Elections législatives en Suède : un paysage politique éclaté après une percée plus faible que prévu de l’extrême droite

samedi 15 septembre 2018.
 

Ni la droite ni la gauche n’ont obtenu la majorité, dimanche, lors des législatives. Les formations politiques du royaume vont devoir repenser leurs alliances.

La Suède a connu une étrange soirée électorale, dimanche 9 septembre, augurant de complexes négociations qui pourraient prendre des semaines, voire des mois, avant de déboucher sur la formation d’un gouvernement capable de faire voter ses budgets et mener sa politique. Si elles ne se sont pas traduites par la poussée nationaliste annoncée, les élections législatives entérinent une fragmentation inédite du paysage politique du royaume aux conséquences encore difficiles à analyser.

Le premier ministre sortant, Stefan Löfven, a d’ailleurs attendu la fin du dépouillement, vers 0 h 20, pour venir enfin s’exprimer devant ses partisans. Pendant la soirée, les leaders de la droite et de l’extrême droite avaient exigé sa démission immédiate. Mais le chef de file des sociaux-démocrates a refusé de céder aux pressions et annoncé qu’il restait aux manettes. En tout cas jusqu’à ce que les 50 000 bulletins des Suédois de l’étranger soient dépouillés, mercredi 12 septembre.

Pour le premier ministre, un désaveu difficile à digérer

Car les résultats pourraient encore changer : la droite et la gauche n’ont qu’un siège de différence au Parlement, avec 144 députés pour le bloc de gauche (social-démocrate, Verts et Parti de gauche) et 143 pour l’Alliance (conservateurs, centristes, libéraux et chrétiens-démocrates). Les Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD), eux, en obtiennent 62. S’ils ne parviennent pas à s’imposer comme la deuxième force politique du royaume, ils enregistrent la plus grosse progression à l’issue du scrutin, avec 17,6 % des voix (contre 12,9 % en 2014).

Jimmie Akesson, le leader des SD, a d’ailleurs reçu les chaudes félicitations du gratin nationaliste européen, Marine Le Pen raillant « encore une mauvaise soirée pour l’Union européenne en perspective », tandis que l’Italien Matteo Salvini estimait que « la Suède a dit non à l’Europe des bureaucrates et des spéculateurs, non à l’immigration illégale, non à l’extrémisme islamique ».

Crédité de 20 % des voix, SD espérait pourtant mieux faire. Habitués à sous-estimer ses performances, les instituts de sondage ont, cette fois, surestimé ses résultats. Un report tactique de voix a pu également avoir lieu, au profit des chrétiens-démocrates, donnés à la limite du seuil des 4 % nécessaires pour se maintenir au Parlement. Ils ont finalement obtenu 6,4 %, bien au-delà de leur score de 2014 (4,5 %).

Pour l’ancien métallo Stefan Löfven, le désaveu est difficile à digérer. Avec 28,4 % des voix, sa formation enregistre son plus mauvais résultat depuis 1911, en baisse de près de trois points depuis 2014. S’il a tenté de faire bonne figure devant ses partisans, constatant que les sociaux-démocrates restaient « le premier parti de Suède », il n’a pu cacher sa déception, refusant même de venir sur le plateau de télévision de la chaîne SVT en fin de soirée électorale, comme le veut la tradition.

« L’enterrement de la politique des blocs »

Constatant « l’enterrement de la politique des blocs », il a appelé à faire barrage à l’extrême droite en « collaborant » au-delà du clivage droite-gauche, tout en estimant que la « plus grosse constellation » devait former un gouvernement. Son allié gouvernemental, les Verts, évite de justesse l’exclusion du Parlement, n’obtenant que 4,2 % des voix (contre 6,5 % en 2014), tandis que le Parti de gauche gagne 2,2 points, à 7,9 %. Pour Jonas Sjöstedt, son leader, une seule solution : la formation d’un gouvernement dirigé par Stefan Löfven, mais avec « plus d’influence » pour son parti.

En 2014 déjà, les Verts et les sociaux-démocrates ont formé un gouvernement, avec le soutien du Parti de gauche, sans que les trois partis aient la majorité. Pour tenir à distance les SD, la droite et la gauche s’étaient engagées à ce que l’opposition ne vote pas contre le budget du gouvernement. L’accord, passé en 2014, n’a tenu qu’un an. Mais la pratique a perduré, au grand dam des électeurs conservateurs et chrétiens-démocrates, « dont un certain nombre n’a pas compris pourquoi leur parti ne décidait pas de renverser le gouvernement en s’appuyant sur les SD », explique le politologue Jonas Hinnfors.

Pas question, donc, de recommencer. Si le premier ministre ne quitte pas ses fonctions d’ici à l’ouverture du Parlement, le 25 septembre, les formations de l’« Alliance » de droite ont annoncé qu’elles voteront la défiance. Car elles estiment êtres seules capables de former un gouvernement ayant un large soutien au Parlement – elles excluent la participation du Parti de gauche à un gouvernement composé des Verts et de sociaux-démocrates.

Sauf qu’elles non plus ne disposent pas de la majorité. Les centristes (8,6 %), comme les chrétiens-démocrates, ont beau progresser et les libéraux (5,5 %) rester stables, les conservateurs perdent près de 3,5 points à 19,8 %, réalisant leur plus mauvais score depuis 2002.

« Le pays ne pourra être gouverné »

Dimanche soir, Jimmie Akesson a exhorté le chef de file des conservateurs, Ulf Kristersson, à « assumer ses responsabilités » et entreprendre des négociations avec SD. « On attend de voir s’il tient ses promesses et renverse le gouvernement actuel ou bien s’il compte décevoir ses électeurs et chercher une collaboration avec les sociaux-démocrates », explique Mattias Karlsson, le leader des SD au Parlement.

Le chef de file des conservateurs, Ulf Kristersson, lors de la soirée électorale de son parti Les Modérés, à Stockholm, le 9 septembre. L’extrême droite, selon Mattias Karlsson, ne cherche pas à obtenir de portefeuille ministériel, mais exige « une influence sur plusieurs domaines prioritaires » : l’immigration, avec de nouveaux durcissements des conditions d’accueil ; des investissements conséquents dans l’Etat-providence, « pour réduire les files d’attente dans les hôpitaux et s’assurer que personne ne meurt d’une maladie qui aurait pu être guérie » ; des efforts en faveur des retraités ; et un redéploiement des policiers, « afin de rétablir l’ordre dans le pays ».

Les SD seraient même prêts à soutenir un gouvernement composé des quatre partis de l’Alliance, à condition que les libéraux et les centristes « n’exercent pas d’influence » sur les priorités listées par le parti, assure Mattias Karlsson. Mais dimanche soir, les leaders centristes et libéraux ont rappelé qu’ils refuseraient de siéger au sein d’un gouvernement dépendant des SD, préférant s’appuyer sur le soutien des sociaux-démocrates.

« Si tous les partis tiennent leur promesse, le pays ne pourra être gouverné », constate le quotidien Dagens Nyheter, qui envisage un avenir fait de « crises gouvernementales et de nouvelles élections ». A moins, remarque le journal, que « la politique des blocs implose réellement et que la Suède se retrouve pour la première fois avec un gouvernement ayant le centre pour pivot ». Une alternative uniquement envisageable au terme de longues négociations.

Anne-Françoise Hivert (Stockholm, envoyée spéciale)


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