« Un court moment révolutionnaire, la création du PCF »

lundi 9 juillet 2018.
 

Le samedi 23 juin, pour le compte de l’association qui anime les CMO (Cahiers du Mouvement Ouvrier), Julien Chuzeville présentait son livre « Un court moment révolutionnaire, la création du Parti Communiste Français » : né en 1979, l’auteur est un historien du mouvement ouvrier. Il a publié la première biographie du principal fondateur du PCF, Fernand Loriot (L’Harmattan, 2012), puis « Militants contre la guerre 1914-1918 » (Spartacus, 2014) et « Zimmerwald, l’internationalisme contre la première guerre mondiale » (Démopolis, 2015).

D’emblée l’auteur a cadré son propos de la manière suivante : au sein du mouvement ouvrier, il n’y a pas eu depuis les lendemains de la grande boucherie impérialiste de 1914-1918 de rupture de cette ampleur au sein du mouvement ouvrier, qui a déterminé toute l’histoire du siècle. D’une manière générale les socialistes - par socialistes nous entendons le parti ouvrier - avaient analysé et prévu la guerre qui allait venir, comme le résultat des contradictions d’intérêt entre les différents impérialismes. Mais déjà se profilent les contradictions entre les différents courants de la pensée socialiste : face aux positions pacifistes, Jaurès explique qu’en cas d’agression impérialiste contre la France, les prolétaires ont une patrie. Dans la crise qui monte avec l’approche de la guerre, Jaurès est sur la position d’unir toutes les composantes du parti qui a fait la synthèse de 1905 : unité dans la même organisation de tous les courants composant le socialisme français, unité des révolutionnaires et des réformistes. On connait la suite : la capitulation des partis français et allemands devant leur propre impérialisme et le naufrage de la 2ème Internationale.

Dès le début il y aura des oppositions dans la SFIO et dans la CGT à cette politique : toutefois c’est autour du courant syndicaliste révolutionnaire qu’une opposition commencera à se constituer, mais dans des conditions militantes extrêmement difficiles à assumer pour ceux et celles qui choisiront cette voie. C’est le cas de Pierre Monatte et du noyau militant autour de la revue « La Vie ouvrière » : Monatte regroupe des anarcho-syndicalistes, des syndicalistes révolutionnaires et des socialistes qui s’opposent à la ligne de la direction de la SFIO. Ce qui lui vaudra d’être envoyé au front alors qu’il avait été réformé. Lors de son exil en France, Léon Trotsky discute avec cette opposition ouvrière. Ce sera en 1915 la conférence de Zimmerwald qui regroupera des cadres du mouvement ouvrier de plusieurs pays. La délégation russe est présente, dont Lénine et Trotksy. Dans cette situation où l’opposition semble si faible face au social-patriotisme, la révolution russe va représenter un appel d’air, qui à la fin de la guerre produira un véritable tsunami à l’intérieur des mouvements ouvrier des grands états capitalistes.

C’est dans ce contexte que le congrès de Tours actera une scission entre les tenants du patriotisme de guerre et les courants pacifistes ou révolutionnaires condamnant l’Union Sacrée. Le retour de la démocratie amplifiera les divergences. La droite du parti derrière Léon Blum s’opposera à rejoindre la 3ème Internationale, qui était née dans le prolongement d’un parti bolchévik exerçant désormais le pouvoir en Russie. Les Internationalistes issus du courant de Zimmerwald et du Comité pour la 3ème Internationale, principalement animé par celui qui sera le fondateur de la SFIC (Section Française de l’Internationale Communiste), Fernand Loriot, mène le combat pour rallier la majorité de la SFIO. Il est rejoint par les syndicalistes révolutionnaires, dont Alfred Rosmer et Pierre Monatte. Tous sont convaincus que commence le combat pour la révolution mondiale, la révolution russe n’étant que son avant-poste. Entre la droite de Blum et l’aile gauche se situe le courant centriste des longuetistes, pacifistes tout en ayant soutenu l’Union sacrée comme un mal transitoire. Pour Loriot, qui refuse les injonctions de la direction mondiale de l’Internationale, assumée par Zinoviev, d’aller tout de suite à la scission, il mène la bataille pour que la majorité du mouvement socialiste rejoigne l’Internationale. Les 21 conditions d’adhésion à l’Internationale Communiste, édictées par le 2ème congrès mondial, ont assez peu pesé dans la bataille du congrès de Tours. D’ailleurs les internationalistes ne reprenaient à leur compte qu’une partie des 21 conditions. Soulignons que si la majorité des militants ouvriers soutiennent de rejoindre la nouvelle internationale, la totalité du groupe parlementaire suivra la droite du parti et Léon Blum.

