C’est la République qu’ils assassinent (Christian Picquet)

samedi 31 mars 2018.
 

Jupiter vient de dévoiler le cœur de son projet d’adaptation de la France à la norme d’une mondialisation financiarisée. Ne nous y trompons pas, il n’y a aucune « précipitation » dans la révélation de ses intentions envers le transport ferroviaire ou la fonction publique. Au contraire, la déconstruction du droit du travail, le transfert massif de la richesse vers une classe possédante cupide par le moyen d’une fiscalité plus inégalitaire que jamais, l’annonce de la remise en cause prochaine du Smic, la réduction des droits des chômeurs, l’attaque portée contre le logement social, le reformatage d’un système scolaire et universitaire grâce à une sélection sociale cyniquement accentuée, l’étranglement engagé de l’audiovisuel public, ou encore l’asphyxie savamment organisé des collectivités territoriales apparaissent maintenant comme un prologue. C’est la République qui se trouve, en réalité, depuis les premières heures de ce nouveau quinquennat, dans le viseur. Impossible, en effet, de ne pas la dépouiller de ses attributs fondateurs, pour ne plus en conserver que les apparences juridiques, lorsque l’on entonne à chaque instant l’ode à un marché sélectionnant les individus en fonction de leur adaptabilité à un univers de compétition impitoyable et d’individualisation forcenée.

Rien de très nouveau, à bien y regarder, dans les préconisations du rapport de Jean-Cyril Spinetta (lequel avait auparavant appliqué ses talents de « Terminator » à d’autres secteurs, à commencer par Air France) et dans les annonces d’Édouard Philippe concernant la SNCF. Cela fait des années que, de « paquets ferroviaires » européens en exhortations à la mise en place de cette « nouvelle gouvernance publique » servant de logiciel théorique au Fonds monétaire international comme à la Commission européenne, on en appelle à la transformation de l’entreprise en société anonyme (premier pas vers sa privatisation, dans la mesure où l’État s’y verrait interdire toute intervention, et où la course aux dividendes y deviendrait la règle), l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs (après celle du fret), l’amputation massive de la masse salariale (un plan de « départs volontaires » viendrait frapper quelque 5000 postes, après les 2050 suppressions d’ores et déjà inscrites au budget de cette année), et l’abolition du « statut » des cheminots pour les futurs recrutés.

Des dispositions qui s’articulent parfaitement à celles formulées par le ministre Darmanin pour la fonction publique. Là encore, en vertu du déjà trop célèbre programme « Action publique 2022 », on avance l’objectif de 120 000 suppressions de postes, d’un plan de « départs volontaires » destiné à y contribuer, de l’élargissement du recours aux contractuels (bien que la précarité représente, dès aujourd’hui, 17% des emplois publics), d’une rémunération « au mérite » des agents. Objets premiers de l’offensive des ministres et des experts relayant sans discontinuer les préceptes libéraux sur les plateaux de télévision : les fonctionnaires territoriaux, que l’on accuse d’avoir plombé la dépense publique. Supercherie absolue, ces derniers relevant pour les trois-quarts d’entre eux de la « catégorie C », et l’accroissement de leur nombre ayant simplement traduit les dévolutions vers les collectivités de compétences auparavant assurées par l’État, à la suite des mouvements successifs de décentralisation.

S’employant à embrumer les esprits pour mieux réunir les conditions de son opération, l’exécutif déploie un argumentaire démentant l’improvisation que d’aucuns lui prêtent parfois. Ce qui rappelle, au passage, à qui voudrait l’ignorer, que la bataille va se livrer dans le soutien à apporter aux cheminots… autant que sur le terrain directement politique et idéologique. J’y reviendrai.

Ainsi, la présentation des nouveaux paradigmes traitant du rapport de la puissance publique au transport ferroviaire se fait-elle au nom des dysfonctionnements en série dont sont régulièrement victimes les usagers ; comme si ce n’était pas les mesures de rentabilisation à outrance, adoptées par la direction de la SNCF au nom d’une austérité décrétée impérative, qui se trouvaient à l’origine des gigantesques pagailles que l’on sait. Ainsi, veut-on faire croire à nos concitoyens que le « statut » de la SNCF, comme celui des cheminots, s’avéreraient la cause d’une dette devenue abyssale (46 milliards d’euros) ; or, celle-ci est principalement la résultante des investissements consentis pour le développement des grandes infrastructures liées à l’extension du TGV, investissements que les gouvernements n’ont jamais repris à leur charge, contrairement à l’engagement pris à partir de 1997 (ce qui eût évité à l’entreprise d’acquitter chaque année 1,3 milliard de frais financiers). Ainsi, le Premier ministre cherche-t-il à se montrer rassurant, lorsqu’il s’adresse au pays, à propos de la fermeture de 4000 à 9000 kilomètres de lignes, prônée par le rapport Spinetta au motif de leur non rentabilité ; il se sera toutefois bien gardé d’insister sur le fait que le transfert, qu’il annonce simultanément, de la gestion de ces dessertes à des Régions n’en ayant pas nécessairement les moyens (ou la volonté), conjugué à l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, a toute chance d’aboutir à un résultat identique : la condamnation à mort du réseau de proximité et le repli sur les seules lignes susceptibles de dégager des bénéfices.

