Grand Paris L’argent avant les gens

jeudi 10 mai 2018.
 

Alors que les regards sont tournés sur la bataille du rail, un autre scandale a lieu en Ile de France : celui du Grand Paris Express (GPE), le plus grand ouvrage d’infrastructure d’Europe, qui va assurer les beaux jours des grands groupes.

A l’origine de ce projet de 68 nouvelles gares et de 200km de voies de métro : la crise des transports du quotidien dont le réseau actuel est incapable d’absorber la concentration de population étalée jusqu’en grande couronne voire dans les départements voisins. Le RER, construit sur un axe radial, ne répond pas aux besoins d’interconnexions et contribue au déséquilibre grandissant est-ouest. La décision est actée en 2010 de créer un réseau en « 8 » pour désenclaver les territoires et raccourcir les temps de trajets. Alors que les premiers chantiers ont débuté, le gouvernement d’Edouard Philippe a décidé le 22 février dernier de revoir le calendrier et le chiffrage de ce projet gigantesque.

« France is back »

Ce métro du futur correspond à la volonté d’inscrire Paris comme « ville-monde », au cœur de la « compétition internationale ». Nicolas Sarkozy, en 2009, le percevait comme condition de la réussite de la « stratégie d’attractivité » de la région capitale et de la France tout entière. Stratégie qui prévalait à la naissance du Grand Paris. Même logique sous François Hollande, qui, en 2013, a fait revoir les priorités de travaux et exigé de raccourcir les délais pour assurer la candidature de Paris aux Jeux Olympiques. On retrouve aujourd’hui cette exigence chez Emmanuel Macron, qui soutient le projet du plateau de Saclay, dont l’ambition est de devenir un hub de la recherche et de l’innovation. Connecté à Paris par la future ligne 18 du GPE, le président y voit le moyen pour la France de réussir le « bataille de l’intelligence (et) de l’attractivité ».

Le Grand Paris des transports, plus qu’une solution à la crise des déplacements pendulaires de la région, est finalement conçu pour offrir un récit à la métropole, dont l’avènement a longtemps fait débat Le réseau permet d’incarner cette nouvelle structure institutionnelle, qui elle, se met au service de la compétitivité économique du pays.

Faciliter les déplacements à forte valeur ajoutée, c’est aussi le sens de ce projet connexe qu’est le Charles de Gaulle Express, ineptie tout autant économique, écologique que démocratique. Alors même que les élus de l’Est parisien ont négocié l’arrivée de la ligne 17 du nouveau métro pour désengorger les lignes existantes et mal entretenues, les gouvernements successifs ont soutenu le maintien du projet de liaison de l’aéroport Charles de Gaulle à la gare de l’est, au tarif de 24 euros, traversant les territoires du RER B sans les desservir. Ce réseau, prévu pour une clientèle internationale et d’affaires de 22 000 passagers/jours, va utiliser 24 km des rails existants, déjà saturés par le trafic dense des 900 000 usagers du quotidien. Là encore, la perspective des Jeux Olympiques a prévalu*.

Préférer l’attractivité économique aux besoins des millions de franciliens ne dérange pas nos dirigeants. Rassurons-nous, avec le Grand Paris Express et le Charles de Gaulle Express, « France is back ! »

Critères d’austérité

Mais alors que l’ambition reste toujours la même, pourquoi en modifier le calendrier ? Le projet accuse à la fois un gros retard d’exécution et une explosion des coûts passés de 22 à 48 milliards d’euros. En cause, nous dit le gouvernement, les aléas et imprévus techniques dus à la complexité des sols en Ile de France, la surchauffe du secteur du BTP, ainsi qu’une gestion opaque.

L’obsession de la diminution de la dépense publique et le respect des sacro-saints critères budgétaires européens y sont aussi pour quelque-chose.

L’Etat, en 2010, a choisi de confier la maîtrise d’ouvrage à un établissement public industriel et commercial, la SGP. La France n’a donc pas eu à assurer directement la charge de la dette, mais le pays aurait pu contracter des prêts bien plus avantageux que la société publique. Qui plus est, les nouvelles règles de « bonne gestion » limitent désormais à 40 ans la durée d’endettement, ce qui fait bien peu sens, eut égard à l’ampleur du projet. En effet, le 1er métro parisien s’était financé sur une période de 70 ans. De plus, alors même que l’Etat avait prévu un subventionnement du projet à hauteur de 4 milliards d’euros, la promesse a été divisée par 4 en 2013. Et le gouvernement précédent a même inversé la tendance en décidant de faire peser d’autres charges d’infrastructures, comme le chantier du prolongement de la ligne E, sur la SGP.

Or, le premier ministre se targue d’avoir trouvé des solutions permettant de maintenir, dit-il, les engagements de l’Etat sur le tracé actuel et de contenir les surcoûts. Mais il ne remet pas en cause les critères d’austérité. Or, si l’Etat n’assure pas la charge de la dette, il doit tout de même l’intégrer dans son calcul comptable. On comprend alors la volonté d’étaler le projet dans le temps, et cela au détriment de celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Un Paris juteux

Ainsi, outre le recours à l’emprunt, la SGP finance les investissements par la fiscalité des entreprises et des ménages franciliens. Gilles Carrez, député LR missionné par le gouvernement pour trouver des solutions budgétaires, propose de marchandiser le foncier à proximité des nouvelles gares, afin de produire des recettes fiscales supplémentaires. Ces espaces qui initialement devaient être sanctuarisés pour assurer l’inter modalité, font l’objet de programmes immobiliers juteux au profit des gros conglomérats du BTP.

Le chantier du métro, c’est aussi le « Grand Paris Economique » : une manne de 100 milliards d’euros d’investissements dans les années à venir. Un montant qui « fait rêver les banques » selon le journal Les Echos.

Au lieu de désenclaver les territoires, le Grand Paris Express prend le chemin inverse. L’étalement urbain n’est pas endigué et le processus de gentrification va de pair avec le projet. Des expropriations sans solution de bon nombre d’habitants et de commerçants d’Aubervilliers en sont l’illustration. L’objectif est clairement assumé par l’entreprise publique comme par les parlementaires. Alors que la SGP, dans une brochure à destination des investisseurs, ventait « cette nouvelle offre urbaine (comme) une des réponses aux besoins prégnants des Parisiens qui souhaitent acquérir des appartements plus vastes en restant pleinement dans la métropole », les sénateurs ont rejeté une proposition de loi du groupe CRCE qui visait à imposer 30% de logements sociaux aux abords des nouvelles gares.

Les priorités actuelles de développement des transports semblent ainsi davantage relever d’une vision de la ville-marché que de la ville-politique. Or, les grands travaux publics nécessitent une vision politique. Elle seule permet la planification qui ne doit servir qu’à une chose : l’intérêt général.

Julia Killian

*Bruno Le Maire, a déclaré lors du débat sur le projet de loi finances 2018 : « il est indispensable d’accélérer la réalisation de cette infrastructure dans la perspective des JO de 2024 ».

Le rapport de la cour des comptes de décembre 2017, faisant notamment état d’une absence de prospective, d’un manque de transparence, d’un calendrier contraint et du renforcement des contraintes par l’impératif des JO.

Documentaire en 4 épisodes sur l’histoire et l’avènement du Grand Paris – France Culture, La Série Documentaire


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