Printemps 2018 L’Arménie en révolution

mardi 12 juin 2018.
 

4) Le second printemps arménien

Source : https://www.monde-diplomatique.fr/2...

Après trois semaines de manifestations pacifiques et de désobéissance civile, un jeune député de l’opposition est devenu premier ministre d’Arménie, le 8 mai dernier. Une population urbaine, créative, polyglotte a réussi à renverser un pouvoir verrouillé, typique de l’espace postsoviétique, dans un mouvement qui évoque davantage celui de l’indépendance que les « révolutions de couleur ».

Tee-shirt camouflage, casquette à large visière et sac à dos de campeur, M. Nikol Pachinian est un marcheur aguerri. Barbe poivre et sel, la voix cassée, ce député de second rang représentant une opposition atone s’est révélé un orateur de talent, capable de redonner le goût de la politique à une jeunesse arménienne qui ne rêvait plus que d’exil. Lorsqu’il part de Gumri, le 31 mars 2018, il n’a réuni qu’une dizaine de partisans dans cette ville du Nord, sinistrée depuis le tremblement de terre de 1988 et la désindustrialisation. Mais son slogan « Merjir Sergin » (« Refuse Serge ») fait mouche : président de la République depuis dix ans, M. Serge Sarkissian tente de s’accrocher au pouvoir par un tour de passe-passe constitutionnel qui fait de lui un premier ministre aux prérogatives renforcées. Quelques semaines et 250 kilomètres plus tard, lorsque les marcheurs arrivent aux portes de la capitale, Erevan, ils sont plusieurs dizaines de milliers à lui dire : « Dégage ! »

Dans un pays d’un peu moins de trois millions d’habitants, on estime qu’environ une personne sur cinq a participé à ce ruisseau devenu rivière, puis fleuve. Le 23 avril, ils étaient au moins 150 000 dans la seule capitale, pour obtenir la libération de M. Pachinian, brièvement interpellé par la police. « Nikol Pachinian avait raison. Et moi, je me suis trompé », a fini par lâcher M. Sarkissian en s’inclinant et en démissionnant le soir même, six jours seulement après son investiture. La veille, une rencontre improbable avait réuni les deux hommes devant les caméras et révélé l’ampleur du choc générationnel.

Cette mobilisation et ce basculement de l’histoire rappellent les grandes manifestations écologistes et nationalistes de 1987 et 1988 à Erevan, qui préfigurèrent l’éclatement de l’Union soviétique. Comme le note l’ethnologue Levon Abrahamian, on retrouve à trente ans de distance une même dimension festive, artistique, et cette étincelle allumée par une poignée d’intellectuels et de militants peu connus. M. Pachinian n’avait que 13 ans à l’époque. Avec lui, les enfants de la « génération 1988 » demandent aujourd’hui des comptes à leurs parents qui se sont battus en faveur de l’indépendance, puis lors de la guerre du Haut-Karabakh (1988-1994) pour arracher à l’Azerbaïdjan cette ancienne république autonome majoritairement peuplée d’Arméniens [1].

Si elle a nourri des élans de fierté tant en Arménie que dans la diaspora, cette guerre — victorieuse sur le terrain mais sans solution diplomatique — a ruiné le pays, tout en l’installant dans une situation géopolitique précaire. Il a subi un double blocus, turc et azéri, et s’est retrouvé dépendant de ses alliés : la Russie pour sa sécurité et l’Iran pour son approvisionnement, notamment en gaz. Les principaux acteurs de la guerre ont pris les commandes, non seulement dans la petite république autoproclamée, mais aussi à Erevan. Président de la « république du Haut-Karabakh » de 1994 à 1997, M. Robert Kotcharian est ainsi devenu premier ministre, en 1997, puis président de la République d’Arménie, de 1998 à 2008. Avant de lui succéder, M. Sarkissian a été son chef d’état-major, puis son ministre de la défense. Tous deux sont nés à Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh, et ont commencé leur carrière politique au sein du Parti communiste, du temps de l’URSS.

Collusion entre oligarques

Après avoir écarté du pouvoir les figures de l’indépendance, dont le premier président Levon Ter-Petrossian, les hommes du Haut-Karabakh, les « Karabakhis », ont mis en place un système politique verrouillé qui aura tenu vingt ans, en s’appuyant sur trois piliers : la maîtrise des élections, le contrôle des affaires et de bonnes relations avec la Russie.

