Droits humains. Vedanta, la multinationale britannique qui mine l’Inde

dimanche 24 juin 2018.
 

Au moins douze personnes ont été tuées la semaine dernière alors qu’elles manifestaient contre le géant industriel à la réputation sulfureuse.

En Inde, le Vedanta désigne, depuis la nuit de l’hindouisme, une métaphysique fondée sur la vision de l’unité du monde, des hommes et de la vie. Depuis quinze ans – et plus encore depuis la semaine dernière –, le mot est aussi devenu synonyme de mort.

Car Vedanta, c’est le nom que s’est choisi cette multinationale britannique, géante de l’industrie minière implantée un peu partout dans le monde, et particulièrement dans ce qui fut le pays de Gandhi, où elle possède les deux tiers de ses usines. Parmi elles, celle dirigée par sa filiale Sterlite Copper, une fonderie de cuivre installée dans la ville de Tuticorin, dans l’État du Tamil Nadu, tout au sud. Cela faisait grosso modo cent jours, mardi 22 mai, que des milliers de personnes manifestaient contre les projets d’expansion de l’industriel, dénonçant la pollution mortifère générée par sa production. La mobilisation a fini par récolter le sang  : la police a tiré sur la foule, occasionnant le terrible bilan de 12 morts et de plus de 100 blessés graves (lire notre édition du 25 mai).

Les autorités de Tuticorin se voient internationalement sommées de s’expliquer sur cet usage disproportionné de la force, face à des manifestants qu’elles qualifient aujourd’hui d’émeutiers, mais qui, depuis le début de leur marche, avaient démontré le pacifisme de leurs intentions. «  La plupart des blessés et des morts l’ont été par des tirs sans pitié, au visage et à la tête  », dénonce le Parti communiste (marxiste) CPI (M) dans un communiqué. Au-delà, l’événement met un système tout entier au banc des accusés. Celui-là même qui voit des compagnies transnationales se payer tous les droits dans les pays en développement – fussent-ils grand émergents –, se réfugiant derrière leurs filiales et profitant des faiblesses des États pour s’affranchir du devoir de respecter droits humains et environnementaux. Une compagnie «  poupées russes  » qui gobe les groupes plus modestes

Voilà longtemps que Vedanta est dans la ligne de mire de ceux qui revendiquent la mise en responsabilité des multinationales sur ces deux points. Fondée en 2003 par Anil Agarwal, un industriel indien dont la fortune personnelle s’élève, selon Wikipedia, à 3,2 milliards de dollars, basée à Londres et dirigée par Tom Albanese, un ex de Rio Tinto, viré par le pétrolier pour cause de mauvais résultats et visiblement décidé à ne pas commettre deux fois la même bourde, Vedanta est de ces compagnies poupées russes qui gagnent leurs rondeurs en gobant des groupes plus modestes.

Plusieurs de ces boîtes ont déjà fait parler d’elles, avant ou après qu’elle les ait avalées. La KCM, par exemple, une mine de cuivre installée en Zambie, près du village de Shimulala, dont les habitants alertaient, en 2015, sur la catastrophe qu’ils vivaient. «  Vous ne pouvez pas voir la vielle mine et sa raffinerie depuis le village  », lisait-on, cet été-là, dans le quotidien britannique The Guardian. «  Mais vous pouvez sentir la pollution émanant de la plus grosse mine de cuivre d’Afrique  », et même la goûter, témoignait le reporter  : «  Si vous pompez un verre d’eau du puits creusé près de la petite église, vous verrez qu’elle est jaune brillant, qu’elle sent le souffre et a un goût ignoble.  »

Le nom de Vedanta est à lire, également, derrière celui de la Bharat Aluminium Co Ltd, dite Balco, une de ses unités londoniennes, dont l’activité se situe essentiellement en Inde. En septembre 2009, l’effondrement d’un de ses bâtiments, à Chhattisgarh, engendrait une catastrophe industrielle majeure, avec la mort de plus de 40 personnes. En septembre 2010, sans piper mot du drame survenu un an plus tôt, la Vedanta se laissait attribuer une récompense internationale pour la sécurité au travail. Le Conseil britannique de la sécurité (BSC) la lui retirera dans la foulée, après la publication d’une analyse plus fine de son bilan sanitaire. Au total, Vedanta détenait, cette année-là, le pire score de toute l’industrie minière britannique, avec 67 décès parmi ses salariés.

L’Inde reste le pays de tous ses palmarès, dont on pourrait énumérer le détail sur plusieurs pages. Le cas de sa raffinerie d’aluminium de Lanjigarh reste des plus fameux, avec, là encore, une histoire de pollutions des ressources, et même d’accaparement de terres, dénoncé, dès 2011, par plusieurs ONG. «  L’État autant que le gouvernement local ont échoué à prendre les mesures adéquates pour empêcher que les opérations de la compagnie ne nuisent aux droits humains et environnementaux  », écrivaient à l’époque, dans un rapport lapidaire, plusieurs organisations, dont Oxfam et Amnesty International. Ce n’est pas que les lois manquent, ni même la volonté de réguler, relèvent plusieurs observateurs. La capacité les mettre en œuvre fait en revanche défaut, face au poids économique que représente l’activité minière dans un pays qui reste en souffrance financière. Ce qui a conduit au drame de la semaine dernière, à Tuticorin, en est un exemple éloquent. «  La mobilisation (contre l’usine) a grossi à cause des réponses inadéquates de l’administration d’État à l’inquiétude légitime des populations concernant la contamination de l’eau, de l’air et des sols  », relevait encore le CPI (M) dans son communiqué.

Depuis 1994 et jusqu’à récemment, Sterlite Copper a été à l’origine de pollutions des eaux à l’arsenic et au sélénium, ou d’émanation de gaz qui ont débouché à plusieurs reprises sur l’intoxication de nombreux habitants de la ville. La Cour suprême indienne a systématiquement fini par lui renouveler ses autorisations de fonctionner, moyennant la promesse d’améliorer son process. Mi-mai, la Haute Cour de Chennai, capitale du Tamil Nadu, lui accordait en sus l’autorisation de doubler ses capacités de production et de les pousser jusqu’à 800 000  tonnes par an. Peu après, des heurts éclataient entre les forces de l’ordre et les opposants au projet.

Marie-Noëlle Bertrand, L’Humanité


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