Mai 68 – Continuer (ou pas) Poème d’Erich Fried

mercredi 9 mai 2018.
 

« Mon dieu en qui je ne crois toujours pas,

Accomplis une fois encore un miracle

Car il en est grand temps.

Ou, mieux encore, plusieurs miracles,

(Car un seul ne suffirait déjà plus),

Et viens en aide à ces infortunés intellectuels français

Pour qu’il devienne enfin à la mode chez eux

De ne plus courir après toutes les modes intellectuelles.

Aide-les à vaincre cette verve stylistique

Qui les métamorphose en un clin d’œil

D’hérétiques, bons et nécessaires,

En misérables renégats.

Aide-les à ne pas s’aveugler

À l’éclat de leurs brillantes formules

Qui cache l’inanité du contenu.

Et fais en sorte qu’ils jouent si bien

les avocats du diable

Qu’il leur pousse des cornes et des sabots

fourchus,

Et une longue queue, mais seulement dans le dos.

Aide-les à admettre qu’aucun argument au monde,

Si habile soit-il, ne peut excuser le snobisme, l’arrogance, et le racisme,

Comme l’antisémitisme et l’anti-arabisme.

Et qu’aucune critique, si légitime soit-elle,

des âneries, des crimes, et des fautes de la gauche,

Ne peut, par une pirouette de l’imagination,

justifier leur ralliement à la réaction.

Car la voie dans laquelle marche

ou s’engage la droite

N’ouvre aucune perspective, ni pour la France,

ni pour le monde.

Aide-les à comprendre,

Même si Marchais leur bouche la vue,

Et aussi horrible que soit le fiasco

en Afghanistan,

Qu’il n’en est pas moins stupide de brailler

Afghanistan ou Goulag

Quand on parle du Nicaragua

Ou de l’Afrique du Sud,

Et de croire avoir accompli ainsi quelque chose.

Aide-les, mon Dieu, avant qu’il ne soit trop tard,

À comprendre que la plus élégante manière de lécher

le cul de Reagan ou de Weinberger

Ne saurait remplacer la recherche naïve

D’une voie susceptible de sauver les humains

Et de sauver le monde [1]. »

Erich Fried, 1988.


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