En matière électorale, l’Arménie illustre à merveille le concept de « ressources administratives » ainsi décrit par la commission de Venise au sein du Conseil de l’Europe : « Les ressources administratives sont des ressources humaines, financières, matérielles, en nature et autres ressources immatérielles dont disposent les candidats sortants et les fonctionnaires lors des élections grâce au contrôle qu’ils exercent sur le personnel, les finances et les affectations au sein du secteur public, à l’accès dont ils jouissent aux équipements publics, ainsi qu’au prestige ou à la visibilité publique que leur confère leur statut d’élu ou de fonctionnaire [2]. » Si les protestations régulières aux soirs des résultats furent vaines avant le printemps 2018, elles ont rythmé la vie civique depuis deux décennies, et permis à M. Pachinian d’apparaître comme un chevalier blanc.

En 1998, celui-ci était rédacteur en chef du journal Oraghir(« Quotidien »). Il est ensuite devenu celui de Haïkakan jamanak(« Le Temps arménien »), proche de l’opposition à M. Kotcharian. Conscient des limites de son action en tant que journaliste, il se lance en politique et fonde en 2006 Aïlentrank (« Alternative »), un mouvement de la société civile. Il s’en sert comme d’un tremplin pour se présenter aux élections législatives de mai 2007 sur une liste proche de l’ancien Mouvement national arménien (MNA, au pouvoir entre 1991 et 1998). Lorsque M. Ter-Petrossian conteste la victoire de M. Sarkissian à la présidentielle de 2008, M. Pachinian anime les manifestations à Erevan. Après l’instauration de l’état d’urgence, il passe dans la clandestinité. Recherché pendant plus d’un an, il se rend finalement à la justice et sera incarcéré jusqu’en 2011.

Armature du système, le Parti républicain d’Arménie (HHK), affilié au Parti populaire européen, revendique une idéologie ultranationaliste et conservatrice, qu’il a puisée dans les écrits du combattant nationaliste Gareguine Njdeh (1886-1955), apôtre de la « religion de la race » (tserakron). Le HHK a progressivement pris le contrôle des principaux leviers du pouvoir. Pas un directeur d’établissement scolaire ou maire de village n’échappe à sa clientèle de 140 000 membres. Le pragmatisme tous azimuts de ce parti qui domine le Parlement s’accommode parfaitement des relations d’interdépendance tissées entre petits ou hauts fonctionnaires et puissants hommes d’affaires.

En matière économique, les mandats de MM. Kotcharian et Sarkissian ont été marqués par l’accélération des privatisations amorcées sous la présidence de M. Ter-Petrossian. Les concessions aux intérêts privés russes ou arméniens ont fait office de politique d’investissement et conduit à brader les richesses, en particulier minières, en sacrifiant l’environnement. Une quarantaine d’oligarques, dont plusieurs députés, contrôlent l’essentiel des activités industrielles, commerciales et bancaires. L’Arménie occupait en 2017 la peu enviable cent septième place du classement de perception de la corruption de Transparency International, et l’organisation Freedom House, qui étudie les nations en transition, la range dans la catégorie des « régimes autoritaires semi-consolidés [3] ». Cette captation des ressources entraîne l’aggravation des inégalités. En dépit de la croissance retrouvée au cours de la dernière décennie, près d’un tiers de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté, et le taux de chômage atteignait 18 % en 2016 [4].

Conséquence : l’exode a saigné le pays à blanc, tout en servant de soupape au mécontentement politique. Près d’un tiers de la population aurait quitté le pays. L’Arménie compte aujourd’hui, au mieux, 650 000 habitants de moins qu’à la fin de l’époque soviétique [5]. Les revenus de transfert, envoyés par les émigrés installés en Russie ou en Occident, représentaient près de 20 % du produit intérieur brut (PIB) en 2013, et encore 13 % en 2016 [6]. Ils profitent bien peu aux investissements, mais beaucoup à la consommation de produits d’importation, dont les oligarques contrôlent la distribution. Cette déprime démographique accroît aussi la menace sur la sécurité du pays, alors que l’Azerbaïdjan enregistre 3,5 fois plus de naissances par an et est doté d’un budget militaire près de trois fois supérieur [7].

