Etats-Unis : Trump contraint de reculer sur la séparation des familles de migrants

mardi 26 juin 2018.
 

Devant le tollé provoqué par la mise en œuvre de la « tolérance zéro », le président américain a signé un décret disposant que parents et enfants seront détenus ensemble.

Depuis son entrée en politique, il y a trois ans, Donald Trump s’était toujours montré capable de défier les lois de la politique. Jusqu’au mercredi 20 juin. En milieu de matinée, le président des Etats-Unis a pris acte d’une ligne rouge : l’instrumentalisation d’enfants à des fins électorales. Face au tollé croissant suscité par le choix de séparer les familles de sans-papiers arrêtées après le franchissement illégal de la frontière avec le Mexique, Donald Trump a battu en retraite en signant dans la précipitation un décret présidentiel disposant que les enfants et les parents seront désormais détenus ensemble pendant la durée des poursuites judiciaires.

Les jours précédents, la Maison Blanche, à commencer par le président lui-même, avait pourtant défendu sans ciller la politique de « tolérance zéro » instaurée par le ministère de la justice avec sa bénédiction qui obligeait depuis le mois de mai la police des frontières à séparer les enfants de leurs parents incarcérés avant d’être jugés, faute de pouvoir légalement emprisonner les premiers. Au moins 2 342 enfants et jeunes migrants auraient ainsi été séparés de leurs familles.

Contre toute évidence, la secrétaire à la sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen, avait nié l’existence d’une telle politique, alors que Donald Trump prétendait dans le même temps qu’il ne faisait qu’appliquer une disposition législative héritée d’administrations démocrates, ce qui était faux.

La secrétaire à la sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen, et Donald Trump après la signature du décret, le 20 juin, à la Maison Blanche.

Elections de mi-mandat

Les défenseurs de cette mesure lui trouvaient deux avantages : un effet dissuasif sur les candidats au départ des pays d’Amérique centrale qui alimentent désormais majoritairement l’immigration illégale et un moyen de pression sur le Congrès pour le forcer à adopter des mesures restrictives, y compris concernant l’immigration légale. S’ajoutant aux témoignages d’élus démocrates scandalisés après la visite de centres de rétentions, les images pourtant contrôlées par le département de la sécurité intérieure montrant des mineurs placés à l’intérieur d’espaces grillagés, ainsi qu’un enregistrement de pleurs d’enfants en très bas âge réclamant leurs parents, ont rendu progressivement cette position intenable.

Les premiers sondages montraient qu’une majorité d’électeurs républicains soutenaient cette politique, alors que les deux tiers de l’ensemble des Américains interrogés s’y opposaient. Mais de nombreux membres du Congrès ont redouté que la polémique ne finisse par peser sur les élections de mi-mandat. Le sénateur du Texas Ted Cruz, qui se représente en novembre, a illustré cette crainte grandissante. Après avoir initialement soutenu la politique de « tolérance zéro », il a fait spectaculairement machine arrière en s’exprimant avec force mardi contre les séparations des familles.

Le même jour, rencontrant au Congrès des élus républicains, Donald Trump avait sans doute pris conscience de ce malaise, qui s’ajoutait aux critiques grandissantes de responsables religieux et de figures de son propre camp. Son épouse, manifestement choquée par ces mêmes images, l’avait fait savoir, comme il l’a reconnu lui-même. L’avocat qui avait suivi la procédure de naturalisation de Melania Trump a ainsi haussé la voix, manifestement avec l’assentiment de sa cliente.

Découverte des contraintes du pouvoir

Le lendemain matin, recevant à la Maison Blanche une délégation de sénateurs et de représentants, Donald Trump a semblé découvrir avec candeur les contraintes du pouvoir. « Le dilemme est que si vous êtes faible, ce que les gens aimeraient que vous soyez (…), le pays va être envahi par des millions de personnes. Et si vous êtes dur, vous semblez n’avoir aucun cœur. C’est un dilemme difficile. Peut-être que je préférerais être dur, mais c’est un dilemme difficile », a philosophé le président.

Quelques heures plus tard, il a signé un décret présidentiel interdisant les séparations de familles, dans une telle précipitation que le mot incriminé a été tout d’abord mal orthographié. « Je n’aimais pas voir des familles être séparées », a affirmé celui qui l’avait décidé. Cette signature lui a permis de se poser une nouvelle fois en homme d’action, y compris en se démentant lui-même : il avait assuré à la presse, cinq jours plus tôt, que le problème ne pouvait être réglé que par le Congrès et non de cette manière.

Ce moyen de parer au plus pressé est loin cependant de régler tous les problèmes posés par les séparations de familles. Le décret ne tourne pas le dos, en effet, à la politique de « tolérance zéro ». il implique seulement que les incarcérations toucheront désormais les familles tout entières, ce qui va poser rapidement des problèmes logistiques tout autant que juridiques.

Prélude à une bataille juridique

Le plus évident concerne la période de détention maximum qui peut s’appliquer aux enfants de sans-papiers emprisonnés. Selon une règle découlant d’un très long contentieux juridique, ces enfants ne peuvent en effet être incarcérés plus de vingt jours. Compte tenu de l’engorgement des tribunaux qu’a provoqué la politique de « tolérance zéro », la perspective de nouvelles séparations imposées n’est qu’une affaire de semaines. Sans compter qu’il faudra obtenir parallèlement la réunification des familles déjà séparées, que le décret de mercredi ne mentionne pas.

La responsable de la minorité démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a immédiatement vu le danger. « Au lieu de protéger les enfants traumatisés, le président a ordonné à son procureur général d’ouvrir la voie à l’emprisonnement à long terme de familles dans des conditions carcérales », a-t-elle déploré. Autant dire que le décret présidentiel, qui a fait l’objet d’intenses discussions internes mercredi matin, selon le Washington Post, est sans doute le prélude à une vigoureuse bataille juridique, comparable à celle qui s’était ouverte au lendemain de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, en janvier, avec la publication précipitée d’un décret anti-immigration immédiatement bloqué par des juges fédéraux.

Le salut, pour la Maison Blanche, ne peut venir aujourd’hui que du Congrès. Ce dernier, compte tenu notamment des divisions internes entre républicains, s’est montré cependant incapable jusqu’à présent de parvenir au moindre compromis sur l’immigration.

Gilles Paris (Washington, correspondant)


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