Allemagne : participation du SPD à la troisième « Grande Coalition »

jeudi 8 mars 2018.
 

Les deux-tiers des membres du SPD ont approuvé la participation de leur parti à une « grande coalition » gouvernementale dirigée par Angela Merkel.

Fini le suspens : Les membres du SPD social-démocrate, appelé à se prononcer, ont choisi d’accepter que leur parti participe une troisième fois en partenaire junior à un gouvernement mené par la CDU/CSU (conservateurs chrétiens) sous la chancelière Angela Merkel.

Après une campagne vigoureuse menée dans le parti surtout par les Jusos (Jeunesse socialiste, organisations des membres du SPD jusqu’à 35 ans) sous le slogan NoGroko (contre une nouvelle « grande coalition ») et leur dirigeant Sven Kühnert, le résultat n’était pas certain d’avance. Pour la direction du parti, il s’agissait d’une décision existentielle : avec une victoire du « non », il y aurait eu un gouvernement minoritaire d’Angela Merkel et très probablement des élections fédérales dans un laps de temps assez court – et le SPD, en déclin catastrophique dans les sondages, allant même en dessous de 16%, aurait risqué une autre défaite électorale spectaculaire.

Environ trois quarts des membres du SPD ont participé au scrutin qui s’est terminé par presque 240.000 de voix pour le « oui » et 123.000 pour le « non ». Donc 66% contre 34% des membres ayant participé au vote ont soutenu le projet de la 3e « Grande Coalition ». Cela peut paraître une majorité confortable et les dirigeants du SPD ont réagi en exprimant leur soulagement. Mais, en même temps, tous les commentateurs – et les dirigeants du SPD le concèdent dans les interviews pris sur le vif – soulignent que le parti reste divisé sur les choix à faire.

Une grande partie des membres s’étant prononcés pour le « oui » ne l’ont très probablement pas fait en étant convaincus du projet « coalitionnaire » en tant que tel, mais pour éviter une crise peut-être mortelle pour leur parti. Et Sven Kühnert a souligné que « la critique reste en vigueur ».

En effet, voir le SPD surmonter sa crise électorale en participant au gouvernement ne va pas de soi. Andrea Nahles, anciennement située sur la gauche du parti et dans son centre actuellement, est désignée à la fois chef de la fraction au Bundestag (le parlement) et chef du parti. Son rôle sera de défendre le profil du parti, puisqu’elle ne sera pas membre du gouvernement. Mais comment imaginer la réussite de ce projet sachant que les six ministres SPD dans le nouveau gouvernement agiront sous la discipline de la chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel ? En politicienne habile, elle saura attribuer tout succès à elle-même et à son parti, tandis que toutes les mesures antisociales, impopulaires, seront imputées au SPD par son électorat.

Olaf Scholz, situé bien à la droite du SPD, est désigné ministre des Finances, prenant la succession Wolfgang Schäuble du CDU. Or, dans ce domaine surtout, il n’y aura pas de changement de ligne politique, mais continuité de politique néolibérale ainsi que de « discipline budgétaire de fer » à l’intérieur comme au sein de l’UE. Les quelques petites promesses d’amélioration dans le domaine social dans le contrat négocié avec la CDU/CSU sont mises sous réserve de financement. Concernant les réfugiés, dans les accords de coalition, le SPD n’a presque rien obtenu. Sur la question climatique, les accords signifient même formellement une régression, comparée à la politique de l’ancienne coalition, puisque les objectifs climatiques déjà largement insuffisants sont repoussés aux calendes grecques.

A noter la déclaration de Dietmar Bartsch, porte-parole de la fraction parlementaire de Die Linke (La Gauche) conjointement avec Sahra Wagenknecht et se situant à la droite gouvernementaliste de son parti, disant qu’avec la décision du SPD pour la poursuite de la « Grande Coalition », « le projet de la coalition rouge-rouge-verte est mort ». Donc, l’option pour un gouvernement de coalition du SPD, des Verts et de Die Linke, à terme, n’est plus perçue comme réaliste, même par ses plus chauds partisans au sein du parti Die Linke.

Bernd Riexinger, porte-parole du parti Die Linke conjointement avec Katja Kipping, a appelé à un nouvel élan, une nouvelle offensive de la gauche. C’est vrai que c’est l’enjeu majeur. Mais le « comment s’y prendre » est une question controversée dans le parti. Sahra Wagenknecht et Oskar Lafontaine proposent un nouveau « mouvement de gauche » à l’image de la France insoumise de Mélenchon, tout en faisant des concessions à la démagogie de l’AfD ultra-droitière en déclarant que les « frontières ouvertes » étant un « slogan néolibéral », ceci pour « défendre les intérêts » des salariés et des laissés-pour-compte allemands. Les courants de droite et de gauche dans Die Linke sont d’accord pour rejeter cette politique, qui mettrait le parti lui-même en danger.

Par ailleurs et jusqu’à nouvel ordre, il n’y a pas de signes que des couches tant soit peu importantes des membres du SPD (ou d’autres partis) se montrent enclins à suivre la voie proposée par Wagenknecht et Lafontaine. Une opposition sérieuse au sein du SPD devrait mettre en avant une rupture claire et nette avec la politique de l’agenda 2010 de Gerhard Schröder. Les partisans du NoGroko joueront-ils un tel rôle ou pas ? Cela reste à voir.

Cologne, 4-3-2018

Manuel Kellner, membre du parti Die Linke


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