Le conflit du Haut-Karabakh a enfin placé l’Arménie dans une dépendance étroite à l’égard de la Russie. Alliés stratégiques dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), les deux pays ont un système de défense aérienne commun. En vertu d’un traité signé en 1992, des soldats russes protègent aussi la frontière arméno-turque, et disposent à Gumri d’une base de trois mille hommes, dont le bail a été reconduit jusqu’en 2044. Le Kremlin contrôle l’enlisement du processus diplomatique, qui entérine de fait le statu quo : ni guerre ni paix. Acteur central du groupe de Minsk, fondé en 1992 (avec les États-Unis et la France), Moscou conserve un levier de pression en armant Erevan ou Bakou au gré de ses intentions ou intérêts du moment. Le rapprochement récent de Moscou et Ankara a laissé craindre, côté arménien, de nouvelles pressions pour la restitution des territoires azéris occupés. Des ventes d’armes à l’Azerbaïdjan ont été perçues par une grande partie de l’opinion arménienne, traditionnellement russophile, comme une trahison après l’offensive sur la ligne de front qui a coûté la vie à 94 soldats arméniens en avril 2016, selon la représentation du Haut-Karabakh en France. Mais, en octobre 2017, le gouvernement arménien annonçait que Moscou allait lui concéder un nouveau prêt de l’ordre de 100 millions de dollars, pour financer l’achat d’armes russes à prix d’ami...

La dépendance stratégique se double d’une dépendance économique, des intérêts russes s’étant emparés de secteurs-clés de l’économie arménienne : nucléaire, gaz, électricité, transports, etc. La Russie contribue à 39,5 % des investissements directs étrangers dans le pays, et plusieurs oligarques arméniens sont liés à leurs homologues russes. Quand il était député de l’opposition, M. Pachinian ne s’était pas privé de critiquer en 2013 l’adhésion à l’Union économique eurasiatique, sous la direction de Moscou, au moment où son pays s’apprêtait, comme l’Ukraine, à rejoindre le partenariat oriental de l’Union européenne.

Canaliser l’énergie de la jeunesse

Quand les manifestations d’avril ont pris de l’ampleur, le Kremlin a opté pour la prudence. Signe fort : les dirigeants russes ont accordé un plus grand crédit aux rapports de leurs diplomates qu’aux avertissements des émissaires du pouvoir arménien dépêchés à Moscou pour présenter les événements en cours comme une répétition des « révolutions de couleur », ces mouvements de rue qui conduisirent dans les années 2000 à des régimes hostiles aux intérêts russes en Ukraine, en Géorgie ou au Kirghizstan.

Si Erevan et les principales villes du pays ont pris part au mouvement, le Sud, davantage contrôlé par le HHK, et surtout le Haut-Karabakh n’ont pas bougé. Jouant sur la corde sensible et martelant l’impératif de la cohésion nationale, les dirigeants du HHK n’ont cessé d’annoncer une prochaine attaque azérie. Mais cet épouvantail a eu davantage d’impact dans la diaspora que dans la population arménienne, échaudée par les scandales de corruption qui minent l’appareil de défense. Conscient de l’importance de l’enjeu, M. Pachinian a voulu prouver qu’il maîtrisait ce dossier et a effectué son premier déplacement de chef du gouvernement à Chouchi, pour l’anniversaire de la prise de cette ville, le 9 mai 1992, qui avait marqué un tournant décisif de la guerre.

La société civile arménienne s’est consolidée par strates successives, gagnant en maturité à chaque mouvement de contestation : élection de 2008, opposition aux aménagements urbains à Erevan en 2011, à la hausse des tarifs de bus en 2013, à la hausse de ceux de l’électricité en 2015, etc. M. Pachinian a su canaliser à son profit l’énergie et la mobilisation des jeunes étudiants et militants, et leur maîtrise des réseaux sociaux. Le mouvement de 2018 a même trouvé sa bande-son avec la chanson Kaïlum em (« Je marche »), interprétée par le chanteur de rock Haïk Stver, dont les paroles ont été écrites par M. Pachinian lui-même.

Lui qui n’a jamais vraiment fait autre chose que du journalisme et de la politique de rue va cependant devoir composer avec un Parlement encore dominé par le HHK, peu pressé de remettre ses sièges en jeu et de modifier la loi électorale. Il devra aussi négocier des contreparties avec certains de ses nouveaux alliés, comme l’oligarque Gaguik Tsaroukian, chef de file d’Arménie prospère (BHK, conservateur), le deuxième parti au Parlement. Plus complexe encore : il lui faudra mettre en place une séparation des pouvoirs, assurer un renouvellement des générations et trouver une solution durable au Haut-Karabakh.

