L’Amérique latine aujourd’hui : la fin d’un âge d’or

jeudi 15 février 2018.
 

Après leur participation au colloque international « Gouvernements progressistes et post-néolibéralisme en Amérique latine : la fin d’un âge d’or ? »–tenu à l’Université Grenoble Alpes (France) en juin 2017 et coordonné par nos soins [« solidaritéS »]– il nous a paru intéressant de revenir sur la situation latino-américaine et internationale avec les sociologues Edgardo Lander (Venezuela) et Miriam Lang (Equateur).

Edgardo Lander et Miriam Lang posent un regard critique et souvent à contre-courant sur le panorama actuel en Amérique latine. Durant ces dernières années, il et elle ont participé activement aux débats sur le premier bilan des gouvernements progressistes de la période 1998–2015 : Miriam pour la Fondation Rosa Luxemburg à Quito [1] et Edgardo pour le Transnational Institute [2]. Il et elle se ont écrit sur des thématiques comme la problématique du développement et de l’Etat, le néocolonialisme et l’extractivisme, les gauches et les mouvements sociaux. Il et elle ont également abordé la difficulté de penser les chemins de l’émancipation à un moment où l’humanité traverse une profonde crise de civilisation et écosystémique, des défis qui supposent – entre autres – de réinventer la gauche et l’écosocialisme du 21e siècle.

Franck Gaudichaud (FG) Dans la dernière période, ont eu lieu de nombreux débats sur la fin du cycle des gouvernements progressistes et nationaux populaires en Amérique latine, sur leur possible reflux et perte d’hégémonie politique. Que pensez-vous de ce débat ? Pouvons-nous penser que ce débat sur la fin de cycle est dépassé ? Et comment appeler la conjoncture actuelle face à l’expérience progressiste des années 1998–2015 ?

Edgardo Lander (EL) Effectivement, il s’agit d’un débat très intense, surtout en Amérique latine, parce qu’il y a eu de nombreuses attentes sur les possibilités de transformation profonde dans ces sociétés à partir de la victoire de Hugo Chávez au Venezuela en 1998. Ce fut le point de départ d’un processus de changement qui mena à ce que la majorité des gouvernements latino-­américains soient identifiés à une orientation dite « progressiste » ou de gauche, dans diverses versions. Ces attentes de transformations conduisant à des sociétés post-capitalistes posent de sérieux défis, tant par l’expérience négative des socialismes du siècle passé que par les nouvelles réalités comme le changement climatique et les limites de la planète Terre, des défis qu’il était nécessaire d’affronter. Penser à la transformation aujourd’hui signifie nécessairement quelque chose de très différent de ce que cela signifiait au siècle passé.

FG Tu parles, pour l’Amérique latine, d’une période initiale, de départ, au début des années 2000, lorsque se sont combinées les résistances d’en bas et la création de dynamiques socio­politiques plus ou moins de rupture et post-­néolibérales selon les cas, qui ont réussi à émerger sur le plan électoral national et gouvernemental.

EL Oui, il s’agit d’une période où sont nées d’extraordinaires espérances alors que débutaient des transformations radicales de la société. Dans les cas de l’Equateur et de la Bolivie, les nouveaux gouvernements furent la conséquence de processus d’accumulation de force des mouvements et des organisations sociales en lutte contre des gouvernements néolibéraux. L’expérience du soulèvement indigène dans le cas équatorien et de la guerre de l’eau en Bolivie furent des expressions de sociétés en mouvement où les secteurs sociaux – qui n’étaient pas les plus typiques de l’action politique de la gauche – jouèrent des rôles fondamentaux. Il s’agit d’une émergence plébéienne : des secteurs sociaux auparavant invisibles – indigènes, paysan·ne·s, couches populaires urbaines – viennent occuper une place centrale sur la scène politique. Cela a généré des attentes extraordinaires.

