Trou d’air pour Macron (Jean-Luc Mélenchon)

lundi 10 décembre 2018.
 

Ce sont des jours hors du commun que ceux-ci. Une page d’histoire absolument nouvelle s’écrit sous nos yeux. Bien sûr, la vie semble suivre globalement son cours ordinaire. Et il en est bien ainsi en effet pour presque tout le monde. Mais la matière politique qui forme la trame d’un pays et d’un peuple est en pleine déformation. À La Réunion, l’arrivée du ministre et les charges de gardes mobiles pour lui « nettoyer le terrain » fonctionnent comme un accélérateur de l’état insurrectionnel dans lequel vit la population de l’île. Le nombre de barrages a explosé, les pénuries commencent, la population ne relâche pourtant pas son soutien à l’action des gilets jaunes.

Dans l’hexagone, mardi, la chute du Président dans le trou d’air de son discours sur la transition écologique ouvre une séquence des plus imprévisible. Qu’un chef d’État affrontant une crise sociale et morale de l’ampleur de celle qui déchire la France parle sans effet n’est pas sans conséquence. L’exécutif n’a plus la main. Peut-il la reprendre ? La question sembla sans issue à de Gaulle après la même mésaventure d’un discours solennel tombant à plat en 1968. Il s’enfuit à Baden-Baden. Si Pompidou n’avait pas maintenu le cadre, tout aurait été emporté.

De nouveau, tout semble se dérober sous les pas des pouvoirs. Et d’abord le pouvoir lui-même. Voyez plutôt. Ce jour de grand discours, les députés avaient reçu un message présidentiel les invitant à assister au discours du président. Etrange invitation. Venir faire tapisserie pour écouter sans pouvoir faire autre chose que critiquer à la sortie comme dans une comédie écrite d’avance. Vérification faite, tout le monde n’était pas invité, sauf les présidents de groupe. Mais qui a pu imaginer convoquer les présidents de groupe le jour et à l’heure traditionnelle de… la conférence des présidents… à laquelle participe d’ailleurs… le ministre des Relations avec le Parlement. C’était signé : la technostructure élyséenne a encore frappé. Ignorante et arrogante, elle ne prévient même pas le ministre impliqué. Dommage, car celui-ci était encore président de groupe il y a deux mois et il aurait pu les mettre en garde ! Cette micro-anecdote est un bon résumé de l’ambiance de confusion qui règne au sommet de « la start-up France » et de la « team Macron ».

Dans les mêmes conditions, je me demande qui a suggéré au président de lancer le terme d’« écologie populaire » après que j’en ai fait le thème de mon discours à Corbeil-Essonnes la semaine passée pour installer publiquement cette définition de notre point de vue sur ce sujet… Savait-il vraiment qu’il me plagiait ou bien quelque zélé a-t-il voulu se faire passer auprès du grand chef pour un conceptualisant de choc ? Autant de « mini-bugs » qui attestent la perte de contrôle du président sur son propre appareil.

Sur le terrain, cela ne vaut guère mieux. Huit heures de confrontation sans résultat sur les Champs-Élysées samedi, des dizaines d’assauts à La Réunion sur les barrages sans autres résultats que de nouveaux barrages… « En haut, on ne peut plus », comme disait le début de la formule de Lénine pour décrire ce qu’est une situation prérévolutionnaire. Et sur le terrain, la volonté politique semble incroyablement déterminée. Loin du « mouvement qui s’essouffle », ce grand classique du parti médiatique, les occupations de ronds-points et les klaxons de solidarité se sont multipliés d’un rond-point à l’autre partout dans le pays. Et samedi s’annonce dense et mobilisé. Les innombrables slogans « Macron démission » se doublent dorénavant au 20 heures de France 2 d’un « on va faire tomber ce pouvoir » proféré par un gilet jaune sur un ton sans appel. Sans doute la direction politique de la chaine pensait-elle faire peur. Mais elle a surtout suscité une pluie d’alerte sur ma messagerie par des gens que cela galvanisait.