Sur le plan extérieur, la realpolitik s’impose déjà. Hier critique de l’adhésion de son pays à l’Union économique eurasiatique, l’ancien député d’opposition a revêtu son habit neuf de premier ministre pour rejoindre à Sotchi, le 14 mai, les chefs d’État de l’organisation, qui lui ont réservé un accueil des plus chaleureux. La composition du nouveau gouvernement de transition, caractérisé par la jeunesse et l’inexpérience, jette aussi un voile d’incertitude sur ses chances d’aboutir à des résultats probants. S’il ne veut pas décevoir ceux qui l’ont porté au pouvoir en revenant à l’immobilisme de la génération 1988, le nouveau premier ministre devra avancer vite sur trois fronts : l’organisation d’élections transparentes, le combat contre les prébendes et l’établissement d’un partenariat plus équilibré avec la Russie.

Tigrane Yegavian

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Notes

[1]

Lire Philippe Descamps, « Etat de guerre permanent dans le Haut-Karabakh », Le Monde diplomatique, décembre 2012.

[2]

« Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les processus électoraux », Commission européenne pour la démocratie par le droit (commission de Venise), Conseil de l’Europe, Strasbourg, 20 décembre 2013.

[3]

Rapport 2018 sur les nations en transition.

[4]

Comité statistique de la République d’Arménie.

[5]

L’Arménie comptait 3,6 millions d’habitants de jure en 1992, contre 2,9 en 2017, selon les statistiques officielles, probablement très optimistes.

[6]

« Migration and remittances data » et données générales sur l’Arménie, Banque mondiale, Washington, DC, avril 2018.

[7]

Ce budget est de 1 529 millions de dollars, contre 444 pour l’Arménie en 2017. « Military expenditure by country, in constant », Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), 2018.

3) Révolution de couleur en Arménie ?

La démission le 23 avril du Premier ministre Serge Sarkissian, président de 2008 à 2018, est une victoire pour l’opposition, estime le quotidien arménien Golos Armenii, qui dénonce une ingérence occidentale.

Nous vivons désormais dans une nouvelle réalité politique, qui s’appuie sur le fait que, une fois encore, l’opposition en Arménie a été remodelée. Nikol Pachinian, leader du parti Contrat civil, opposant invétéré, a, contre toute attente, réussi à réanimer dans le pays un mouvement de contestation qu’on croyait à jamais enterré. Les pronostics, en particulier formulés par le Parti républicain au pouvoir, selon lesquels il n’y avait pas en Arménie d’élan civique suffisant pour une contestation de masse, ne se sont pas vérifiés. On pourrait débattre sans fin sur le nombre de participants aux manifestations, mais une chose est sûre : le mouvement appelé “Mon pas”, qui n’a d’abord pas été pris au sérieux, et a même été moqué par la plupart des forces politiques, a déjà remporté une victoire, même si elle pourrait être de courte durée.

Se pose maintenant la question suivante : quels étaient les objectifs du député Pachinian lorsqu’il a essayé par tous les moyens de déstabiliser la situation politique dans le pays ? Il en avait deux : premièrement, confirmer sa position de leader de l’opposition arménienne, un rêve qu’il poursuivait depuis des années ; et, deuxièmement, gâcher autant que possible le tableau idyllique de la stabilité politique dépeint par le pouvoir, tout en offrant aux médias occidentaux des images de barbelés, de canons à eau et enfin d’affrontements dans le centre d’Erevan. Ces deux objectifs ont donc été atteints.

Le monde occidental a reçu sa carte postale de manifestations Nikol Pachinian, qui rappelle de plus en plus [l’ex-président géorgien] Mikheil Saakachvili dans sa période “révolution des Roses”, s’est annoncé comme étant le seul leader d’opposition capable de faire descendre les gens dans la rue, et il y est parvenu. D’ailleurs, comme il a été sous-estimé cela a beaucoup contribué au fait que les services de sécurité et le clan au pouvoir ne se soient pas préparé à la nouvelle tactique adoptée dans la rue par l’opposition. Par une série d’actions de provocation et de techniques ouvertement inspirées de Maïdan [révolution ukrainienne de 2014], Pachinian a réussi à rassembler autour de lui la frange radicale de l’électorat contestataire, prête à suivre quiconque s’oppose au pouvoir. Ainsi, il a pu remplir son second objectif : le monde occidental a reçu sa carte postale de manifestations, d’affrontements et de bacchanales venue de la capitale du seul allié de la Russie dans le sud du Caucase, et ses journaux ont pu titrer sur une “révolution de velours” en marche.