Néanmoins, avec le temps, de sérieux obstacles sont apparus. Malgré les discours retentissants, des secteurs importants de la gauche qui jouèrent des rôles dirigeants dans ces processus n’avaient pas soumis l’expérience du socialisme du 20e siècle à une réflexion suffisamment critique. Restaient présentes dans ces projets de changement beaucoup des anciennes manières de voir et comprendre la direction, le parti, l’avant-garde, les rapports de l’Etat avec la société, le développement économique, les rapports avec le reste de la nature, en plus du poids des cosmovisions eurocentriques monoculturelles et patriarcales. Les formes coloniales historiques d’insertion dans la division internationale du travail et de la nature se sont approfondies. Il est évident que tout projet prétendant dépasser le capitalisme dans le monde actuel doit nécessairement se confronter aux défis sévères posés par la profonde crise de civilisation que traverse aujourd’hui l’humanité : en particulier la logique hégémonique de la modernité, de la croissance sans fin, qui a mené à surpasser les capacités réelles de la planète et qui est en train de dépasser les conditions rendant possible la reproduction de la vie sur Terre.

L’expérience des « gouvernements progressistes » se déploie à un moment où la globalisation néolibérale s’accélère et où la Chine se transforme en fabrique du monde et en principale économie planétaire. Cela produit un saut qualitatif dans la demande et le prix des ressources : biens énergétiques, minéraux et produits de l’agro-industrie comme le soja. Dans ces conditions, chacun des gouvernements progressistes opte pour financer les transformations sociales préconisées par la voie d’un approfondissement de l’extractivisme destructeur. Cela n’a pas seulement comme implication évidente que la structure productive de ces pays n’est pas remise en question, mais aussi qu’elle est approfondie par des formes néocoloniales d’insertion dans la division internationale du travail et de la nature.

Cette dynamique accentue également le rôle de l’Etat comme principal récepteur des recettes produites par l’exportation des ressources. Avec cela, malgré le contenu des textes constitutionnels sur la plurinationalité et l’interculturalité, prévaut une conception de la transformation centrée prioritairement sur l’Etat et sur l’identification de l’Etat avec le bien commun. Cela conduit inévitablement à des conflits autour des territoires, des droits indigènes et paysans, à des luttes pour la défense et l’accès à l’eau et à des résistances contre l’exploitation minière intense. Ces luttes populaires et territoriales ont été vues par ces gouvernements comme des menaces contre le projet national représenté, tracé et dirigé par l’Etat représentant l’intérêt national. Pour mener ces projets néo­-développementistes, malgré les résistances, les gouvernements ont recouru à la répression et assument des tendances autoritaires croissantes. En définissant, à partir du centre du pouvoir, quelles sont les priorités et en voyant comme menace tout ce qui fait obstacle à cette priorité, s’installe une logique de raison d’Etat qui requiert d’étouffer les résistances.

FG Face à cette analyse, et particulièrement quant à la raison d’Etat, les militant·e·s et les intellectuel·le·s soutenant ces gouvernements et dans les rangs des partis progressistes officiels affirment que, finalement, l’unique manière de construire un authentique chemin post-­néolibéral en Amérique latine consisterait à « récupérer l’Etat » : premièrement grâce aux mobilisations sociales plébéiennes qui ont dépassé les vieilles élites partidaires et, ensuite, en obtenant de nettes victoires électorales anti-oligarchiques, pour commencer à partir de l’Etat (mais avec celles et ceux d’en bas) à distribuer et à reconstituer la possibilité d’une alternative au néolibéralisme « réel ».

