Espagne : Alliance PSOE-Podemos

vendredi 16 novembre 2018.
 

Nous reproduisons ici un article de Pedro Chaves, membre de Izquierda Unida, conseiller politique du groupe GUE/NGL au Parlement européen, ancien professeur de science politique à l’université Carlos III de Madrid.

À peine arrivé au pouvoir, le gouvernement de Pedro Sánchez a sauvé l’honneur de la gauche européenne en accueillant les réfugiés de l’Aquarius. Mais que savons-nous, depuis, de l’Espagne nouvelle, si ce n’est qu’elle est dirigée par un cabinet socialiste minoritaire, soutenu par les autres forces de gauche et par les députés nationalistes des périphéries ? Pedro Chaves, politiste et membre de Izquierda Unida, a bien voulu nous éclairer sur les perspectives susceptibles de s’ouvrir à l’alliance PSOE-Podemos.

Le changement politique en Espagne survenu au mois de juin dernier a été reçu comme un formidable soulagement. Après la sentence judiciaire dans le cas Gürtel1, la situation du gouvernement de droite n’était plus viable. Lors du procès, la Cour a en effet mis en évidence le financement illicite du Parti populaire (PP), qui a perduré pendant des années, et a même compromis l’honneur du Premier ministre Mariano Rajoy. La collaboration entre Podemos et le Parti socialiste a permis, entre autres, la victoire de la motion de censure et la chute consécutive du gouvernement du PP2.

Censurer Rajoy et son monde

Le problème est de savoir si cette collaboration répond à la vieille logique des fronts populaires ou s’il s’agit d’un nouveau type d’engagement, d’une nouvelle dynamique de collaboration politique ?

Deux entretiens menés avec Pablo Iglesias (secrétaire général de Podemos) la semaine du 17 au 21 septembre soulignent les contradictions de cette nouvelle union de la gauche. D’une part, Pablo Iglesias reconnaît que sa mère lui dit régulièrement que Podemos doit être plus sévère avec le PSOE ; d’autre part, le chef de file de Podemos estime que les gouvernements d’un seul parti politique sont finis en Espagne.

Le premier des messages fait référence à un passé et à un présent qui traversent les relations entre la social-démocratie et la gauche radicale : la méfiance et la volonté d’occuper l’espace électoral de l’autre. Le second renvoie à une réalité qui devient de plus en plus présente : la reconstruction de la représentation politique en Europe. Les principaux récits changent, les questions qui dominent l’agenda public et l’émergence de forces politiques d’extrême droite constituent un défi pour l’ensemble du système politique en général, et pour les forces de gauche en particulier.

La réalité montre un panorama où l’effondrement électoral de la social-démocratie et la marginalisation politique croissante de la gauche alternative, deviennent des éléments très significatifs. La réalité politique en Espagne est sans précédent aujourd’hui : un gouvernement unicolore du PSOE avec seulement 84 des 350 députés présents aux Cortes, et le résultat de la première motion de censure réussie de l’histoire parlementaire moderne dans notre pays. Une motion de censure qui, en outre, a triomphé contre toute attente, et en une semaine seulement.

Il faut savoir que, dans une large mesure, la motion de censure proposée par le Parti socialiste a triomphé non seulement grâce au soutien de Podemos, mais aussi grâce à l’engagement personnel de Pablo Iglesias. Il n’y a aucun doute que cette attitude constituait déjà un changement de stratégie politique remarquable par rapport à l’occasion manquée d’un gouvernement socialiste pendant ce que l’on a appelé la « petite législature »3.

Une nouvelle donne à gauche

Cinq éléments ont modifié la relation entre le PSOE et la gauche alternative, et semblent devoir remodeler les relations entre les deux espaces politiques.

Le PSOE a acquis la conviction que le phénomène Podemos ne sera pas passager et que, par conséquent, ce parti ne peut être évité en tant qu’acteur politique significatif.

Le PSOE a fini par comprendre qu’il n’aura plus de majorité absolue pour former un gouvernement en solitaire. Cela implique la conclusion d’accords de gouvernement et de collaboration avec d’autres forces politiques.