Dans le contexte des événements en cours en Arménie, la question de l’ingérence étrangère est devenue centrale. Il a suffi que la police fasse usage de moyens spéciaux sur l’avenue Bagramian pour que le Département d’État américain, l’OSCE et quelques organisations internationales “de défense des droits humains” prennent fait et cause pour les manifestants. Bien entendu, dans l’idée des Occidentaux, les bacs à ordures et les bancs renversés, les rues barricadées, etc., ne sont que des moyens d’exprimer un désaccord de manière pacifique, du moins lorsqu’il s’agit de pays non occidentaux. Car l’Arménie n’est pas l’Espagne, où l’on peut saluer la sévère répression contre le peuple catalan qui tente de faire valoir son droit à l’autodétermination ! Le rêve d’un “Euromaïdan” arménien

Le message de l’Occident à l’adresse de l’Arménie a été sans équivoque : vous mènerez une politique du “l’un et l’autre” et non “l’un ou l’autre”, pour énerver Moscou, vous aurez même peur d’adopter ne serait-ce que l’idée de l’enseignement du russe dans les écoles, vous signerez un accord de partenariat renforcé avec l’Union européenne, et nous, nous continuerons à financer les ONG, à entraîner l’opposition pro-occidentale à déstabiliser la situation politique dans le pays, en particulier en impliquant les étudiants, et même les lycéens, et nous révélerons le futur leader de votre “Euromaïdan” arménien.

Aujourd’hui, Nikol Pachinian a fait tout ce qu’il voulait et pouvait faire. Maintenant, la balle est dans le camp du pouvoir. Sauront-ils en tirer des conclusions, laisseront-ils de côté des dossiers trop éloignés des réalités pour se consacrer enfin aux graves problèmes sociaux que rencontrent les Arméniens ? Le pays ne se serait-il pas enfermé dans une propagande patriotique primaire, trop éloignée de la réalité où règnent l’injustice et nombre d’autres problèmes ? Sinon, dans trois, quatre ou cinq ans, la “génération de l’indépendance” risquerait de jouer un mauvais tour au pouvoir en place, et à tout le pays par la même occasion.

Ivan Grigorov

Lire l’article original :

http://www.golosarmenii.am/article/...

Traduction : Courrier international

2) En Arménie, la révolution des oubliés

C’est de Gyumri, la deuxième ville du pays, qu’est partie la marche vers le pouvoir de Nikol Pachinian. Pas étonnant : meurtrie par le séisme de 1988, la cité végète dans une grande pauvreté

Source suisse : https://www.letemps.ch/monde/armeni...

S’il ne trébuche pas sur un dernier caillou invisible, Nikol Pachinian devrait être élu ce mardi premier ministre arménien par l’Assemblée nationale, à Erevan. « Voici venu le temps de la renaissance d’une nation millénaire qui a traversé des siècles de souffrance », avait-il déclaré le 1er mai. Au terme d’un long parcours. Deux mois plus tôt, alors qu’à Erevan, une bande de jeunes activistes préparait en silence une révolution civique, Nikol Pachinian enfilait son sac à dos et ses godillots de marche sur l’esplanade centrale de Gyumri, la deuxième ville du pays. De là, il est remonté en treize jours sur Erevan, 215 kilomètres plus loin.

