Migrants : Autour du dernier naufrage, un bras de fer entre ONG et gouvernement italien

samedi 28 juillet 2018.
 

Mardi 17 juillet, Proactiva Open Arms a retrouvé en Méditerranée une femme à bout de force et deux cadavres. Selon l’ONG espagnole, ce sont les garde-côtes libyens, alliés de l’Italie, qui les ont abandonnés après un premier sauvetage. “Mensonge”, répond le gouvernement italien. Dans la presse, les réactions sont contrastées.

“C’est une femme, elle s’appelle Joséphine, elle est originaire du Cameroun. Elle a été retrouvée allongée sur le ventre sur une planche, ce qui reste du fond du canot à bord duquel elle voyageait aux côtés de dizaines d’autres personnes.”

Dans son journal de bord, sur le site du magazine italien Internazionale,la journaliste Annalisa Camilli, qui accompagne le bateau de l’ONG catalane Proactiva Open Arms, relate les événements de mardi matin.

Joséphine a attendu les secours pendant deux jours, ses vêtements mouillés collés à la peau. Puis, à 7 h 30 le 17 juillet, depuis le pont du bateau Open Arms, à 80 milles nautiques de la Libye, quelqu’un a aperçu les restes du canot. Un sauveteur espagnol de 25 ans, Javier Filgueira, s’est jeté à l’eau depuis le canot de sauvetage quand il a vu que Joséphine pouvait être encore vivante.”

Traumatisée et en hypothermie, la naufragée était vivante. Contrairement à la femme et à l’enfant qui ont été trouvés à côté d’elle.

En vertu d’un accord avec l’Italie et l’Union européenne, les garde-côtes libyens sont chargés d’intercepter les embarcations de migrants et de les ramener en Libye. Mais, d’après l’ONG Proactiva, dans la nuit du 16 au 17 juillet, ces trois personnes auraient refusé de monter à bord du bateau des garde-côtes, qui auraient coulé leur embarcation et les auraient abandonnées.

Le fondateur de l’ONG, Oscar Camps, s’en est pris aux garde-côtes, “incapables de gérer une situation d’urgence”, et au gouvernement italien, qui, dans le cadre de sa politique anti-immigration, cherche à mettre fin à l’activité des ONG en Méditerranée, notamment en leur interdisant l’accès aux ports du pays. “Voici la conséquence directe [de la décision] d’empêcher les ONG de travailler”, a-t-il dénoncé dans un tweet. Ajoutant :

Combien de temps encore devrons-nous faire face à des assassins enrôlés par le gouvernement italien pour tuer ?”

Le ministre italien de l’Intérieur, fer de lance de cette politique, a tweeté peu après : “Les mensonges et insultes de quelques ONG étrangères confirment que nous sommes sur la bonne voie. Réduire les départs et les débarquements [de migrants] revient à réduire le nombre de morts et les gains de ceux qui spéculent sur l’immigration clandestine.”

“Pas Libye, pas Libye !”

Dans la presse italienne, les réactions sont contrastées. Certains journaux expriment leur émotion devant cette tragédie et leur indignation à l’égard de la politique de Matteo Salvini. D’autres se rangent du côté du ministre. D’autres encore tentent de présenter les deux versions en vis-à-vis.

Dans La Repubblica, quotidien de centre gauche,l’écrivain Marco Belpoliti s’arrête sur l’image qui est à la une de la plupart des journaux, celle du regard apeuré de Joséphine qui, après son sauvetage, répétait : “Pas Libye, pas Libye !” Ces yeux expriment “la terreur indicible des survivants”, écrit Belpoliti.

Ces yeux devraient priver de sommeil quiconque a prononcé l’ordre d’abandonner ces deux femmes et cet enfant, ceux qui n’ont pas eu de pitié pour ces trois vies à la merci des courants.”

De son côté, le quotidien napolitain Il Mattino affiche en titre le témoignage de deux journalistes, l’un libyen, l’autre allemande, présents à bord du bateau des garde-côtes libyens lors du premier sauvetage de l’embarcation. D’après eux, au terme de l’opération, il ne restait “aucun corps dans la mer”.

Quant au journal de droite Il Giornale, il accuse frontalement l’ONG d’“user du malheur [des naufragés] pour les instrumentaliser”, en diffusant des photos de cadavres de migrants “afin de faire passer Salvini pour un assassin”.

“Fake news”

Cette affaire survient dans une Italie où l’exaspération vis-à-vis de la crise migratoire et le manque de solidarité des voisins européens ont permis l’accession au pouvoir des populistes. Une Italie où, depuis l’an dernier, diverses accusations ont visé à décrédibiliser l’action des ONG, décrites comme des “taxis pour migrants” ou des “vice-passeurs” par Luigi Di Maio et Matteo Salvini, leaders des deux partis au pouvoir, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue.

Sur les réseaux sociaux, on trouve de très nombreux commentaires qui accusent Proactiva de “mise en scène” et de mensonge, en citant les témoignages des reporters allemande et libyen. “D’après moi, c’est vous qui les avez noyés pour faire votre mise en scène et balancer votre haine contre Salvini”,affirme un internaute. “Fake news, plateau de cinéma et figurants morts pour de vrai ou pas”, énumère un autre. Un troisième leur répond, indignée : “même devant les yeux terrorisés d’une femme, vous ne parvenez pas à garder le silence.”

Carole Lyon


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