie, c’est avant tout le décalage énorme qui s’instaure entre les décrets et leur mise en application.

La guerre civile s’accompagne de la désorganisation économique, de la misère, de la famine et de millions d’enfants errants. Dans ces conditions, les institutions qui étaient censées libérer les femmes de la servitude domestique, les crèches, les cantines communautaires, les foyers pour les enfants abandonnés ou orphelins, n’ont plus d’autre fonction que d’assurer le rationnement alimentaire, dans des lieux crasseux et délabrés. Par ailleurs une grande partie de la population masculine, y compris dans les rangs des militants bolcheviks, notamment dans les campagnes, va s’opposer de manière plus ou moins violente à l’engagement des femmes dans la vie politique et sociale.

C’est là où le Jenotdiel (les sections destinées à l’agitation et à la propagande parmi les femmes qui compte 3 millions de militantes à la fin des années 1920 selon H. Holt), aurait pu avoir tout son rôle. J. J. Marie nous en décrit surtout la fin en 1930, dans le contexte de la liquidation des oppositions à Staline. On sort de la lecture de ce livre, groggy. Mais c’est un des intérêts de ce livre de nous dessiller les yeux [2].

Josette Trat

Notes

[1] Alix Holt :« Les bolcheviks et l’oppression des femmes », in Femmes et mouvement ouvrier, Annik Mahaim, Alix Holt Jacqueline Heinen, La Brèche 1979.

[2] En complément, on peut lire une sélection de textes d’Alexandra Kollontaï, choisis et présentés par Patricia Latour : La révolution,le féminisme, l’amour et la liberté, Le Temps des cerises, 2017.


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