Non seulement cette fuite en avant annonce des catastrophes telles qu’en ont connues les pays voisins lorsqu’ils expérimentèrent ce genre de recettes, sans parler de l’impasse où a déjà conduit l’ouverture du fret aux appétits du privé, mais c’est la France, en son identité fondatrice, qui va s’en retrouver profondément atteinte.

LE SERVICE PUBLIC, AU CŒUR DE L’EXCEPTION FRANÇAISE

Il se trouve que l’histoire a légué à notre pays une vision singulière du vivre-ensemble. Au-delà de ses formes instituées, qui reproduisirent en permanence la fracture entre les citoyens et leurs représentants, et épousèrent plus largement les antagonismes de classe entre le peuple travailleur et les possédants, la République s’y fonda (et s’y refonda régulièrement) à partir de principes que le mouvement ouvrier ne tarda pas à s’approprier afin de les « pousser jusqu’au bout », ce que devait théoriser Jaurès. La démocratie, qui se proclame indissociable de la souveraineté du peuple… La puissance publique, dépositaire de l’intérêt général, lequel se distingue de l’addition des intérêts particuliers, autrement dit qui s’affirme par son souci de répondre prioritairement aux besoins du plus grand nombre plutôt qu’aux égoïsmes et à la volonté d’enrichissement de quelques-uns… La vie collective, qui est basée sur le contrat social, lequel ne se confond jamais avec la juxtaposition des contrats usuels, mais revendique la reconnaissance d’une dette de la société envers quiconque subit l’injustice... Le fait national, qui tend d’emblée vers l’universel et se définit, loin des conceptions ethniques ou religieuses, comme « communauté des citoyens »… La laïcité, qui vise à garantir la liberté de conscience et instaure, pour ce motif, la séparation des sphères publique et privé… Ce sont ces règles qui ont, au long des décennies, forgé ce que l’on a parfois baptisé « exception française »…

C’est d’ailleurs bel et bien une République inachevée, parce qu’en recherche de sa finalité sociale, que définissait Robespierre lui-même, dans un discours du 2 décembre 1792 devant la Convention, que la plupart des historiens se gardèrent bien, par la suite, de sortir de l’oubli : « Vous, législateurs, souvenez-vous que vous n’êtes point les représentants d’une caste privilégiée, mais ceux du peuple français. N’oubliez pas que la source de l’ordre, c’est la justice : que le plus sûr garant de la tranquillité publique c’est le bonheur des citoyens, et que les longues convulsions qui déchirent les États ne sont que le combat des préjugés contre les principes, de l’égoïsme contre l’intérêt général, de l’orgueil et des passions des hommes puissants contre les droits et contre les besoins des faibles » (in Albert Mathiez, Études sur Robespierre, Messidor/Éditions sociales 1988).

Cette conviction, qui résonne jusqu’à nos jours comme un défi aux privilèges de la naissance ou de la fortune – et qui tranche singulièrement avec le catéchisme de notre nouvel occupant du Trône sur les « premiers de cordée » –, a fini par se traduire en grandes avancées démocratiques et sociales, arrachées au gré de ces révolutions, insurrections, soulèvements civiques, grèves générales ou mouvements populaires qui ont marqué le siècle et demi écoulé. Le service public à la française est l’une de ces conquêtes, et l’on pourrait sans difficulté lui appliquer l’appréciation que Marx portait sur les Ateliers nationaux, mis à l’ordre du jour par la Révolution de 1848. Le vieux Karl parlait alors, à ce propos, d’une « protestation vivante du prolétariat contre l’industrie bourgeoise, le crédit bourgeois et la République bourgeoise », protestation contre laquelle « s’appesantit toute la haine de la bourgeoisie » (in La lutte de classes en France, Œuvres, Politique I, La Pléiade 1994).

