Asile, migrants : le grand désaccord entre les Européens s’approfondit

vendredi 22 juin 2018.
 

Asile, quotas, migration… Réunis hier en conseil, les ministres chargés du dossier n’ont pu que constater leurs divisions.

Matteo Salvini, le nouveau ministre italien de l’intérieur et dirigeant du parti d’extrême droite la Ligue, n’avait pas fait le déplacement au Luxembourg, mardi 5 juin, pour rencontrer ses homologues européens réunis en conseil. L’homme, qui refuse que l’Italie soit, ainsi qu’il l’a déclaré, « le camp de réfugiés de l’Europe » et qui entend renvoyer 500 000 sans-papiers, n’aura donc pas pu taper du poing sur la table pour inciter notamment certains responsables d’Europe centrale ou orientale – qui partagent certaines de ses convictions, mais pas celle-là – de soulager son pays, en première ligne pour l’accueil des migrants.

M. Salvini n’aura pas non plus pu se réjouir de voir cette Union, qu’il exècre, s’empêtrer dans ses divisions et se montrer incapable de résoudre les divers dossiers de la migration, thème crucial qui pèse désormais sur tous les scrutins nationaux. Il comporte plusieurs volets, qui sont désormais autant de sujets conflictuels.

D’abord, la réforme du système d’asile européen et du règlement de Dublin, qui oblige les pays de première arrivée à enregistrer tous les demandeurs d’asile avant – en théorie – leur transfert vers un autre Etat membre. Ensuite, l’instauration de quotas de répartition des demandeurs, solution imaginée par la Commission, globalement inopérante – 40 000 réfugiés répartis sur les 160 000 envisagés – et qui divise les Vingt-Huit depuis trois ans. Enfin, la définition d’une politique sur le moyen terme et le long terme, ce qui implique la relation avec l’Afrique et la définition d’une immigration légale et ordonnée.

L’actuelle présidence bulgare de l’Union a courageusement tenté de sortir de l’ornière en élaborant un texte de compromis. Il sera, pour la forme, transmis aux chefs d’Etat et de gouvernement, qui étaient censés régler à la fin juin la fameuse réforme de Dublin. On en restera cependant là : les positions sont « trop éloignées », confirme Heléne Fritzon, la ministre suédoise de l’immigration ; le texte est, en l’état, « inacceptable », juge l’Allemagne.

Désormais, on parle d’un consensus à dégager… « le plus vite possible », comme le dit Jacqueline Gourault, la ministre auprès du ministre de l’intérieur, qui représentait la France à Luxembourg. Les plus pessimistes redoutent désormais qu’aucun accord ne soit trouvé avant les élections européennes du printemps 2019.

POUR LE NOUVEAU GOUVERNEMENT ITALIEN, LE PROJET « CONDAMNE » LES PAYS MÉDITERRANÉENS

Le texte sur la table visait à alléger la charge pesant sur les pays dits « de première ligne » – Italie et Grèce surtout – et à limiter les « mouvements secondaires » – des pays d’arrivée vers les autres Etats membres. Avec, à la clé, un système de répartition qui apparaissait toutefois insuffisant à Rome et Athènes, puisqu’il n’aurait été déclenché qu’en cas d’afflux « massif ».

La Belgique dans le groupe des « durs »

La proposition prévoyait que l’accueil de migrants par tous les Etats membres n’aurait été imposé qu’en cas de situation jugée « exceptionnelle », à l’issue d’un vote à la majorité qualifiée. Et si le calcul des quotas devait bien être « automatique », il aurait pu être limité, sur demande de certaines capitales. La Bulgarie avait habilement tenté de mêler les impératifs des uns – la solidarité – avec les exigences des autres – la flexibilité.

Pour le nouveau gouvernement italien, le projet « condamne » en réalité les pays méditerranéens. Il convient, selon le premier ministre Giuseppe Conte, d’instaurer des quotas « obligatoires et automatiques » de répartition, afin de permettre un réel partage de la charge. L’Espagne, Chypre et la Grèce appuient ce point de vue. L’Autriche, qui prendra le 1er juillet le relais de la Bulgarie, entend, au contraire, déposer rapidement un nouveau texte qui exclurait toute idée de quotas… Histoire de satisfaire la Hongrie et la Pologne qui, appuyées par d’autres pays de l’Est, campent fermement sur leur refus d’accueillir le moindre demandeur d’asile.

Traditionnellement modérée, la Belgique paraît, elle aussi, rejoindre le groupe des « durs ». Son secrétaire d’Etat à l’asile et la migration, le nationaliste flamand Theo Francken, affirmait mardi que, compte tenu du refus de l’Italie, le règlement de Dublin était bel et bien « mort » et qu’il convenait de permettre à l’Europe de refouler des bateaux de migrants, ce qui est interdit depuis 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme.

« Beaucoup de déclinaisons possibles »

Rome s’élève avec véhémence contre une autre idée bulgare : la responsabilité du traitement de la demande d’un primo-arrivant serait maintenue pendant huit ans pour le pays concerné. L’Italie réclame deux ans au maximum, l’Allemagne, dix. Quant à la France, elle juge prudemment que l’examen de la demande d’asile doit demeurer « essentiellement » de la compétence des pays de première entrée, sauf en période de crise. Autant dire que le compromis final n’est vraiment pas pour demain.

Par la voix d’Emmanuel Macron, Paris prône la poursuite du dialogue avec le gouvernement de M. Conte et un rapprochement des droits d’asile et des règles des différents pays. Vœu pieux ou signe que la France prépare elle aussi – avec Berlin et d’autres capitales – un texte susceptible d’apaiser les tensions ? Mme Gourault affirme qu’une « majorité de pays membres » entend dégager des solutions. Elle souligne que le règlement de Dublin doit « rester à la base du système, car c’est une garantie pour les demandeurs d’asile et il évite la multiplication des mouvements secondaires ». Selon la ministre, il reste « beaucoup de déclinaisons possibles » pour dégager un consensus.

Une piste est évoquée à Bruxelles : à l’occasion de la discussion – elle aussi difficile – sur le futur budget de l’Union, les pays membres du groupe de Visegrad (République tchèque, Pologne, Hongrie, Slovaquie) accepteraient de mettre beaucoup plus d’argent sur la table pour les pays de première entrée. En échange, ils seraient dispensés de relocalisations, lesquelles ne seraient d’ailleurs obligatoires qu’en cas de crise majeure.

Il resterait alors à convaincre le Parlement, qui prône un système permanent de relocalisations – pas seulement en temps de crise – pour tous les migrants, y compris économiques. L’accord des députés sera indispensable pour tout projet de réforme.

Jean-Pierre Stroobants (Luxembourg, envoyé spécial)


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