19 octobre 2018 : Auditions policières après les perquisitions

mardi 20 novembre 2018.
 

1 Récit de la perquisition policière à mon domicile

2 16 octobre 2018 Opération policière et boue médiatique de concert contre la France Insoumise

Le mercredi 19 octobre, au lendemain de ma perquisition – et surtout de la sienne ! – Jean-Luc Mélenchon est l’invité de Jean-Jacques Bourdin pour revenir sur ces évènements (raison pour laquelle j’ai fait décaler mon audition). Il dénonce la « volonté d’intimidation » et l’opération politique que représentait la disproportion du déploiement policier contre la France insoumise.

Après avoir live-tweeté l’émission et l’avoir mise en ligne, j’enchaîne en mettant en ligne celle que j’avais moi-même faite la veille. L’opération terminée, je quitte mon domicile pour me rendre à Nanterre où je suis convoqué dans le cadre de l’enquête préliminaire qui m’avait valu la perquisition.

J’arrive à Nanterre vers 13h et je m’installe dans un restaurant en attendant de pouvoir voir mon avocat. Lui-même accompagne un camarade à une autre audition. Je sais que quelques autres y sont déjà. C’est une sensation bizarre : des gens qui d’habitude sont en contact quasi permanents ensemble se retrouvent soudain dans l’incapacité d’échanger entre eux… au moment même où la situation exigerait de s’envoyer des messages, ne serait-ce que pour se soutenir mutuellement. Mais c’est comme ça.

13h45. Après avoir espéré pouvoir manger avec mon avocat pour faire le point, je me résous à manger seul. Devant passer à 15h30 et sachant que l’audition risque d’être une épreuve physique, je veux avoir le ventre plein avant d’entrer dans le tribunal. Mais je n’ai guère d’appétit. Je mange péniblement une demi-pizza. À 14h30, mon avocat arrive. Il est affamé. Lui-même sors d’une audition de 5h avec un autre client… Nous discutons. Il m’explique comment se passe une audition. Il me dit quels sont mes droits. Il engloutit une pizza.

Puis vient l’heure fatidique. Nous entrons dans le tribunal de Nanterre. Après une courte attente, l’un des policiers qui avait perquisitionné chez moi la veille vient nous chercher pour nous accompagner jusqu’au lieu de l’audition. Nous arrivons dans un bureau. Un deuxième policier est présent (ainsi qu’un troisième, mais qui finalement n’est pas resté). L’audition commence. Le processus est long et fastidieux car il n’y a pas d’enregistrement. Il faut donc tout retranscrire au fur et à mesure à la main.

Je ne peux ici raconter cette audition. Je ne suis pas Mediapart et je respecte le secret de l’enquête. Je peux seulement dire quelques petites choses à son sujet. D’abord qu’elle a duré 4h30. C’est beaucoup. Mais c’est peu comparé à d’autres de mes amis qui sont restés en audition parfois 7h et même 12h dans le pire des cas.

Ce que je veux surtout dire ici, c’est la sensation que l’on a lorsqu’on est une personne honnête et que l’on subit ce genre de situation. Chaque acte de votre vie professionnelle et militante se trouve soudain décortiqué, analysé, charcuté, tailladé. Je ne dis rien du contenu des questions. Mais je suis sorti de là complètement lessivé.

Une audition comme celle-ci est une épreuve physique et morale. Car alors que vous consacrez votre vie à défendre des idées dont vous estimez qu’elles seules peuvent apporter le bonheur à vos semblables, alors que vous consacrez votre temps à défendre ce que vous estimez être l’intérêt général, vous êtes soudainement mis en position de suspect pour chacun des actes que vous accomplisse dans ce but. Cette sensation – qui est une sensation de salissure, s’il fallait la nommer – c’est celle qu’a résumé parfaitement une camarade qui m’attendait à la sortie (après avoir elle-même été auditionnée bien plus longtemps que moi) lorsqu’elle m’a dit : « Nous sommes les gentils. Pourquoi on nous fait ça ? Pourquoi on nous traite comme des voyous ? On veut juste que le monde aille mieux. Nous sommes les gentils ! Les voyous, ce sont eux ».

Ici, bien sûr, « eux » ne veut pas dire les policiers qui nous auditionnent et qui font la besogne qu’on leur a demandée. « Eux », ce sont nos adversaires. Ceux qui fraudent le fisc. Ceux qui, même sans frauder, engloutissent l’argent dans leurs poches sans fond. Ceux à cause desquels d’autres meurent de froid, de faim ou de soif dans la rue. Ceux qui pourrissent nos vies et la planète qui va avec. Et surtout : ceux qui font la politique qui permet aux riches de l’être toujours plus et qui ne donne aucun horizon à tous les autres. « Eux », les vrais voyous de ce monde. Mais c’est nous qu’on perquisitionne et qu’on envoie en audition.

À 20h00, sorti du tribunal de Nanterre, j’ai bu une petite bière avec deux camarades (Mediapart, notez consciencieusement, ça fait beaucoup de bières à force, non ?). Ça m’a fait du bien. C’est là que l’une des deux m’a dit que nous étions « les gentils ». Et ça m’a tiré une larme. Et à elle aussi. Puis ils m’ont raccompagné chez moi. J’avais mal au cœur comme pas possible. Non pas que la conduite aurait été mauvaise. C’était un autre genre de mal au cœur. Un écoeurement.

Arrivé chez moi, j’ai craqué. Une giboulée de larmes. La pression de deux jours qui retombait d’un coup. Ça m’a fait du bien de lâcher un peu prise. J’en avais besoin. J’ai mangé vaguement. Une demi assiette de pâtes à l’huile. Histoire de ne pas se coucher le ventre vide après deux jours pareils.

Et là, Jean-Luc m’a appelé. Ça tombait bien. On a parlé. Je ne vais pas vous dire ce qu’on s’est dit, vous demanderez à Mediapart qui connaît probablement quelqu’un qui fait des écoutes téléphoniques. Mais ce qu’il m’a dit, lui, m’a fait du bien. Ça m’a remonté le moral et m’a donné la pêche.

Après cette journée bien chargée, j’ai regardé une série. J’avais envie de me vider un peu la tête. Puis je suis allé me coucher. Trop tard, évidemment, puisque je n’ai pas résisté à l’envie de regarder deux épisodes au lieu d’un. Game of Thrones est décidément une bonne série.


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