DES « STATUTS » POUR DÉFENDRE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL

Pour être plus précis, dans le droit fil du « contrat social » à peine esquissé en leur temps par ces fameux Ateliers nationaux, l’impérieuse dynamique du soulèvement national de 1944 conduisit au rétablissement de la République sur les quatre piliers qu’avait auparavant défini le programme du Conseil national de la Résistance : Sécurité sociale, service public, secteur nationalisé, direction de l’économie en fonction des indications d’un plan. Et les élites dirigeantes, sans rien abdiquer de la « haine » que cette vision des choses pouvait provoquer en elles, pour reprendre la formule de Marx, furent bien contraintes de les avaliser. Jusqu’à devoir inclure, dans le préambule des deux dernières Constitutions, les droits fondamentaux que le « pacte » de la Libération appelait à rendre effectifs, et jusqu’à voir, plus près de nous, un penseur aussi acquis à la vulgate libérale que Nicolas Baverez se réclamer de « l’esprit du CNR » (Marianne, 23 février 2018). Qu’il le fît pour mieux légitimer son approbation des contre-réformes jupitériennes n’en apparaît pas moins comme un hommage du vice à la vertu…

En dépit des coups qui lui furent portés, depuis que la gigantesque vague de la déréglementation commença de s’abattre sur le Vieux Continent, et quels qu’aient pu être les travers bureaucratiques affaiblissant parfois sa perception dans l’opinion, le service public demeure le témoignage vivant qu’il est possible d’organiser la vie en commun en plaçant l’humain au centre de l’action politique. La satisfaction des besoins populaires (à la santé, à l’éducation, au logement, aux transports, à l’énergie ou à la culture) constitue sa priorité, ce qui le distingue de la course au rendement maximal pour l’actionnaire dominant présentement l’économie. Sa gestion se situe, pour cette raison, aux antipodes de celle des entreprises privées, à partir de ses quatre caractéristiques originales : la quête de l’égalité (chacun bénéficiant de prestations identiques, quelle que soit sa situation personnelle) ; la continuité (que seule permet la permanence de l’État) ; la neutralité (les dispositions qui l’encadre vise à le placer à l’abri de toute pression qui le ferait déroger à la défense du bien public) ; la péréquation tarifaire (les bénéfices des uns compensant les pertes des autres, pour mieux favoriser l’accès égal de tous aux administrations). Son existence et ses ramifications, parce qu’elles se veulent les garants de droits reconnus à la collectivité dans son ensemble, sont enfin une condition essentielle de l’exercice de la citoyenneté, donc de la démocratie.

Tous les agents du service public ne sont pas des fonctionnaires, et tous les fonctionnaires ne se voient pas appliquer des dispositions identiques, selon qu’ils relèvent de l’État, des collectivités territoriales ou du secteur hospitalier. Si les « statuts » des uns et des autres diffèrent par conséquent, ils n’en obéissent pas moins, par-delà les termes particuliers qui les caractérisent, à une double nécessité : offrir à tous les agents les contreparties que supposent les contraintes souvent très lourdes induites par la continuité de leurs missions (en horaires, week-ends travaillés, atteintes à la vie familiales etc.) ; leur permettre d’accomplir leurs tâches de manière indépendante, à l’abri des normes du privé et de sa course à la rentabilité. Lesdits « statuts », ceux des fonctionnaires autant que ceux des cheminots ou des agents de l’énergie, comme au demeurant les régimes spéciaux de retraite, ne sont dès lors aucunement des « privilèges ». Ils sont simplement des moyens conçus pour le bon fonctionnement d’entreprises et administrations orientées par le seul intérêt général. Le fait que le rapport de force instauré par les salariés du public ait permis, tout au long de l’après-guerre, de consolider et étendre ces conquêtes ne saurait obscurcir cette réalité.

ORGANISER AVEC SOIN LA CONFRONTATION À VENIR

C’est avec cette conception de la cohésion sociale, qu’après ses plus récents prédécesseurs – Messieurs Chirac, Sarkozy et Hollande s’étaient, tour à tour, efforcés de la remettre en question, prenant notamment pour prétexte des traités européens auxquels ils auraient eu toutefois le loisir de déroger, pour peu qu’ils en aient la volonté –, le président de la République croit le moment venu d’en finir définitivement. On me dira sans doute que de semblables logiques de privatisation, mises en œuvre chez nos voisins, n’ont pas interdit la subsistance d’organismes et établissements affichant des missions de service public. Ce qui est parfaitement exact, à cette nuance près cependant que c’est sa cohérence qui confère sa visée égalitaire au modèle hexagonal. Les notions apparues, ces dernières années, dans les sommets de l’Union européenne, toutes inspirées du droit anglo-saxon à l’image de l’idée de « service universel », n’envisagent que d’assurer des aides minimales aux individus.

