Livres : Insoumis de toute l’Europe, unissez-vous !

jeudi 24 mai 2018.
 

A un an des élections européennes, deux livres récents nous proposent les premiers éléments d’un argumentaire insoumis adapté à la période ouverte par l’élection d’Emmanuel Macron.

Le vibrionisme européen qui aura marqué sa première année de mandat est la cible d’Insoumis, en Europe aussi ! Confrontant la parole présidentielle à l’examen des mesures effectivement prises, l’inventaire est dressé de douze mois d’hypocrisie et imposture : glyphosate, CETA, travail détaché, Défense, fiscalité… Vertige des renoncements macroniens. Non seulement le bilan est quasi nul, mais c’est bien la souveraineté populaire et nationale qu’E. Macron abandonne, pan après pan, au profit des lobbies, des multinationales, des paradis fiscaux, de l’OTAN, de la Commission européenne et du gouvernement allemand. « Le macronisme est un merkelisme comme les autres. »

Pas plus qu’hier, l’Europe de Macron ne sera une Europe qui protège, mais bien son exacte opposée : une UE qui détruit les solidarités entre les peuples, les protections sociales et les services publics qui les garantissent. Le libéral Macron n’est pas le défenseur d’une France souveraine. Tout au contraire, il est à lui seul une véritable « Troïka à domicile ». Ayant sans doute mieux compris que Sarkozy ou Hollande, le rejet profond par les peuples de cette Europe-là, il propose de passer en force une fois pour toutes.

C’est le mérite du livre que de replacer la « novation » macronienne dans le droit fil des tendances lourdes de l’UE. Ainsi, les victoires d’Orban en Hongrie, ou l’alliance droite - extrême-droite en Autriche ne sont pas des accidents ou des anomalies mais les nouvelles étapes du déploiement de la dimension autoritaire de l’UE. L’extrême-droite n’est plus un problème : elle est devenue une solution. Quoi qu’en dise Macron, l’UE ne sera pas un rempart pour la démocratie. Elle la combat déjà chaque fois qu’un peuple s’oppose aux traités et aux politiques européennes. La marche à l’abîme de l’UE se poursuit.

Mais depuis les européennes de 2014, des changements se sont opérés qui dessinent une perspective plus optimiste. Les premières briques d’une Europe insoumise sont posées. De ce point de vue, le renoncement de Syriza aura eu (involontairement et tragiquement) une utilité : démontrer qu’une alternative ne peut pas se réaliser « à traités constants » puisque ces mêmes traités donnent à l’UE les armes pour étrangler économiquement un gouvernement qui voudrait sortir des logiques austéritaires. La capitulation de Tsipras aura ainsi accéléré et clarifié le processus d’élaboration d’une stratégie internationaliste de sortie du carcan. Dans toute l’Europe, des forces qui contestent l’orientation économique de l’UE sont nées ou se sont renforcées. Du premier sommet du plan B à la signature de l’accord politique entre Bloco portugais, Podemos et France insoumise, se construit la possibilité de briser l’étau. Le projet hier abstrait d’une autre Europe possible devient un espoir tangible pour les citoyens.

Faire la pédagogie de l’articulation des stratégies de la France insoumise à l’échelle nationale et à celle de l’UE est une vertu d’Insoumis en Europe aussi ! D’autres promettront encore en 2019 « l’Europe sociale » mais dans le strict respect de traités qu’ils ne veulent en rien contester. A l’inverse, la France insoumise et ses partenaires construisent le plan B d’une alternative pour l’Europe, basé de façon réaliste sur la construction d’un rapport de force avec l’ordo-libéralisme, incluant la possibilité d’une rupture avec la zone euro et les traités. Bien compris, le Plan A / Plan B de la France insoumise ne conduit pas à la mise à l’écart de la France. Il sera l’outil déterminant pour rebâtir une Europe politique fondée sur le respect des souverainetés populaires et le développement de nouvelles solidarités régionales.

Hasard ou stratégie éditoriale ? Alerte à la souveraineté européenne ! vient intelligemment compléter ce plaidoyer pour une Europe insoumise en interrogeant les fondements théoriques de l’européisme macronien. Avec vigueur, l’essai démontre que la politique du nouveau président ne peut se réduire à une série de coups de com’. Elle porte une ambition qui, pour être illusoire, n’en représente pas moins un danger mortel pour la souveraineté populaire : « abandonner la Nation en tant que corps politique pour lui préférer la chimère d’un peuple européen ». Il faut donc prendre au sérieux cette offensive et la suivre dans ses développements. En une année, les discours présidentiels ont fixé un cadre théorique clair, confirmé le 17 avril 2018 au Parlement européen. Pour E. Macron, l’Europe politique doit être refondée sur le présupposé de l’existence d’un peuple européen défini en terme identitaire afin de basculer dans l’ère de la souveraineté européenne.

Mais pour attirer des partenaires, en premier lieu la chancelière Merkel, le président Macron doit donner des gages. C’est le sens profond des abandons français des derniers mois. Nouveau Pyrrhus, Macron paie au prix fort son rêve de souveraineté européenne : celui de la liquidation de la souveraineté nationale. C’est bien là le risque majeur : « soit cette souveraineté européenne est une souveraineté populaire supra ou extra-nationale, dont l’objet serait un peuple européen, et en ce cas, elle induit donc une citoyenneté européenne. Soit il s’agit d’une forme de souveraineté délestée de l’attribut du peuple […] Celle-ci habille alors le transfert de la souveraineté populaire vers une souveraineté technocratique. » Double impasse donc ! En se lançant à la recherche d’un improbable peuple européen, Macron échoue inévitablement au rivage identitaire et huntingtonien d’une Europe-civilisation, dont l’unité tiendra à son opposition aux cultures voisines. Triste perspective… Reste la chimère d’une identité post-nationale, fondée sur une hypothétique citoyenneté européenne qui n’a d’autre contenu que la délégation permanente de la puissance souveraine du peuple à un imperium technocratique délivré de tout contrôle politique véritable.

Dévoiler la supercherie de la souveraineté européenne est donc l’impérative première étape de la défense de la souveraineté populaire pour construire une Europe des peuples. C’est-à-dire, pour nos deux auteurs, une Europe insoumise.

Pierre-Yves Legras


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