En toute hypothèse, ce qui remonte du terrain c’est qu’il y a une grande diffusion du mouvement dans toutes les grandes périphéries des villes, des assemblées citoyennes spontanées un peu partout et des cahiers de revendications qui fleurissent de tous côtés. Du côté des Insoumis, l’analyse se confirme : « en bas on ne veut plus » comme le dit la fin de la formule citée plus haut. L’attitude de notre Mouvement doit être partout de faciliter la mobilisation et surtout par-dessus tout d’en respecter scrupuleusement l’autonomie. En réunion, notre groupe parlementaire a décidé d’aider aussi partout où cela se peut à « élargir le front » dans les directions où il peut l’être : population des grands centres urbains peu mobilisés à cette heure, jeunesse, quartiers populaires. Chacun dans son secteur est appelé à y pourvoir. Mais surtout le groupe a produit un communiqué qui ouvre une perspective immédiate à la sortie de crise.

« L’écologie sera populaire ou ne sera pas. » conclut l’adresse des députés. Ce document a été présenté aussitôt à la presse et quelques instants plus tard, en séance pleinière, Éric Coquerel lançait, au nom du groupe Insoumis, une question au gouvernement. Les liens qui surlignent ces mots vous renvoient sur la vidéo qui correspond à ce moment.

En agissant comme nous le faisons, à la fois « comme des poissons dans l’eau » dans le mouvement et facilitateurs partout où nous le pouvons et sur tous les plans, nous pensons avoir réussi à empêcher la terrible fracture qui menaçait : voir le mouvement obligé de se tourner vers la droite et l’extrême droite pour être politiquement relayé. Le nouveau secrétaire national du PCF s’est également tourné vers une attitude engagée dans le mouvement qui tranche avec l’attentisme consterné de la précédente direction. Dorénavant, la direction confédérale de la CGT a elle aussi, enfin, pris le relais et appelé le mouvement syndical à s’associer à la lutte. Le balancement du PS laisse une dominante favorable au mouvement lui aussi.

Certes, le mouvement excède et déborde tous les cadres et n’en accepte aucun pour rester de grande ampleur. Mais le tableau initial se redessine dans le sens d’un plus large soutien du monde traditionnel qui se tenait jusque-là dans une mise à distance incompréhensible. On peut donc pronostiquer un samedi actif et mobilisé à un plus haut niveau que la semaine précédente. La réplique du pouvoir est assez prévisible. Une fois de plus il jouera « les violences des extrêmes » et « le mouvement qui s’essouffle ». On sait que faire : persévérer ! Mais précisons sans ambiguïté un point crucial. Pour notre part, nous sommes hostiles à toute violence dans le mouvement social. J’ai déjà écrit ici même pas mal de choses sur le sujet. Cette attitude est un choix de stratégie : la violence écarte de l’action le grand nombre qui s’en effraie et dissuade les hésitants d’entrer dans l’action. Elle sert si bien l’imagerie attendue par ceux qui combattent l’action populaire qu’on peut la dire complice des pouvoirs qui la place sous les projecteurs. La comédie de Castaner contre les « séditieux » samedi est assez parlante et récente pour que chacun puisse savoir de quoi je parle ici.

Après quoi, il est frappant d’apprendre que les jugements en comparution immédiate après la séquence aux Champs-Élysées ont prouvé que la quasi-totalité des personnes interpellées n’avaient aucun rapport avec l’ultra-droite ni l’extrême gauche ! Ce sont donc des personnes qui ont agi sur un coup de colère. Il est donc utile et efficace de faire savoir avant l’action que c’est une faute contre le mouvement d’agir de la sorte. À l’inverse, tout ce qui rapproche les participants à l’action et approfondit leur détermination est profitable. Et par-dessus tout : ce qui créé de la confiance en soi et de l’auto-organisation. Dans ce registre, la transformation des barrages en assemblées citoyennes et l’élection de délégués de ces barrages est de cet acabit. Et cela permet de régler les problèmes de représentation que de tels regroupements si divers à tous égards ne manquent pas de poser. C’est donc cela que nous pouvons faire pour faciliter la cohésion et la durée de l’action : lui suggérer une forme d’organisation. Sans plus. Quant à notre plan de sortie de crise, nous le ferons connaître sans chercher jamais à l’imposer de quelque manière que ce soit, comme une contribution à la rédaction de ces cahiers de doléances que l’on voit surgir ici où là.

Ce que nous vivons est un moment de révolution citoyenne telle que la théorie de L’Ère du peuple en prévoyait la forme et les contenus. Pour chacun d’entre nous est posé la question de savoir comment se positionner : avec le peuple ou bien contre, sachant qu’il n’y a pas de milieu dans ce domaine et dans ce moment.


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