En recourant à la procédure des ordonnances, les gouvernants cherchent à prendre de vitesse le mouvement syndical et à empêcher la formation du large front d’opposition sociale et politique dont ils seraient menacés si se dissipait l’enfumage des consciences. En dissociant le dossier du ferroviaire de celui de la fonction publique, et plus largement du démantèlement du système des retraites, ils entendent diviser les salariés, à commencer par les premiers concernés, afin de l’emporter plus aisément sur des mobilisations qui demeureraient cantonnées à leurs secteurs respectifs. En orchestrant une véritable campagne de stigmatisation des cheminots, accusés du plus vil corporatisme, ils cherchent à rééditer la stratégie de Margaret Thatcher face aux mineurs britanniques, en 1984, leur objectif étant de briser les reins de l’un des derniers grands bastions du mouvement ouvrier français, celui qui était parvenu à souder le pays derrière lui en 1995 et à mettre en échec le gouvernement d’Alain Juppé, lequel avec son fameux « plan » n’avait fait qu’anticiper les actuelles « réformes » macroniennes.

Aussi convient-il de construire la riposte avec le plus grand soin. Sans céder à la tentation du radicalisme proclamatoire. En s’attelant au rassemblement des forces vives du monde du travail, de la gauche et du peuple. Avec pour souci premier de proposer, sur la durée, les mots d’ordre et étapes de mobilisation permettant de relever efficacement les défis d’une confrontation à laquelle l’adversaire s’est préparé de longue date. Le 22 mars, journée d’action unitaire appelée par les syndicats de fonctionnaires, mais aussi date de manifestation nationale des agents de la SNCF, sera le premier de ces rendez-vous dont il faut impérativement assurer le succès. Il se complétera du calendrier dont doivent prochainement se doter les organisations de cheminots.

Dans cette épreuve de force, que la Macronie entend remporter afin d’avoir les mains libres pour s’en prendre ultérieurement à la protection sociale et au droit à la retraite, rien ne serait plus désastreux que de reproduire les fautes commises par certains à l’occasion de la bataille contre les ordonnances Pénicaud, cet automne. C’est aux confédérations et fédérations syndicales d’en prendre la tête, nul ne pouvant se prévaloir d’une légitimité supérieure pour entraîner cheminots et fonctionnaires dans l’action, réunir derrière eux les rangs du salariat et créer un puissant élan autour d’une cause concernant le pays tout entier. La gauche politique, quant à elle, se doit non seulement de les appuyer et de participer activement aux échéances de mobilisation, mais encore de faire bouger l’opinion. À elle, en particulier, de démontrer qu’un enjeu de civilisation recouvre l’assaut lancé contre le secteur devenu, ces dernières années, l’aile marchante du mouvement social.

UNITÉ À GAUCHE POUR ENTRAÎNER L’OPINION

Il s’agit, en tout premier lieu, de ne pas se laisser piéger par une opposition en trompe-l’œil, celle dans laquelle le pouvoir tente de nous enfermer, entre prétendus défenseurs du statu quo et « réformateurs » auto-proclamés d’un système accusé d’ossification, partisans décrétés obtus d’ « avantages acquis » datant d’un autre temps et tenants de l’entrée dans la modernité prêtée à la dérégulation. La vraie modernité, en l’occurrence, à l’aune notamment de l’expérience accumulée par les peuples du globe ces trois dernières décennies, est celle qui entend soustraire les activités répondant à des besoins humains fondamentaux à la logique marchande que le capital financier veut faire prédominer sans limite. Celle qui préfère la solidarité sociale et les droits reconnus à la collectivité à une concurrence se voulant « libre et non faussée ».