Gyumri ? Tout sauf un hasard… La ville est doublement martyre, détruite à 60% par le séisme de 1988 et décimée par la misère. Gérante du café Ponchik Monchik, Tamara a une vue hors pair sur la place. « Je me souviens de l’avoir vu il y a un mois, juste en face, témoigne-t-elle : il n’y avait personne avec lui, il marchait tout seul dans la rue, avec son téléphone. Un mois plus tard, il est revenu en campagne et là, il n’était plus seul du tout ! Le jour de la grève générale, la ville a été complètement bloquée. Les gens écoutent Pachinian, lui font confiance. Ce qui n’était pas le cas avec l’ancien président. »

Foyer de lutteurs

Gyumri, cité de grandes gueules, à l’humour ravageur, foyer de lutteurs et d’haltérophiles, s’est toujours refusée à l’ancien premier ministre Serge Sarkissian et à son Parti républicain, qui n’y a jamais dépassé les 27%. Arousyak Oganessian, ancienne directrice de lycée, a été membre de la formation. « Il y a dix ans, on m’a conseillé d’y entrer. Après quatre ou cinq ans, j’ai compris que ce parti ne travaille pas pour les gens mais pour lui-même et pour ses membres. »

Arousyak Oganessian a quitté le parti quand celui-ci lui a reproché de ne pas emmener ses lycéens aux manifestations officielles. Son établissement, ouvert en 1989 par la Croix-Rouge hongroise après le séisme meurtrier, « un des meilleurs du pays », a été fermé en 2017 par les autorités. En un an, 16 établissements du genre ont mis la clé sous la porte dans le pays. « La nation ne va nulle part, mes élèves, les meilleurs, sont partis à l’étranger », explique-t-elle.

Gyumri ne vit pas, elle survit. Dans le centre, les stigmates du terrible séisme de 1988 sont encore visibles partout. Des rues entières de vieilles maisons du XIXe siècle, autrefois habitées par des familles d’officiers impériaux russes, en poste face à l’Empire ottoman, sont désormais vides. Avant le séisme, la ville comptait plus de 250 000 habitants, le grand tremblement a emporté 17 000 âmes, puis la ville a entamé son déclin.

Emigration massive

Depuis, Gyumri a perdu la moitié de sa population. Au dernier recensement de 2008, elle comptait encore 140 000 âmes. Puis la tendance s’est accélérée pendant les années Sarkissian. Selon le gouverneur démissionnaire de la région du Shirak, Artur Khachatrian, il n’y aurait plus que 115 000 habitants. Le niveau de vie est deux fois moindre qu’à Erevan, le chômage atteint 55%. Et 46% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

« Les gens partent à l’étranger comme « Gastarbeiter », principalement en Russie », explique un militant dont le parti révolutionnaire et nationaliste Dachnak vient de quitter la coalition au pouvoir. « Je vois une tendance négative, poursuit-il. Des familles partent dans l’Oural pendant dix ans et ne reviennent plus. Ici, le chômage touche toutes les couches de la société, l’intelligentsia comme les travailleurs. »

En trente ans 700 000 Arméniens ont émigré et le phénomène s’est accéléré dans la dernière décennie : 300 000 départs. Pas surprenant dans ce contexte que l’opposition ait eu à Gyumri plus de soutien qu’ailleurs. « J’ai été très surpris que cela se passe aussi vite, commente Artur Khachatrian. Mais Nikol Pachinian est un homme qui comprend le peuple et il suscite beaucoup d’espoir, en particulier chez les jeunes. »

« Le changement n’est pas venu »

Ce constat est partagé par Aramais Ayrapetian, un avocat de 33 ans, qui n’a jamais voulu quitter Gyumri. « On espérait le changement, mais il ne venait pas, explique-t-il sous le soleil printanier. [Le Parti républicain] nous promettait du changement, mais le changement n’est pas venu. On leur a donné beaucoup de temps, dix ans, vingt ans, mais on ne pouvait plus attendre. Quand les manifestations ont éclaté, un vrai mouvement populaire, le régime n’avait pas la force d’y résister. »

Il y a encore deux mois, Ogannes Vantsyan, un juriste de formation qui n’a jamais travaillé dans son domaine mais enchaîne depuis des années des boulots de menuiserie, comptait émigrer en Russie. Au début de la révolution, il a changé d’avis. « Je suis allé à tous les meetings, dit-il, dans un appartement soviétique décati. J’ai commencé à changer mes plans quand les gens sont sortis dans la rue. Nous commençons à avoir un petit espoir. Le peuple a compris qu’il avait son mot à dire. »

1) « Révolution de velours », coup de théâtre et grève générale… Trois semaines qui ont bouleversé l’Arménie

Source : https://www.lemonde.fr/europe/artic...

De la démission du premier ministre Serge Sarkissian face à la contestation de la rue à l’élection du dirigeant de l’opposition Nikol Pachinian mardi, retour sur trois semaines de protestations qui ont agité le petit pays du Caucase.