Miriam Lang (ML) Avant de commencer à traiter ce point, je voudrais un peu reprendre ce qu’a dit Edgardo. Car le terme « fin de cyle » suggère que l’on aborde toute la région à partir des expériences argentine et brésilienne, où la droite est effectivement revenue au pouvoir. Néanmoins, la lecture la plus adéquate consisterait plutôt à comprendre comment le projet de transformation sociale durant les progressismes a changé et pourquoi maintenant, de toute manière, nous nous trouvons dans une autre conjoncture qu’il y a 10 ou 15 ans, y compris dans les pays où des progressismes se trouvent encore au gouvernement, comme la Bolivie ou l’Equateur. Je me réfère à ce que certains appellent la « transformation des transformateurs » et aussi à la diversité des tendances politiques au sein de ces gouvernements, où réellement les gauches transformatrices ne sont plus nécessairement hégémoniques. Car ces processus se sont transformés en projets de modernisation réussis des rapports capitalistes et de l’insertion au sein du marché mondial.

FG En définitive, vous avez une position clairement critique sur la division internationale du travail, l’usage de l’extractivisme et des ressources naturelles, ainsi que sur le problème de l’Etat (souvent autoritaire et clientélaire jusqu’à aujourd’hui) : des phénomènes qui certes n’ont pas disparu et se sont même consolidés sur divers plans avec les progressismes. Mais vous ne mentionnez pas ici les nombreuses bourses et programmes sociaux, l’importante réduction de la pauvreté et même de l’inégalité, l’incorporation des classes sociales subalternes à la politique, la reconstruction des services de base, de santé publique, la croissance spectaculaire des infrastructures, etc., durant cette décennie de « l’âge d’or » des progressismes. En résumé, si je me faisais le porte-parole du vice-président et sociologue bolivien García Linera, vous seriez des « intellectuels critiques de bistrot » [3], n’ayant pas une réelle empathie pour les secteurs populaires et leurs conditions de vie quotidienne. C’est du moins un classique du débat actuel dans l’argumentation de celles et ceux qui cherchent à délégitimer la gauche critique.

ML Ça dépend un peu de la manière dont chacun·e regarde la réalité. Il faut voir, par exemple, que dans les constitutions bolivarienne et équatorienne, le projet de transformation tracé allait bien au-delà de la réduction de la pauvreté. Toute l’accumulation des luttes sociales antérieures allait bien au-delà d’un peu de distribution de la rente. Par là, je ne veux pas omettre que la vie quotidienne de nombreuses personnes a pu devenir plus facile, au moins durant les années des prix élevés des hydrocarbures. Mais il y a aussi un regard qui doit aller au-delà des statistiques de pauvreté. Nous pouvons dire que, selon la ligne de pauvreté, tant de personnes en sont sorties et cela est parfait ; mais nous devons aussi y regarder d’un peu plus près et dire : de quel type de pauvreté parlons-nous ? En Amérique latine, on mesure d’abord la pauvreté en fonction des revenus et de la consommation. Cette donnée évalue dans quelle mesure un foyer participe au mode de vie capitaliste et dit finalement peu sur la qualité de vie existant dans ce foyer.

Elle invisibilise les dimensions des économies de subsistance, les dimensions de la qualité des rapports humains, etc. Dans quelle mesure les gens peuvent-ils exprimer réellement leurs besoins dans ce contexte ? Dans quelle mesure ces politiques redistributives ont-elles renforcé ou étendu territorialement les logiques du marché capitaliste dans des pays où une bonne partie de la population, en raison de l’énorme diversité culturelle existante, ne vit pas complètement sous des préceptes capitalistes ?

Nous pourrions dire que cette diversité des modes de vie constituait un important potentiel transformateur pour les horizons de dépassement du capitalisme. Y compris si nous regardons les conditions écologiques de la planète : au lieu d’être étiquetées comme pauvres et sous-développées, de nombreuses communautés paysannes, indigènes, noires ou populaires des villes pourraient être vues comme des modèles dans leur façon de consommer moins et d’être plus satisfait. Par contre, ce qui s’est passé, c’est justement ce que j’appelle le « dispositif du sous-développement » [4]. dans le contexte de l’« éradication de la pauvreté », on dit : votre mode de vie qui requiert si peu d’argent est indigne, vous devez ressembler à la population urbaine, capitaliste, vous devez utiliser l’argent, la forme d’échange est le marché capitaliste, il n’existe pas d’autre forme d’échange valide.

