Notre-Dame-des-Landes : Sur la Zad, « les gens arrivent de partout » pour défendre et reconstruire

mercredi 25 avril 2018.
 

« Une cabane détruite, deux reconstruites », promettent les habitants de la Zad et leurs soutiens. Une première journée de reconstruction est prévue dès ce 15 avril. Après quatre jours d’intervention quasi militaire, une trentaine de lieux – fermes, salles collectives, logements – ont été rasés sur ordre de la préfète de Loire atlantique et du gouvernement. Les démolitions sont, pour l’instant, stoppées. Mais le processus de négociation a lui aussi été dévasté par l’opération : « Nous n’avons plus du tout confiance. C’est terminé, c’est clair », entend-on. Reportage.

Pour accéder à la Zad, le mieux est de passer par les champs. Ce 12 avril, quatrième jour de l’opération d’expulsion et de démolition menées par les forces de l’ordre – 2500 gendarmes –, les voies d’accès à la zone sont solidement gardées. Un checkpoint tenu par des gendarmes mobiles, lourdement armés et arnachés, et appuyés par un blindé, bloquent le carrefour des Ardillères, situé côté nord. A 200 mètres du barrage policier, Camille, un talkie-walkie vissé à l’oreille, monte la garde. Le retraité au regard bleu, qui a posé ses valises dans un lieu de vie collectif de la Zad l’été dernier, surveille les allers et venues de policiers et d’engins de chantiers amenés pour la démolition. Avant Camille, c’est Marc et Justine, arrivés tard dans la nuit depuis le Finistère, qui assuraient le tour de garde [1]. « Nous avons pris notre quart vers 7h ce matin, après avoir dormi un peu. Nous étions avec un jeune qui a creusé des fossés de 3h à 7h du matin, juste après être arrivé. Les gens arrivent de partout en fait. »

« Une personne a reçu une grenade de désencerclement dans sa capuche »

Des salariés ont pris des jours de congé. D’autres viennent chaque soir après le travail. Des dortoirs sont aménagés dans les bâtiments en dur, on se serre dans les cabanes ou les yourtes, et les nouveaux arrivants sont invités à venir avec leur tente. « Aujourd’hui, c’est étrangement calme », reprend Camille. Au carrefour de la Saulce, situé au milieu de la zone, une petite dizaine de personnes joue aux cartes derrière une barricade, profitant du printemps qui déchire enfin la grisaille, laissant passer ses rayons ensoleillés. Mais quand une alerte est lancée, chacun enfile ses lunettes et son masque. Certains se couvrent le visage, d’autres saisissent des morceaux de portes ou de taules en guise de boucliers recyclés. Des dizaines de personnes se pressent vers le lieu attaqué, parfois armées de cailloux et de cocktails Molotov. Les derniers arrivés demandent s’il y a eu des blessés. « Pas encore », répondent plusieurs voix entre deux quintes de toux dues aux fumées des gaz lacrymogènes.

Côté assistance médicale – les équipes « Médic » –, c’est la stupeur, comme en 2012 lors de la précédente tentative d’expulsion de la zad [2]. Marie, médecin généraliste, rapporte que les tirs tendus de flashball provoquent de graves blessures au niveau des yeux et des pieds. « Hier, des personnes ont été touchées au visage et au thorax, indique-t-elle. Une personne a reçu une grenade de désencerclement dans sa capuche et a heureusement eu le réflexe de la renvoyer immédiatement. Sinon cela aurait pu faire un mort. » L’ombre de Rémi Fraisse, jeune militant écologiste tué en 2014 par une grenade similaire à Sivens, dans le Tarn, plane [2].

L’équipe Medic annonce avoir soigné 80 personnes mais assure ne pas voir tout le monde, certains blessés se prenant en charge tout seuls. « Les éclats de grenade assourdissantes sont très petits et par conséquent très difficiles à retirer. Ce sont des blessures compliquées. » « La plupart des gens que nous voyons viennent sur la zad depuis des années », précise Marie. Vincent Delabouglise, porte-parole du collectif paysan Copains renchérit : « Beaucoup des personnes présentes sur zone sont des personnes engagées dans le mouvement depuis longtemps. Mercredi, il y a vraiment eu un déchaînement de violence sur des gens qui étaient venus pacifiquement exprimer leur soutien. »

« Un de leur gaz, de couleur jaune, rend vraiment malade »

En plus de la gravité des blessures, les soignant dénoncent des difficultés pour évacuer un blessé qui devait partir vers l’hôpital, et un usage illégal des armes de maintien de l’ordre. « Il y a eu des tirs tendus de grenades lacrymogènes et de Flashball en direction du visage ; et des bombes F4 lancées au couguar [un lance-grenade, les grenades F4 sont faites pour assourdir tout en dégageant du gaz lacrymogène, ndlr] qui ont explosé au niveau de la tête. Ils ont procédé à des coupures d’électricité sans aucun discernement. Un voisin a des couveuses de poussins : ils sont tous morts. Un autre, gravement malade, qui a besoin de machines pour se soigner, s’est retrouvé complètement paniqué. »

Marie-Jo, enseignante à la retraite, et déjà présente lors de l’opération policière de 2012, confie s’être sentie en danger mercredi lorsque les forces de l’ordre ont pris en étau les personnes présente au pique-nique de soutien organisé au cœur de la zad. « En 2012, on pouvait toujours s’échapper. Là, on était coincés. Ils arrivaient de toute part, nous obligeant à reculer très vite. Je suis tombée dans un fossé rempli d’eau. On n’a pas pu bouger ensuite jusqu’à la tombée du jour. » » Camille, « en rébellion depuis 40 ans », et habitué aux manifestations et aux violences policières relève que « côté matos, ils ont fait de gros progrès. Ils ont des trucs qui font mal sans tuer. Un de leur gaz, de couleur jaune, rend vraiment malade. On reste mal parfois pendant plusieurs jours » .