L’Arménie se dirige-t-elle vers une sortie de crise ? Après plus de trois semaines de troubles ayant entraîné la démission de Serge Sarkissian, le dirigeant de l’opposition Nikol Pachinian a été élu premier ministre par les parlementaires, mardi 8 mai.

« Héros » de ce mouvement de protestation, M. Pachinian assurait lundi avoir « 95 % » de chances de l’emporter, une semaine après un premier échec, qui avait entraîné une grève générale de plusieurs heures dans tout le pays. Retour sur cette « révolution de velours » qui a agité l’Arménie, petit pays du Caucase de trois millions d’habitants.

17 avril : Sarkissian élu premier ministre, des milliers de manifestants dans la rue

Au début d’avril, le Parti républicain de Serge Sarkissian remporte les élections législatives et conserve sa majorité au Parlement. Un scrutin contesté par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui dénonce des irrégularités et notamment « des achats de vote et des actes d’intimidation des électeurs ». Dès le 13 avril, des mouvements de contestation émergent. Ils deviendront encore plus importants à partir du 17 avril, jour où M. Sarkissian — président de 2008 à 2018 —, est élu premier ministre par le Parlement.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2015, qui a transformé l’Arménie en république parlementaire, le pouvoir exécutif réel est désormais entre les mains du premier ministre. Pour l’opposition, ce changement de la Constitution avait uniquement pour but de maintenir au pouvoir M. Sarkissian.

La manœuvre du dirigeant (réputé prorusse), qui n’est pas sans rappeler celle de Vladimir Poutine échangeant les rôles, de 2008 à 2012, avec son premier ministre Dmitri Medvedev, provoque la colère d’une partie de la population « Sarkissian veut rester au pouvoir éternellement », assure alors un opposant du parti Héritage, Raffi Hovannissian.

Dès le résultat connu, des dizaines de milliers de personnes manifestent dans tout le pays, à l’appel de l’opposant et député Nikol Pachinian. Dans la capitale, Erevan, les manifestants bloquent l’accès aux principales rues, au ministère des affaires étrangères, ou encore au service des impôts.

22 avril : Pachinian interpellé, des militaires rejoignent les manifestants

Alors que le mouvement ne faiblit pas dans la rue, les deux adversaires, MM. Sarkissian et Pachinian, se retrouvent le 22 avril pour une brève entrevue dans un grand hôtel d’Erevan. Mais la discussion tourne court.

« Je suis venu ici pour discuter des termes de votre démission et des conditions d’une transition pacifique et sans heurt du pouvoir », lance d’emblée Nikol Pachinian à Serge Sarkissian. « Les enseignements du 1er mars n’ont pas été tirés », menace alors le premier ministre, dans une référence aux événements de 2008. Cette année-là, au moment où M. Sarkissian parvenait au pouvoir dès le premier tour de la présidentielle, dix personnes furent tuées lors de violents affrontements avec la police. Le jour de la rencontre entre les deux opposants, le ministère de l’intérieur faisait d’ailleurs savoir, dans un communiqué, que les forces antiémeutes étaient autorisées « à recourir à la force ».

« Personne n’a osé et n’osera nous tenir un langage de menaces. Je vous le dis : vous ne comprenez pas la situation qui règne dans le pays. Elle est différente de celle que vous connaissiez il y a quinze ou vingt jours […]. Le pouvoir est passé aux mains du peuple », riposte alors le député de l’opposition, qui fut l’un des meneurs des manifestations de 2008. Quelques instants plus tard, M. Pachinian, qui prône désormais une « révolution de velours » est interpellé par la police, ainsi que deux cents manifestants.

Mais le lendemain, le 23 avril, près de deux cents militaires en tenue rejoignent les protestataires dans la rue. Un tournant dans le mouvement de contestation.

23 avril : Serge Sarkissian démissionne, la rue exulte

Et soudain, c’est l’explosion de joie dans les rues d’Erevan. Après une dizaine de jours de manifestations massives, Serge Sarkissian annonce son départ le 23 avril dans la soirée : « J’abandonne la direction du pays. » La présence inattendue de militaires avec les manifestants a précipité cette démission surprise. « Nikol Pachinian avait raison. Et moi, je me suis trompé », reconnaît M. Sarkissian.


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