Fonction publique, un contrat pas très social

lundi 12 novembre 2018.
 

« Agilité » et « souplesse » : le Premier ministre a dévoilé lundi sa méthode pour supprimer 120 000 agents d’ici à 2022. Avec une recette privilégiée : la multiplication des contractuels.

La « souplesse » comme principe, le contrat comme outil. Edouard Philippe a présenté lundi matin les grandes lignes de la réforme de l’Etat version Emmanuel Macron. S’efforçant de minimiser l’enjeu financier d’un chantier d’abord censé améliorer le quotidien des agents et perfectionner le service rendu. Mais, dès la veille, en annonçant une « généralisation » du recours au contrat dans la fonction publique, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, avait donné son sous-texte budgétaire au dossier, dont l’exécutif attend aussi de considérables économies.

« Ce qui s’est passé en 1940 »

« Nous sommes tenus de transformer la façon dont l’Etat fonctionne », a jugé le Premier ministre à l’issue d’un comité interministériel de la transformation publique réunissant la plupart des ministres. Plaçant l’enjeu à la hauteur de ces « moments terrifiants où un pays s’effondre, où un Etat se délite : c’est évidemment ce qui s’est passé en 1940 ». Dans ces graves circonstances, « réformer l’action publique, c’est lui permettre d’être plus agile, et conjurer la possibilité d’un affaissement ». Après la RGPP (Révision générale des politiques publiques) sarkozyste et la MAP (Modernisation de l’action publique) hollandaise, auxquelles l’exécutif n’aime pas être renvoyé, c’est sous le label « Action publique 2022 » que sera menée l’entreprise.

Comme ces deux précédents, la feuille de route présentée par Edouard Philippe doit pourtant faire diminuer le nombre de fonctionnaires : cette fois de 120 000 unités d’ici à 2022 (50 000 pour l’Etat, 70 000 pour les collectivités). Une baisse à peine entamée sur les dix-sept premiers mois du quinquennat, avec 1 600 suppressions de postes en 2018 et 4 500 prévues pour 2019. « On veut faire les choses bien », indique Matignon. Lundi, Edouard Philippe a annoncé la création d’un « fonds d’accompagnement ressources humaines ». Doté de 50 millions d’euros par an, celui-ci soutiendra la reconversion des agents publics démissionnaires.

Pour les nouveaux entrants, l’exécutif souhaite démultiplier le recours au contrat, aujourd’hui très encadré. Sur 5,5 millions d’agents de la fonction publique, on compte déjà un million de contractuels. Mais l’usage reste moins courant dans la fonction publique d’Etat que dans les collectivités. Contrairement à une embauche au statut, le procédé donnerait à l’employeur une certaine latitude quant à la durée de la mission, ses conditions d’exercice et sa rémunération. Si Edouard Philippe ne s’est pas étendu lundi sur ce point sensible, Gérald Darmanin, dimanche, et le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt, lundi, avaient confirmé les intentions du gouvernement : « Nous voulons avoir les deux modalités de recrutement à la fois : le titulariat et le contrat », a expliqué sur LCI le second, qui mène ces mois-ci une concertation avec les syndicats de la fonction publique. Ces derniers ont fait savoir, dimanche et lundi, leur opposition à toute « généralisation » du contrat, « une remise en cause du statut général des fonctionnaires » selon la CFDT.

Administration du futur

La question ne représente cependant qu’une partie de la très ambitieuse « transformation » souhaitée par l’exécutif. Celui-ci a arrêté lundi des « plans de transformation ministériels », issus de ses entretiens avec les ministres mais aussi des préconisations du Comité Action publique 2022, dit CAP 22. Installé l’an passé, ce groupe d’experts avait planché plusieurs mois sur l’administration du futur. Avant de voir le fruit de ses travaux escamoté par le gouvernement, car jugé trop sensible. Une fuite dans la presse avait toutefois permis de consulter le document, et de méditer son refus d’« opposer l’excellence du service public et la baisse des dépenses publiques ».

Finalement, « entre 60% et 75% » des propositions du comité ont été reprises, a estimé lundi Edouard Philippe. Chargé de mener à bien « cinq à six chantiers prioritaires », chaque ministère fera l’objet d’une sévère évaluation par Matignon, qui rendra compte « tous les trois mois de l’avancée de ces plans au président de la République ».

« Guichets multiservices »

Très variés, voire un peu fourre-tout, ces chantiers comprennent aussi bien l’achèvement de la réforme constitutionnelle (Justice) que la lutte contre le travail illégal (Travail), le redécoupage des académies (Education nationale) que la conduite du dialogue avec les cultes (Intérieur). Bien souvent, les ministères sont aussi priés de réfléchir à leur propre organisation, de réduire leur production de normes et de s’appuyer davantage sur leurs administrations territoriales.

Pour entretenir le lien entre administration et citoyens, le gouvernement veut publier les indicateurs de la qualité de service de différentes administrations, donner aux usagers la possibilité d’exprimer leur avis sur la future plateforme « Voxusagers », et lancer sur le terrain des « guichets multiservices » communs à l’Etat, aux collectivités et aux opérateurs, « qui permettront aux usagers de réaliser, en un même lieu, les démarches les plus utiles et les plus demandées ». En parallèle, l’ensemble des procédures administratives seront réalisables en ligne d’ici à 2022.

La question reste posée, enfin, d’éventuels abandons de mission par l’Etat, qui les transférerait aux collectivités ou aux opérateurs publics, pour mieux se concentrer « sur ses missions fondamentales ». Travaillée durant l’été par Matignon, cette question délicate pourrait faire l’objet d’annonces d’ici la fin de l’année.

Dominique Albertini


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