Fermes, salles communes, logement : « Ils cassent tout ce qu’ils peuvent »

« C’est un coup de bulldozer auquel personne ne s’attendait », déplore Marcel Thébault, paysan et résistant « historique » de Notre-dame-des-Landes. Personne ne comprend la logique qui prévaut. Ils ont rasé les « Cent noms », où vivaient huit personnes en train de régulariser leur activité agricole, mais ont épargné les « Vraies rouges », situées à proximité. Ils ont attaqué le pique-nique solidaire et pacifique qui se tenait mercredi dans un champ mais ont reculé face à une trentaine de personnes assises sur la route en défense de la Rolandière, un lieu « en dur » qui abrite une bibliothèque et où se dresse le phare de la Zad. « Ils ont annoncé qu’ils intervenaient pour arrêter 80 à 100 personnes, mais finalement, ils n’arrêtent presque personne », ajoute Gibier, qui développe un projet maraîcher. Plusieurs interpellations ont cependant eu lieu dans la matinée du 13 avril.

« En fait, ils cassent tout ce qu’ils peuvent », poursuit-il. 29 lieux auraient été détruits en quatre jours [3]. « Ils ont cassé des trésors. » Des fermes, comme les cent noms, dont la destruction a déclenché l’ire des paysans ; des espaces de réunions, comme le Gourbi, des logis... L’une des habitations détruite gît au milieu des rosiers et des tulipes colorées. En vrac. Des monceaux de paille et de terre se mêlent aux taules et aux voiles de bateau qui servaient de toit. Les habitants pique-niquent à proximité. « Les gendarmes ont même pris les fleurs en photos après avoir organisé la démolition de notre cabane » , soupire l’un des habitants devenu sans logis. « L’huissier était là, brandissant un papier présenté comme l’ordonnance d’expulsion, mais on n’avait pas le droit de le voir. »

Des négociations ruinées : « En faisant semblant de nous tendre la main, ils nous ont cassé le bras »

L’incompréhension est d’autant plus grande que plusieurs négociations s’étaient ouvertes ces dernières semaines. Imparfaites, puisque la délégation désignée par l’assemblée des usages de la Zad avait été refusée par la préfecture, mais suffisamment sérieuses pour que chacun croit à une accalmie côté policier. « Nous avions le sentiment d’être vraiment sur le chemin de la discussion », dit Marcel Thébault. Des rencontres se sont déroulées avec les services du ministère de la Transition écologique pour échanger à propos d’hectares litigieux. Une association collégiale a été créée pour pouvoir signer des baux précaires. Plusieurs occupants étaient en relation avec la Mutuelle sociale agricole pour étudier le statut juridique de leur activité....

« Ils nous avaient dit, lors de l’abandon de l’aéroport, qu’il fallait nous mettre en conformité avec le droit. Nous étions prêts à ça, insiste Gibier. Cela ne nous effraie pas. Simplement, nous avons besoin de temps. Et eux se sont empressés de nous détruire. En faisant semblant de nous tendre la main, ils nous ont cassé le bras. »

« Une cabane détruite, deux reconstruites »

Après avoir annoncé la fin des expulsions, la préfète de Loire-Atlantique Nicole Klein a assuré qu’elle allait reprendre les négociations avec L’Acipa, et « ceux qui le veulent », feignant d’ignorer que le mouvement de résistance est bien plus large que la seule association historique d’opposition à l’aéroport. « Le collectif, c’est la base et l’âme du mouvement, souligne Marcel Thébault. Si on se déclare individuellement [c’est ce que souhaite imposer la préfecture depuis plusieurs semaines, ndlr], c’est forcément contre les autres. Comment pourrions nous accepter ce marché ? Ce serait une reddition. Et nous refusons de nous rendre. » « Il faudra des semaines et des semaines pour renouer un éventuel dialogue, enfonce Dominique Fresneau, de l’Acipa. Nous n’avons plus du tout confiance. C’est terminé, c’est clair. »

En attendant de voir ce que décidera la prochaine Assemblée générale, tout le monde appelle à venir sur la Zad dimanche pour un grand chantier de reconstruction. « Les projets vont se multiplier avertit Geneviève. Une cabane détruite, deux reconstruites. Cette opération César 2, le gouvernement n’a pas fini de s’en mordre les doigts. » « Nous avons prévu de reconstruire le hangar des Cent noms dès dimanche », appuie Gibier. « Ils peuvent compter sur nous, glisse Henri, 70 ans. On ne dormira pas sur place ce soir, mais on revient dimanche et on va ramener du matos pour la construction. »

Nolwenn Weiler


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