La dénommée « alphabétisation financière », qui fait partie de la politique progressiste contre la pauvreté, a aidé le capital financier à établir de nouveaux marchés de crédit pour les plus pauvres, à des taux d’intérêts qui sont très élevés. Et la fameuse inclusion par la consommation est présentée comme une opportunité réelle pour tous. Au final, nous avons des populations endettées par la consommation, auxquelles on a suscité des besoins qu’auparavant elles n’avaient pas. Cela dépend donc d’où on regarde ces thèmes. C’est un problème de valeurs et de perspective : comment nous voulons que vivent les générations futures. Il ne s’agit pas seulement de démocratiser la consommation, mais le pari consiste à construire un monde soutenable pour au moins 5, 6, 7 générations et j’ai de sérieux doutes quant au fait que cette manière d’éradiquer la pauvreté ait contribué à ces fins.

EL Dans le cas vénézuélien, l’utilisation de la rente pétrolière de façon différente de celle utilisée auparavant a eu d’énormes conséquences durant la première décennie du gouvernement de Chávez. La dépense sociale est arrivée à représenter quelque chose comme 70% du budget national. Cette dépense publique dans la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement et la sécurité sociale a effectivement entraîné une transformation profonde des conditions de vie de la majorité de la population. Comme le reste de l’Amérique latine, le Venezuela a été historiquement un pays de profondes inégalités. Non seulement il a réussi à réduire très significativement les niveaux de pauvreté (mesurés en termes montaires), mais il a aussi réussi à réduire notoirement l’inégalité. La CEPAL a signalé que le Venezuela a réussi à devenir, avec l’Uruguay, l’un des pays les moins inégaux du continent. Il s’agit d’une transformation très importante, qui s’exprime sur des aspects aussi vitaux que la réduction de la mortalité enfantine et l’augmentation du poids et de la taille des enfants. Ce ne sont pas des questions secondaires.

D’autre part, cela s’est accompagné du point de vue politique par des processus d’auto-organisation populaire à la base extraordinairement larges auxquels ont participé des millions de personnes. Quelques-unes des plus importantes politiques sociales furent élaborées de telle manière que, pour fonctionner, elles avaient besoin de l’auto-organisation des gens. Le meilleur exemple fut la mission Barrio Adentro, un service primaire de santé couvrant largement les secteurs populaires de tout le pays, mené à bien avec la participation prioritaire de médecins cubains. Un programme qui a représenté la possibilité d’autres manières de comprendre les politiques publiques, non clientélaires et exigeant la participation de toutes et tous.

Avec la mission Barrio Aden­tro, des pas importants ont été accomplis dans la transformation du système de santé dans le pays. On passe ainsi d’un système médical, qui était fondamentalement hospitalier, à un régime décentralisé avec des services primaires basés dans les secteurs populaires. D’une situation où, par exemple, un enfant désydraté dans un quartier de Caracas au milieu de la nuit devait être transporté, en dehors de l’horaire du transport public, à l’hôpital le plus proche et où la famille devait affronter les scènes dramatiques des salles d’urgence, on passe à une situation où le centre de soins primaires, où vit le médecin, est à une faible distance de la maison et où à toute heure on peut frapper à la porte et être soigné.

FG Donc, cette potentialité constituante et disruptive du processus s’est épuisée ? C’est ce que tu dis ?

EL Durant les années du processus bolivarien, non seulement la structure productive du pays n’a pas été modifiée, mais le pays est devenu encore plus dépendant des exportations pétrolières. Les politiques publiques dirigées vers les secteurs populaires se sont caractérisées à tout moment par leur caractère distributif, avec une impulsion très limitée de processus productifs alternatifs à l’extractivisme pétrolier. Cette dépendance des hauts revenus pétroliers a imposé de sévères limites au processus bolivarien [5].

