Comment expliquer le dérèglement brutal des températures  ?

mercredi 8 août 2018.
 

2018 Mois de janvier chaud, mois de février très froid, printemps très pluvieux, été sous uns chaleur torride.

1) Une canicule, à cause du réchauffement climatique ?

En 2014, les climatologues du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) restaient évasifs sur le lien entre les canicules et le réchauffement climatique. Deux années plus tard, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique n’ont pas pris les mêmes précautions que leurs collègues : ils ont affirmé qu’une quinzaine d’événements extrêmes, dont certaines canicules, étaient bien la conséquence du réchauffement climatique.

La cause ? Le vent !

Avec le réchauffement climatique, les vents se réchauffent aussi... Mais il y en a un qu’il faut regarder de près : le courant-jet, le très puissant vent de haute altitude, qui sépare les masses d’air chaud tropicales de celles de l’Arctique. Ces vents sont puissants grâce à la différence de températures entre les masses d’air. Avec le réchauffement climatique dans l’Arctique, la différence s’amoindrit... Et les événements météorologiques deviennent plus extrêmes ! Pour en avoir le cœur net, les climatologues du GIEC se sont donnés comme mission de répondre une bonne fois pour toutes à cette interrogation, dans un rapport prévu pour 2021.

Source : https://www.meteomedia.com/nouvelle...

2) Hiver 2017 2018 Plus chaud en Arctique qu’en Europe

Durant cet hiver 2017 2018, tandis que l’Europe grelottait, l’Arctique connaissait des conditions inhabituellement chaudes pour la saison. Par exemple, le 25 février, une température de 6,1 °C était observée au cap Morris Jesup, la station météorologique terrestre la plus au nord du monde, située au Groenland à seulement 700 km du pôle Nord. Le 26 février, on relevait 4,7 °C à Longyearbyen, au Spitzberg.

Il faut remonter quinze jours avant le début de la vague de froid en Europe pour comprendre ces événements. Pendant la nuit polaire, c’est-à-dire d’octobre à mars, l’air froid surmontant l’Arctique est généralement séparé de l’extérieur plus chaud par une ceinture de forts vents d’ouest soufflant à une altitude d’environ 20 km, formant le vortex polaire. Vers le 10 février, cette grande dépression d’altitude s’est scindée en deux vortex  : l’un au-dessus de l’ouest de la Russie et l’autre sur le Grand Nord canadien. Entre les deux, un puissant anticyclone de plus de 1 050 hPa s’est ensuite mis en place sur le nord de la Russie et en Scandinavie à partir du 24 février et s’est mis à transporter des masses d’air glaciales depuis la Russie, un phénomène souvent qualifié de «  Moscou-Paris  ». Sur son flanc ouest, le même anticyclone a en revanche remonté des masses d’air relativement chaudes depuis la mer de Norvège jusqu’au pôle Nord, expliquant le «  coup de chaleur  » sur l’Arctique.

Tandis que la planète se réchauffe, il peut paraître étonnant que nos latitudes connaissent encore des vagues de froid. À l’échelle de la France, l’hiver 2017-2018 (décembre-janvier-février, selon la définition des météorologues) a été plus chaud de 0,6 °C que la moyenne des hivers sur 1981-2010. Dans le même temps, une grande partie de l’Arctique central a connu des températures dépassant d’au moins 3 °C la moyenne des années 2000 et, le mois dernier, jamais l’extension de la banquise n’avait été aussi faible pour un mois de février (13,95 millions de kilomètres carrés), battant le record précédent établi en… 2017. Or, il apparaît de plus en plus clairement que la faible couverture de glace d’automne et d’hiver amplifie le réchauffement en Arctique et tend à refroidir la Sibérie. Cela se traduit notamment à la fois par des remontées d’air chaud vers l’Arctique et des descentes d’air froid vers nos latitudes plus fréquentes ces dernières décennies, mais cette évolution ne semble pas se confirmer pour le futur.

Le réchauffement de la planète se poursuivra et sera plus important en Arctique que dans les autres régions. Des recherches récentes suggèrent que cela pourrait favoriser la scission du vortex polaire, avec comme conséquences des vagues de froid plus fréquentes en Europe. Même si, en moyenne, les hivers deviendront probablement plus doux en Europe, l’éventuelle alternance de périodes chaudes et froides, à l’image de l’hiver dernier, n’est pas une bonne nouvelle, que ce soit pour les écosystèmes, la santé humaine, les transports ou encore les systèmes de production de l’énergie.