Parallèlement, le virage de la droite européenne vers un programme néolibéral et identitaire rend très difficile la réédition des formules politiques de collaboration entre le centre-droit et le centre-gauche, typiques de la configuration parlementaire issue de la Libération.

Podemos s’est convaincu – et c’est un élément aussi important que les précédents – que sa stratégie d’« assaut au ciel » et de dépassement électoral du Parti socialiste à court et moyen terme n’est pas viable. Dans ce contexte, toute politique de changement implique une collaboration entre les deux partis, de manière inévitable.

Enfin, le cycle de protestation initié avec 15M (le mouvement des « Indignés ») a pris fin, et il n’y a aucune perspective de mobilisation sociale significative dans les années à venir. Pour cette raison, l’axe de gravité de l’action politique passe de la rue aux institutions. Et dans cet espace, ce qui compte, c’est la représentation politique.

Cela signifie que la scène politique a beaucoup changé et que ce changement sera constant et durable. Les anciennes logiques, qui dominaient jusqu’à présent la relation entre sociaux-démocrates et gauche radicale, ont cessé d’être utiles dans cette nouvelle configuration.

Débats autour du budget

Les quatre mois à peine écoulés depuis l’inauguration du gouvernement de Pedro Sánchez en Espagne ne sont pas suffisants pour savoir si nous assistons à un nouveau type de collaboration entre les organisations de gauche.

Podemos, Izquierda Unida et leurs partenaires sociaux ont expliqué que leur principale préoccupation était désormais le budget de l’État. Unidos Podemos – la coalition formée autour du parti de Pablo Iglesias à l’occasion des législatives de 2016 – a fait une proposition basée sur 17 mesures de dépenses à contenu social élevé (réduction du prix de l’électricité et du logement locatif, budgets féministes, augmentation du salaire minimum) et quatre mesures de recettes fiscales, relativement modestes en termes de revenu budgétaire, mais d’une importance symbolique très puissante : des taxes sur les grandes banques, les grandes fortunes, les transactions financières et l’économie numérique.

C’est un défi pour le Parti socialiste qui a déjà annoncé que les conditions ne sont pas réunies pour mettre en œuvre certaines de ces mesures. Podemos entend utiliser cette situation pour souligner les contradictions du PSOE. Mais il est également probable que le parti de Pablo Iglesias paiera le prix fort s’il apparaît comme essayant de déstabiliser le gouvernement socialiste.

L’union est un combat

Podemos a alors essayé de maintenir sa position de soutien au PSOE en adoptant une politique de gestes d’ouverture et de propositions concrètes visant à calmer le malaise des personnes qui – comme la mère de Pablo Iglesias – demandent à Podemos d’être plus dur et plus exigeant avec le PSOE.

Il est difficile de penser que la législature actuelle puisse aller jusqu’à l’été 2020, mais les changements dans les conditions politiques, sociales et institutionnelles resteront similaires si des élections se tiennent en 2019 ou en 2020. De ce point de vue, les défis pour la collaboration entre les forces de gauche continueront à se poser toujours dans les mêmes termes dans les années à venir. Et ce que nous pouvons dire, pour finir, c’est que nous vivons un moment de recomposition de tout l’espace politique et que ce processus a un impact particulier sur les forces politiques de gauche, ce qui les oblige à repenser les paramètres de la stratégie de l’union de la gauche.

Notes

L’affaire Gürtel est un scandale politico-financier faisant suite à l’enquête menée à partir de février 2009 par le juge de l’Audience nationale, Baltasar Garzón, et impliquant un réseau de corruption lié au Parti populaire.

Trois autres motions de censure ont été présentées en 1980, 1987 et 2017. En Espagne, suivant le modèle allemand, la motion de censure doit être constructive, c’est-à-dire présenter un gouvernement alternatif et un candidat à la présidence du conseil. Si la motion de censure l’emporte, le candidat qui la présente devient automatiquement Premier ministre.


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