Les humains et les défis écologiques

mardi 7 août 2018.
 

Signataires  : Paul Ariès, politologue, auteur d’ Une histoire politique de l’alimentation (Max Milo), Florent Bussy, philosophe, auteur de Ce qui nous fait (Libre et solidaire), Thierry Brugvin, psycho-sociologue, auteur de Le pouvoir illégal des élites (Max-Milo), Christian Godin, philosophe, auteur de la Fin de l’humanité (Champ Vallon).

L’Appel des 15 000 scientifiques alertant sur les menaces qui pèsent sur l’humanité ne pourra produire tous ses effets tant que les forces conscientes et agissantes en faveur d’une transition écologique resteront divisées entre celles qui dénoncent l’explosion démographique et les risques qu’elle fait peser sur la planète et celles qui clament que le véritable danger à terme ne serait pas le «  trop  » mais le «  pas assez  » d’humains, puisqu’il suffirait que le monde entier atteigne et conserve durablement le taux de fécondité actuel d’une partie de l’Occident (1,4) pour que l’espèce humaine disparaisse par épuisement de l’humanité.

Ce débat entre spécialistes doit certes se poursuivre et on peut même imaginer que l’ONU crée une sorte de «  Giec de la démographie mondiale  », mais les forces émancipatrices ont tout à perdre à se laisser enfermer dans cette polémique. Nous devons tout faire pour déplacer les frontières au sein des milieux écologistes au regard de la question démographique en opposant non plus malthusiens et antimalthusiens mais, au sein même de ces deux camps, ceux qui luttent pour l’émancipation et ceux qui s’y opposent. Les malthusiens considèrent qu’il faut que les humains fassent moins d’enfants, car l’agriculture ne serait pas en capacité de les nourrir tous, tandis que les antimalthusiens pensent l’inverse.

Le véritable clivage oppose les réactionnaires de tous bords qui souhaitent maintenir les inégalités au nom de la lutte contre la destruction de la planète et les forces qui font d’une émancipation globale et responsable les conditions d’un respect des conditions de la vie sur Terre. Certes, plus la population s’accroît, plus l’empreinte écologique augmente et, donc, plus l’empreinte carbone de l’humanité renforce le réchauffement climatique et ses méfaits. Personne ne peut nier l’explosion démographique, mais il n’existe pourtant pas de bombe D, en raison de la baisse réelle de la fécondité et de la rapidité de la transition démographique.

Les questions politiques, sociales, écologiques les plus urgentes concernent plutôt les rapports à entretenir avec la nature et les ressources qui peuvent être de prédation et de gaspillage, sur fond de guerre économique généralisée ou de préservation et de sobriété, dans le cadre de sociétés fondées sur la fraternité et le respect des droits fondamentaux.

Les partisans écologistes de la thèse du «  trop d’humains  » n’ont rien à gagner à être confondus avec les rentiers du révérend Malthus qui s’en prennent toujours aux plus pauvres, individus ou pays au motif que la nature ne pourrait parvenir à nourrir toute l’humanité, comme le prouve l’action des principaux lobbies néomalthusiens depuis cinquante ans  ! À la différence des courants réactionnaires, les écologistes sociaux néomalthusiens préconisent le partage des richesses, l’éducation et l’émancipation des femmes, pour contribuer à une baisse de la démographie permettant de diminuer la pression sur l’environnement. Les adeptes écologistes de la thèse du «  pas assez d’humains  » ont tout à perdre à donner le sentiment qu’ils épouseraient les thèses populationnistes des réactionnaires, qui défendent la croissance démographique, selon une idéologie conservatrice. Parler seulement de responsabilité anthropique, comme le fait le Giec, conduit aussi à masquer la responsabilité spécifique de notre système économique, de nos styles de vie. Si la Terre ne peut pas supporter 4 milliards d’humains partageant le mode de vie occidental, elle peut, selon toutes les études, permettre à 10 milliards d’humains de vivre bien, en prenant appui sur les autres façons de vivre, de penser, de rêver, de sentir. Nous n’accepterons jamais de faire des humains le problème en lieu et place du capitalisme.

Plutôt que de s’opposer sans fin sur la définition des limites objectives à la démographie humaine, nous pouvons converger sur ce qui devrait permettre à l’humanité de mieux maîtriser sa fécondité. Nous pouvons nous retrouver pour dire qu’il faut répartir les richesses économiques de façon plus égalitaire, car nous savons que la misère est toujours le berceau de nombreuses naissances  ; pour dire qu’il faut poursuivre le mouvement historique d’émancipation féminine, car le patriarcat et le machisme renvoient d’abord les femmes à une fonction reproductive  ; pour déconstruire les archétypes natalistes, toujours d’origine religieuse ou impérialiste, qui s’inscrivent dans le cadre d’une lutte par la démographie pour la domination et contre le prétendu «  grand remplacement  ».

Nous ne partageons certes pas les mêmes analyses sur l’évolution démographique mondiale, mais nous savons qu’un arbre se juge à ses fruits, selon un proverbe biblique, les fruits des politiques que nous prônons sont salutaires tant pour l’humanité que pour la défense des écosystèmes. Ils rendent aux peuples et, en premier lieu aux femmes, la maîtrise de leur fécondité en commençant à desserrer l’étau du capitalisme productiviste et des injonctions natalistes. Les humains ne sont pas les nouveaux cavaliers de l’Apocalypse. Il n’y a pas un seul humain surnuméraire. Ce qui est en trop, c’est le capitalisme, le productivisme et la vie qu’ils imposent aux humains  !


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