Après le 8 septembre, ouvrir des perspectives pour les luttes climatiques

jeudi 20 septembre 2018.
 

Historique ! La journée du 8 septembre dernier a marqué contre toutes attentes la rentrée des mobilisations, alors que peu de signes laissaient présager encore quelques jours auparavant une telle déferlante.

Historique, parce que si depuis une grosse dizaine d’années, les mouvements sociaux, écologistes et altermondialistes tentaient de réussir une telle mobilisation pour le climat, jamais autant de personnes ne s’étaient réunies en France pour tirer la sonnette d’alarme et en appeler à des mesures politiques sur cette question. Le précédent lors de la COP21 à Paris à l’hiver 2015 aurait pu donner lieu à des événements de cette ampleur, mais l’Etat d’urgence et le contexte post-attentats avaient refroidi les ardeurs manifestantes.

L’origine de cette journée est l’appel international à des actions à l’occasion du Sommet Mondial sur l’action pour le Climat, rassemblement de maires, de pouvoirs publics, d’entreprises et de membres de la société civile, qui s’est tenu à San Francisco du 12 au 14 septembre. Selon l’ONG 350.org, à l’origine de cette mobilisation, plus de 900 actions dans 95 pays ont eu lieu simultanément, massivement en Europe et en Amérique du Nord, mais également en Asie, dans tous les pays d’Amérique du Sud et dans certains pays africains. En France, 115 000 manifestant-e-s, dont 50 000 à Paris ont été décomptés. Si on pouvait voir dans la dernière partie du cortège les banderoles et drapeaux de la France Insoumise, du NPA, d’Ensemble, d’EELV ou du PCF, l’ensemble des organisations associatives, syndicales ou politiques était très discret, la plupart des manifestant-e-s marchant en dehors de tout cortège constitué. Le contexte particulier a sans aucun doute permis cet élan : après un été particulièrement chaud et une succession de signaux rendant de plus en plus palpable la réalité des changements climatiques (incendies en Californie et en Grèce, inondations suivies d’une canicule au Japon, accélération de la fonte de la calotte glacière…), la démission de Nicolas Hulot et ses explications quant à son incapacité à changer les choses depuis l’intérieur du pouvoir macroniste ont donné un souffle imprévu à la mobilisation. C’est en effet suite à cette démission que des appels ont surgi sur les réseaux sociaux, à côté de ceux des organisations à l’origine du 8 septembre. Il faut bien reconnaitre que sans cela, la mobilisation n’aurait pas eu une telle ampleur, ce qui ne peut qu’interroger d’une part sur les limites des capacités mobilisatrices des organisations mais également sur l’envie de manifester sur un enjeu aussi crucial, mais aussi difficile à appréhender, que le climat. Cela signale également les effets de la démission de Hulot, s’inscrivant dans un contexte de crise de la Macronie, quant à la prise de conscience que maintenant il faut agir, sans attendre des politiques qu’ils bougent le petit doigt. On peut en effet, et avec raison, critiquer la naïveté de l’ancien ministre de la transition écologique et solidaire, ses ambiguïtés et ses limites ; c’est d’ailleurs les mêmes limites ou les mêmes confusions qu’on pouvait en partie observer dans la manifestation parisienne, et sans doute dans les autres villes : dans la plus grande partie du cortège, on n’entendait peu de slogans, on ne trouvait pas de revendications, et sans doute pas le moindre début de solution face aux changements climatiques. Et pourtant, il fallait être présent, en masse, comme l’expression d’un Ya Basta des discours lénifiants de la classe politiques sur l’écologie, qui laissent en définitive la main aux différents lobbys productivistes et à un système productif et énergétique qui continue à nous conduire droit dans le mur.

Et maintenant ?

Si depuis plusieurs années, les scientifiques et les militant-e-s alertent sur la gravité de la situation, le 8 septembre peut être considéré comme un commencement, le moment qui démontre qu’une partie non négligeable de la population est préoccupée par les changements climatiques, au point d’agir en descendant dans la rue, dans une période où le fait de manifester n’est plus très tendance. Bien sûr, il reste beaucoup de choses à faire pour que la population dans toute sa diversité soit présente lors de ce genre d’événements (peu de personnes “racisées” et sans doute aussi peu de classes populaires étaient dans la rue le 8 septembre), mais quelque chose est peut-être en train de s’enclencher, sans attendre qu’un homme providentiel, fut-il Nicolas Hulot, agisse à notre place. Si cette dynamique peut se poursuivre, ce sera par la construction patiente de mouvements, d’initiatives à différentes échelles, de luttes (notamment contre les grands projets écocides ou pour les désinvestissements des énergies fossiles), mouvements qui soient à la fois inclusifs et de masse, qui ne cherchent pas une unification de principe mais puissent se développer en rhizomes tout en construisant des liens et du commun, et qui cherchent à se tourner vers les populations potentiellement les plus affectées par les dégradations environnementales. Deux écueils sont à éviter ; le premier se cantonnerait à expliquer que sauver le climat nécessite un changement complet de système, sans en dessiner de voies ici et maintenant ; le second renverrait à la stricte nécessité de changements à de micro-échelles, entérinant le fait qu’aucun changement politique majeur n’est possible. Dans l’entre-deux, des mouvements qui associent expériences concrètes pour une transition de justice climatique, dans l’habitat, les transports, la fourniture d’énergie, les déchets, l’alimentation, etc., et la nécessité de s’organiser collectivement et de construire des rapports de force face à l’ordre dominant, permettraient qu’émerge une contestation plus vaste qui dessine les contours d’une autre société.

Dans l’immédiat, il s’agit de ne pas laisser retomber le soufflé. Le rassemblement à Notre-Dame-des-Landes les 29 et 30 septembre prochains puis l’arrivée du Tour Alternatiba à Bayonne le 6 octobre peuvent constituer des moments importants de rebond de la mobilisation. Surtout, le nouveau rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur le Climat (GIEC), dont la sortie est prévue début octobre peut être l’occasion de poursuivre l’action à une large échelle partout en France. Par ailleurs, si l’envie d’actions est là et qu’il s’agit de ne pas la décevoir, celles-ci ne remplacent pas les rencontres, les débats, les échanges sur les propositions quant aux revendications et aux actions (voir à ce propos le site nouvelle créé Il est encore temps), échanges qui ne peuvent être cantonnés aux réseaux sociaux. En 2016, Nuit Debout avait connu le succès que l’on sait sans parvenir à trouver un second souffle, mais signalait une envie de se réapproprier les débats politiques, envie qui pourrait se renouveler à propos des changements climatiques. Enfin, si la spontanéité révélée le 8 septembre est une des meilleures nouvelles de cette rentrée, les différentes organisations qui depuis des années bataillent sur la question climatique, ont une grande responsabilité quant aux suites qui seront données à la mobilisation. C’est bien dans l’articulation des différentes dynamiques qu’il sera possible qu’un mouvement pour le climat se politise et se fixe ses propres objectifs, et mette en son cœur la nécessité de s’organiser et de se mobiliser collectivement, solidairement, pour la justice climatique.

Vincent Gay


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