3) Ce que l’humain change lui-même

À chaque coup de froid, les spécialistes du climat sont interrogés sur le réchauffement climatique. Pourquoi un réchauffement alors qu’il fait si froid aujourd’hui en Europe  ? Comment est-ce possible qu’il fasse plus chaud au Groenland qu’en France  ? Y a-t-il un lien entre la météo d’aujourd’hui et le réchauffement climatique  ? Celles et ceux qui tiennent à mieux comprendre le «  réchauffement climatique  » me posent souvent ces questions de manière incrédule. Ils ont raison, car nous avons appelé le phénomène que nous vivons par un terme incorrect, ou plutôt incomplet, depuis deux décennies. L’humanité émet des gaz à effet de serre en grande quantité depuis qu’elle a créé une industrie, une agriculture, un système de transports fortement alimentés par le charbon, le pétrole et le gaz. Ces gaz à effet de serre – il faut les imaginer comme une couverture autour de la planète – s’additionnent à ceux qui sont naturellement dans l’atmosphère, faute de quoi nous aurions une température de 18 degrés en dessous de zéro en moyenne sur la planète. Autrement dit, sans l’effet de serre naturel, nous ne pourrions vivre sur Terre.

Ce qui est différent depuis deux siècles, c’est que l’humain change lui-même la composition chimique de l’atmosphère en y rajoutant ses propres émissions. La planète ne nous en veut pas. Elle s’adapte. Mais cette adaptation est ­compliquée pour nous, et ce pour trois raisons.

La première est que le niveau de l’océan monte. C’est très simple  : l’océan absorbe la plupart de la chaleur que nous ajoutons dans l’atmosphère, et lorsque les molécules de l’eau se réchauffent, elles se dilatent. La dilatation thermique est la principale cause de la hausse du niveau moyen de la mer de 19 cm depuis 1900 (et non pas la fonte des glaciers, bien qu’elle y contribue également).

Le deuxième problème est que les événements météorologiques extrêmes le sont de plus en plus. C’est ce que nous avons vécu lors de la canicule en 2003, lors des inondations à Montpellier en 2014 et lors de cette récente vague de froid. Oui, il y en a toujours eu. Oui, sans nos émissions de gaz à effet de serre, il y en aurait encore. Mais le fait de perturber la composition chimique de l’atmosphère plus rapidement que dans le passé les intensifie.

Enfin, ce dérèglement climatique est risqué parce que, malgré la finesse de la science sur le climat, il est difficile de prévoir les changements que la planète produira pour s’adapter à cette surcharge de gaz à effet de serre. Les scientifiques craignent que nous ne dépassions des seuils de basculement qui engendreraient des transformations beaucoup plus radicales et pérennes. Un exemple  : le courant marin qui circule depuis l’Amérique centrale jusqu’au nord de l’Europe s’appelle la circulation thermohaline, ou le Gulf Stream. Il dépend de la température de l’eau et surtout de l’interaction entre les eaux chaudes en surface et les eaux froides plus profondes. Il transporte de l’air chaud à l’Europe de l’Ouest. Or, à cause du réchauffement, ce Gulf Stream pourrait ralentir, voire s’arrêter, provoquant ainsi un refroidissement drastique de l’Europe de l’Ouest.

C’est tout le problème, mais aussi la beauté de ce dérèglement climatique  : la planète évoluera et saura s’adapter. Elle est bien plus vivante et en métamorphose que nous ne l’imaginons au quotidien. De notre côté, nous pouvons construire des logements plus éloignés du littoral. Nous pouvons équiper nos véhicules de pneus neige, rendre les rails des trains plus résistants à la grande chaleur et déplacer la production agricole d’un territoire à un autre. Nombreuses sont les collectivités et les entreprises qui définissent maintenant des plans d’adaptation.

Mais ces mesures d’adaptation au dérèglement climatique, surtout nécessaires pour les personnes les plus vulnérables, seront certainement insuffisantes face aux mutations que la planète nous imposera si nous bouleversons trop son intégrité atmosphérique. Les 26 millions de personnes qui migrent chaque année à cause de catastrophes naturelles en sont bien la preuve. Notons aussi que migrer n’est réservé qu’aux personnes qui ont en les moyens.

Sortir des énergies fossiles et privilégier les énergies renouvelables, ce n’est point pour «  sauver la planète  », ni pour freiner seulement un «  réchauffement climatique  ». Il s’agit de maintenir nos espaces de vie et de préserver l’humanité.

Henri Landes

Directeur général de la Fondation GoodPlanet

David Salas y Mélia

Chercheur au Centre national de recherches météorologiques (Météo France)


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