Toutefois à partir de 1921, date de l’échec de la deuxième vague révolutionnaire en Allemagne, la situation mondiale s’est modifiée : l’Internationale Communiste et la SFIC, qui deviendra le PCF, restent calés sur un diagnostic qui est désormais faux, celui de l’imminence de la révolution mondiale. Partout le capitalisme repart à l’offensive. Aussi bien par les dirigeants du parti français que par la direction de l’Internationale, le tournant mondial de la situation n’est pas compris : un seul militant communiste, ayant des compétences en économie, produit une série d’articles sur cette question, passe totalement inaperçu.

De la scission de Tours à 1923, le mouvement communiste en France est en fait un parti creuset où existent plusieurs courants de la démocratie ouvrière cherchant sa voie vers une perspective anticapitaliste et tirant le bilan du réformisme. On y débat démocratiquement entre militants ouvriers. L’Internationale considère que le parti français ne comprend pas la ligne de l’imminence de la révolution et qu’il faut des mesures administratives pour le faire avancer. La ligne de Zinoviev et de l’Internationalisme communiste pousse dès 1923 vers une mise au pas pour un parti plus centralisé et mieux soumis à une Internationale, qui est de fait construite et contrôlée par le parti bolchévik. Or dès 1918, il y a eu au sein du parti russe une opposition ouvrière, dont Alexandra Kollontai, la révolutionnaire féministe, fut la principale animatrice, réclamant le rétablissement de la démocratie dans les soviets et dans le parti. En 1923, Trotsky publie « Cours nouveau démocratique », et pose les bases de l’opposition de gauche contre la bureaucratisation du parti et de l’Etat soviétique. Arrivent dans le parti français un certain nombre d’émissaires de l’Internationale, sur la ligne d’une imminence révolutionnaire qui est désormais complètement fausse, et qui poussent à ce qui s’appelle la « bolchévisation ». Ce parti révolutionnaire naissant est en fait pris entre deux feux : sa marginalisation au sein du mouvement ouvrier alors que la vague révolutionnaire de l’après-guerre reflue et le début du rôle nocif que la bureaucratie stalinienne naissante, à travers l’internationale va jouer. Ceux qui avaient mené le bon combat depuis 1915, les Monatte, les Rosmer et surtout Loriot, seront chassés ou marginalisés, dès 1924.

Alors commence une autre histoire : pour reprendre le mot de Victor Serge, il sera bientôt minuit dans le siècle. Le principal enseignement que je tire de la présentation que ce jeune historien a fait de son livre porte essentiellement sur l’actualité de ce débat. Notre époque est marquée depuis plusieurs décennies par une décomposition sans précédent du mouvement ouvrier : nous sommes confrontés aujourd’hui à une situation qui est le produit de la quasi disparition ou implosion de la social-démocratie et des PC, les deux internationales qui ont structuré la représentation depuis 1914. L’ancien n’en finit pas de mourir, tandis que le nouveau n’est pas encore né. Il n’y a plus de modèle : va-t-on le regretter ? A la lumière des expériences gouvernementales faites par les partis censés représenter le salariat, ni le PS de Mitterand, ni sa version par le lambertiste Jospin, ni le PCF de Georges Marchais, ne nous laisseront de bons souvenirs. La question de la renaissance du mouvement communiste reste une perspective nécessaire, car l’enjeu est toujours entre le socialisme ou la barbarie. La question du mouvement « creuset » rassemblant les courants de la démocratie ouvrière contre le néo-libéralisme, stade actuel d’un capitalisme détruisant les acquis de civilisation, reste posée.

Il faudra chercher notre voie…


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