A Vittel, l’eau privée boit l’eau publique

jeudi 26 juillet 2018.
 

J’ai déjà dit sur ce blog le pourquoi et le comment de la sensibilité spéciale de notre mouvement à l’égard des questions qui concernent la bataille de la protection de l’eau. Vous me verrez donc souvent y revenir ici. Cette fois ci je veux parler de l’affaire de l’eau de Vittel.

A Vittel, Nestlé Waters pompe dans les poches d’eau souterraines superficielles. Elles sont situées à 100 mètre de profondeur sous la ville. Cette eau est certes trop minéralisée. Elle ne peut donc pas être utilisée pour approvisionner la population locale. Toutefois, la multinationale ne s’arrête pas là. Elle utilise aussi « l’aquifère des grès du Trias inférieur » (GTI), une nappe phréatique située plus en profondeur. Celle-là est directement buvable. Cette gigantesque nappe s’étale sur près de 3 075 km². Elle est ponctionnée de près de 800 000 m3 d’eau par an par la seule firme de Nestlé. Et cette eau est ensuite exportée partout en Europe.

Nestlé est la plus grosse entreprise agroalimentaire du monde. Une grande partie de son profit se base sur la marchandisation de cette ressource vitale qu’est l’eau. Dans le contexte, son exploitation de la ressource d’eau minérale devient préoccupante. Elle s’apparente à un accaparement de biens communs au profit d’un intérêt privé. La politique de cette multinationale est frontale. Le président du groupe Nestlé, Peter Brabeck-Letmathe, la résumait ainsi en 2005 : « il faut que l’eau soit considérée comme une denrée, et comme toute denrée alimentaire, qu’elle ait une valeur marchande ». L’exemple de Vittel illustre caricaturalement ce modèle.

Car il s’agit aussi de la source d’eau potable des habitants de Vittel et de sa localité. La spécificité de cette nappe est qu’elle est dite « captive ». Cela signifie que la poche qui la contient est surmontée d’une masse géologique peu perméable. Cela ralentit donc beaucoup la vitesse à laquelle la nappe se régénère. Quand on fait la soustraction entre ce qui part en pompage et ce qui revient en percolation, bref le rapport entre la capacité de régénération de la nappe et l’eau qui en est ponctionnée, on trouve un déficit annuel de près d’un million de mètre cubes d’eau. A terme, l’épuisement progressif de la nappe est donc acquis. Là, Nestlé est responsable de près de 80% du déficit de la nappe.

Heureusement pour les habitants des communes de Vittel, Contrexéville et Bulgnéville, la commission locale pour l’eau (CLE) a trouvé la solution. Une solution ubuesque. Plutôt que de forcer les industriels à une exploitation plus raisonnable de la nappe, elle suggère de construire un tout nouveau circuit d’acheminement de l’eau. Il s’étalera sur 15km à 48km. Ce scénario de substitution revient à acheminer de l’eau… aux habitants de Vittel. Une opération qui coutera de 30 centimes à 1 euro supplémentaire par mètre cube. Alors même que ces habitants vivent au-dessus d’une des plus grandes réserves d’eau du pays. C’est beau le capitalisme. Mais ça coûte cher…

On comprend mieux cette absurde proposition quand on s’intéresse au fonctionnement de la commission locale pour l’eau. La période durant laquelle les différentes contraintes de prélèvements imposées à Nestlé ont été progressivement levées, entre 2013 et 2016, la présidente de la commission était Claudie Pruvost. Son époux Bernard Pruvost est un cadre dirigeant de Nestlé International. Lui-même était à la tête de plusieurs associations, commissions consultatives et organismes parapublics sur le thème de l’eau dans la région. On peut penser que les deux personnages travaillant sur les mêmes dossiers communiquaient à leur sujet. Comme d’habitude, on se demande si l’accaparement économique marche avec le noyautage de la vie publique.

Il faut dire que Nestlé n’en est pas à son coup d’essai. Que ce soit aux États-Unis ou au Pakistan, la multinationale s’attèle à accaparer les différentes sources d’eau potable. À cette fin, elle profite des failles de la législation pour régner sans partage. En France, il y a une limite. C’est celle que fixe la loi sur l’eau de 2006. Celle-ci dispose que « la priorité d’usage doit aller à l’alimentation en eau potable des populations ». Apparemment, cela n’impressionne pas Nestlé.

On comprend mieux avec un tel exemple l’intérêt de notre proposition d’inscrire dans la Constitution que l’eau est un bien commun. Nous avons tenté de le faire une première fois lors de notre niche parlementaire, à travers une proposition de loi portée par le député de Seine-Saint-Denis, Bastien Lachaud. Nous réitérons à travers un amendement à la révision constitutionnelle. Mais on se doute que « La République en Marche » va faire feu de tout bois pour nous contrer. Comme toujours.


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