Le caractère dynamique, incitatif, des processus d’organisation populaire des politiques publiques s’est épuisé pour différentes raisons. En premier lieu, parce que la richesse existant dans certains secteurs comme les programmes d’alphabétisation et Barrio Adentro n’a pas eu lieu dans toutes les missions (nom générique des différentes politiques sociales). Mais aussi du fait que les processus organisationnels à plus grande échelle, qui se sont développés jusqu’aux Conseils communaux et aux Communes, furent des processus où s’est toujours produite une forte tension entre les tendances à l’auto-gouvernement, à l’autonomie, à l’auto-organisation, etc., et enfin le fait que tous les projets qui pouvaient être réalisés par ces organisations ont dépendu du transfert de ressources venues d’en haut, depuis une institution de l’Etat.

Cela a généré une tension récurrente entre le contrôle politico-financier d’en haut et les possibilités d’auto-organisation plus autonome. Ces tensions ont opéré de manières très diverses, en fonction des conditions existantes sur place : de la présence préalable ou non de directions locales ; de l’existence ou non d’expériences politiques d’organisation de la communauté avant le processus bolivarien ; des conceptions politiques des fonctionnaires et des militants du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV), responsables des rapports entre les institutions de l’Etat et ces organisations. De fait, il y a eu une dépendance extraordinaire par rapport au transfert de ressources provenant de l’Etat. Il n’y a pas eu de possibilité d’autonomie pour la majorité des organisations populaires de base, parce que celles-ci n’avaient pas de capacité productive propre. Quand, avec l’actuelle crise économique débutée en 2016, les transferts de ressources à ces organisations populaires se réduisent, celles-ci tendent à s’affaiblir et beaucoup d’entre elles entrent en crise.

Un autre facteur de cet affaiblissement a été la création des Comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP) comme mécanisme pour la distribution des aliments de base hautement subventionnés aux secteurs populaires. En pratique, ceux-ci se sont transformés en modalités organisationnelles clientélaires vouées exclusivement à la distribution d’aliments et manquant d’autonomie : ils tendent à remplacer les Conseils communaux.

Les politiques de solidarité et de coopération latino-américaines ont été également hautement dépendantes des revenus pétroliers. Pour mener à bien des politiques internationales comme les programmes de livraison subventionnée de pétrole à des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, l’appui financier à la Bolivie et au Nicaragua, et d’autres initiatives diverses prises par le gouvernement vénézuélien sur le terrain latino-américain, il était nécessaire de garantir à court et à moyen terme une augmentation des revenus pétroliers. Quand Chávez est décédé en 2013, le pétrole représentait 96% de la valeur totale des exportations, ce qui fait que la dépendance du pays par rapport au pétrole était plus élevée que jamais.

Dans l’histoire pétrolière vénézuélienne, la première décennie de ce siècle fut le moment où existèrent les meilleures conditions possibles pour débattre, réfléchir et commencer à expérimenter d’autres pratiques et d’autres futurs possibles pour la société vénézuélienne au-delà du pétrole. Ce fut une conjoncture où Chávez bénéficiait d’une extraordinaire capacité de direction et de légitimité. Il avait la capacité de donner un cap à la société vénézuélienne et, avec des prix du pétrole atteignant jusqu’à 140 dollars par barril, les ressources existaient pour répondre aux besoins de la populaire et entreprendre, même si ce n’était qu’un début, les premiers pas d’une transition au-delà du pétrole. Il s’est produit tout le contraire. Durant ces années se sont répétés l’intoxication de l’abondance, l’imaginaire du « Venezuela saoudite » qui a émergé à l’époque du premier gouvernement de Carlos Andrés Pérez durant la décennie des années 1970. Personne au Venezuela ne pense qu’il est possible de fermer par décret tous les puits de pétrole d’un jour à l’autre. Mais, loin de franchir des pas même timides pour dépasser la dépendance du pétrole, les politiques gouvernementales n’ont fait qu’approfondir cette dépendance Dans des conditions de surabondance de devises et afin de tenter de freiner la fuite des capitaux, une parité de contrôle des changes, absolument insoutenable, fut établie.