C’est dans ce cadre que, loin de se rétracter en une réalité figée dans le temps et imperméable aux mutations de l’époque, le service public se voit confronter à un travail indispensable d’extension et de redéfinition. Et ce sont ses acteurs qui en ont, les premiers, jeté les bases. J’en veux pour preuve la contribution de Bernadette Groison, la secrétaire générale de la Fédération syndicale unitaire, datant de quatre ans déjà. Je la cite : « La crise économique, sociale, mais aussi environnementale, culturelle et politique que nous traversons appelle à utiliser toutes les ressources de notre pays. Alors que nombre de défis sont à relever (élévation du niveau de qualification, réussite de tous les élèves, mutation énergétique, révolution technologique, industrialisation dans le respect du développement durable, transition écologique…) et que les évolutions démographiques de notre société entraînent de nouveaux besoins (augmentation de l’espérance de vie, vieillissement de la population…), la fonction publique, avec l’ensemble des services publics, doit pouvoir jouer tout son rôle dans la relance de l’activité du pays et dans l’anticipation et la préparation des mutations à venir. Elle peut le faire d’autant mieux qu’elle a pour objectif de répondre à l’intérêt général, dans le respect des principes d’égalité, de neutralité, d’équité et de solidarité » (in En finir avec les idées fausses sur les fonctionnaires et la fonction publique, Les Éditions de l’Atelier 2014).

La gauche, si longtemps muette sur ces enjeux, se voit ici ouvrir un chemin, qu’elle serait bien avisée d’emprunter à son tour, pour nourrir d’un contenu audacieux la résistance sociale. Pourquoi ne pas, dès à présent, compléter l’action des cheminots et des agents publics d’une contre-campagne idéologique destinée à sensibiliser les citoyens et, surtout, à provoquer leur irruption dans le conflit ? Après tout, comme les sondages en font foi quoique les questions en soient le plus souvent biaisées, le peuple français a systématiquement manifesté son attachement à son modèle républicain. Sans même remonter à la « grève par procuration » de 1995, il avait su par exemple s’emparer de la « votation » mise à sa disposition, en 2009, par un collectif d’organisations en défense de La Poste (plus de deux millions de personnes avaient alors participé à la consultation). L’unité retrouvée du camp progressiste, du moins de tous ceux qui n’entendent pas sacrifier leurs idéaux sur l’autel de la contre-révolution libérale, autour d’une grande initiative de même inspiration pourrait parfaitement changer la donne aujourd’hui. Tout comme la campagne du « non » de gauche, en 2005, était parvenue à réunir une majorité populaire autour de la perspective d’une autre Europe…

D’autant, il n’est pas inutile de le souligner, que c’est le problème du devenir de la démocratie qui se trouve soulevé par le « tapis de bombes » antisocial de Monsieur Macron. S’agissant de la SNCF, la procédure retenue du recours aux ordonnances agit tel le révélateur d’une conception de la direction des affaires du pays. Où toutes les décisions partent du monarque drapé dans son absolutisme, court-circuitent le Parlement et les partis (y compris le parti majoritaire), s’affranchissent des règles de la démocratie sociale et s’appuient sur un appareil de propagande médiatique dont nous n’avions jamais à ce point subi l’emprise depuis feue l’ORTF. Où, telle la résurrection de la noblesse d’Ancien Régime, c’est une haute technocratie mêlant énarques et purs produits de la banque ou du business qui s’est emparée de l’ensemble des leviers de commande. Où, au final, la nation se voit dépossédée de son droit souverain de contrôler la politique mise en œuvre en son nom et de débattre collectivement.

Un groupe anonyme de hauts fonctionnaires vient de dénoncer « une confusion profonde, à la fois idéologique et sociologique, entre une partie de cette haute administration et de ses idées, et le gouvernement et la politique qu’il mène d’autre part ». Tout se passe, ajoute-t-il, « comme si les administrations dominantes, empêchées de mettre en place ces ‘’réformes nécessaires’’ pendant trop longtemps, avaient finalement les coudées franches pour ‘’enfin’’ réformer le pays sans avoir à composer avec des exigences partisanes » (Le Monde, 22 février 2018). Si les mots ont un sens, nous vivons donc un coup de force légal, ayant pulvérisé l’équilibre des pouvoirs et anéanti le principe de délibération. Même le bonapartisme gaullien n’était pas allé aussi loin dans sa volonté d’ériger la monarchie présidentielle…

Certains, dans la même livraison du quotidien vespéral, à l’instar de l’ancien député Daniel Goldberg, en ont déduit que c’est une « ‘’aRépublique’’ qui est en marche aujourd’hui ». Ils ont raison. Après s’être longtemps détournée de sa référence originelle à la République sociale, la gauche trouve aujourd’hui l’occasion de la retrouver. Pour porter devant notre peuple une alternative concrète. Qui donne tout son sens à la défense de ses droits. Qui engage sans plus tarder la reconquête des esprits qui sonnera, demain, la défaite de l’oligarchie possédante.


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