Les politiques redistributives et les initiatives politiques de l’Etat ont réussi à améliorer les conditions de vie de la population et ont suscité le renforcement des tissus sociaux, avec de larges expériences de participation populaire. Néanmoins, ce ne fut pas accompagné par un projet de transformation de la structure productive du pays.

FG A mon avis, un autre thème essentiel de cette discussion est la problématique géopolitique, et dans ce cas les avancées sur le plan de l’intégration régionale liées à l’évaluation des nouvelles stratégies de l’impérialisme et de son ingérence sur le continent. Très souvent, on remet en cause les critiques de gauche (marxistes, éco-­socialistes, féministes) en leur disant : vous sous-estimez et vous ne mesurez pas correctement l’impact de l’ingérence ou de la déstabilisation menée par les Etats-Unis, en vous centrant essentiellement sur une critique interne des processus et des gouvernements. C’est ce qu’affirme, parmi d’autres, le sociologue marxiste argentin Atilio Borón : plusieurs de ses textes insistent sur le fait que, malgré leur modération, les gouvernements progressistes ont ouvert une nouvelle vague d’intégration sans les USA et que cela représente un pas gigantesque dans l’histoire régionale selon une perspective bolivarienne. Alors, que penser de l’état actuel de l’intégration latino-américaine, quelles sont les avancées et les limites aujourd’hui sur ce plan ?

ML Il y a dix ans, il y a eu réellement des impulsions et des propositions intéressantes, sources d’espoir au niveau mondial à partir de l’Amérique latine. L’intégration régionale fut proposée d’une autre manière que celle de l’Union européenne avec sa constitution néolibérale, surtout dans les termes de la Banque du Sud qui allait impulser des projets de souveraineté et de soutenabilité et non d’un développement en termes classiques, ou avec le projet de monnaie commune, le Sucre. Malheureusement, durant ces dix ans, ces initiatives n’ont pas prospéré, surtout à cause de la résistance du Brésil qui joue évidemment un rôle important dans la région : ce pays s’est orienté davantage vers ses partenaires des BRICS et a priorisé ses intérêts de puissance mondiale.

EL Finalement, le Brésil n’était d’accord avec la Banque du Sud que comme une simple banque de développement supplémentaire.

P.-S.

* « solidaritéS », Cahier émancipationS 322 (01/02/2018) :

* Franck Gaudichaud est docteur en science politique et membre du comité de rédaction de la revue Dissidences et de l’association « France Amérique Latine ».

Miriam Lang est docteure en sociologie et professeure en études sociales à l’Université Simon Bolivar en Equateur.

Edgardo Lander est un sociologue vénézuélien, professeur à l’Université centrale du Venezuela et chercheur associé à l’Institut transnational.

Pour consulter une partie des communications et voir les vidéos des conférences magistrales de Pierre Salama, Miriam Lang et Edgardo Lande, cf. progresismos.sciencesconf.org.

Notes

[1] rosalux.org.ec

[2] tni.org

[3] Cf. Álvaro García Linera, “Conferencia Magistral en el Teatro Nacional de la Casa de la Cultura Ecuatoriana” Quito, Ecuador, 2015 : youtube.com/watch ?v=DeZ7xtBJT8U.

[4] Cf. Miriam Lang y Dunia Mokrani (comp.), Más allá del desarrollo, Fundación Rosa Luxemburg/Abya Yala, Quito, 2012, rosalux.org.mx/docs/Mas_alla_del_desarrollo.pdf.

[5] Edgardo Lander, La implosión de la Venezuela rentista, TNI, 2016, https://www.tni.org/es/publicacion/....


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