Gilets jaunes. Panique médiatique et bouée de sauvetage de la Macronie

dimanche 30 décembre 2018.
 

Les grands médias ont bien dû bousculer leur agenda et leurs certitudes quand ont surgi les gilets jaunes à travers la France. Mais chassez le naturel libéral, il revient au galop, à grand renfort de mépris de classe.

Le 1er décembre. «  Scènes de chaos  » en plein Paris. Ses magasins sont pillés, les commerçants hagards, les CRS épuisés. Pour entendre la voix des manifestants, ce soir-là, il a fallu attendre la dix-huitième minute du 20 heures de France 2 et subir les doctes analyses de Nathalie Saint-Cricq sur ces «  scènes de radicalisation  ». D’un côté, la France des éditorialistes, bien au chaud dans leur fauteuil. De l’autre, le pays réel, celui des gilets jaunes sur les ronds-points, celui qui souffre et se résout à le crier.

Au début, le mouvement a un gros capital sympathie dans les médias. «  Il y a eu une espèce de curiosité autour de cette mobilisation issue des réseaux sociaux. Une curiosité qui s’est traduite à la fois par des reportages sur les ronds-points, où on essayait de comprendre qui étaient ces extraterrestres en jaune, et leurs revendications, sachant que, d’habitude, on ne voit pas dans les médias ces classes populaires  », analyse Frédéric Lemaire, membre de la rédaction d’Acrimed. Pour lui, «  ce fut une forme de malentendu sur les revendications, interprétées comme principalement antifiscales, avec une curiosité mêlée d’une condescendance par les états-majors des grands médias  ». La deuxième phase  ? «  Une forme d’animosité croissante  ». Ce que sa complice Pauline Perrenot traduit par «  ce qui était paternaliste et condescendant est devenu mépris de classe  ». Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT, estime que «  dès qu’il y a eu remise en cause sociale, avec des revendications sur l’ISF et le Smic, dès que ça a pété dans les quartiers riches, la peur a changé de camp. Et le propos s’est axé sur les violences  ». La conséquence  : relais systématique de la communication gouvernementale, injonctions à ne pas manifester, accumulation de sujets sur le coût des dégâts… Le syndicaliste s’agace  : «  Après l’allocution de Macron (le 10 décembre – NDLR), pas un seul journaliste de plateau n’a relevé qu’il ne s’agissait pas d’une hausse du Smic, mais de la prime d’activité, déjà prévue. C’est de l’enfumage organisé.  » Les gilets jaunes ont beau comprendre en temps réel que les mesures annoncées sont de la «  poudre de perlimpinpin  », les éditorialistes, eux, y voient «  un bon coup de barre à gauche  » et «  un virage social  » (Bruno Jeudy), la réussite d’un «  discours impossible  » dont se «  moquent  » les gilets jaunes «  radicalisés  » (Dominique de Montvalon) ou encore «  une intervention réussie  » après laquelle «  s’il y a un acte V, il faudra en expliquer sérieusement la raison  » (Jean-Michel Aphatie). «  Nous sommes dans des enjeux de classes  !  »

Car, c’est bien connu, le peuple «  grogne  », mais le peuple n’y connaît rien en économie. Les éditorialistes, eux, si. Pour Frédéric Lemaire, «  c’est révélateur d’une double violence, celle des mesures libérales imposées, et celle, plus symbolique, où l’on explique aux gens pourquoi elles seront bonnes pour eux  ». Pauline Perrenot abonde  : «  Nous sommes dans des enjeux de classes. Tout ce que les éditorialistes rabâchent sur la nécessité d’explications s’inscrit là-dedans. C’est ce qui exaspère les gens. Car il n’est pas question de pédagogie  : ils revendiquent des mesures sociales qui vont à l’encontre des mesures libérales prônées.  » Ce n’est pas nouveau  : lors des dernières grosses mobilisations sociales, comme celles contre la loi El Khomri ou la réforme de la SNCF, la petite musique a été la même. «  Cela fait vingt ans qu’à chaque grève de la SNCF, on désigne les usagers comme otages des grévistes dans les médias  », note, ironique, Vincent Lanier, secrétaire général du SNJ. Frédéric Lemaire insiste  : «  La présence des gilets jaunes dynamite les plateaux car ils arrivent avec leur vécu, et montrent que tous ces rideaux de fumée qu’on leur avance ne fonctionnent plus. C’est une forme d’irruption, contre le gré des médias, dans un dispositif médiatique fait pour cacher la violence sociale.  » Giesberg parlait déjà de «  racket social  » lors des grèves de 1995

C’est alors que certains grands médias sortent de leur rôle et se veulent acteurs de la négociation entre le pouvoir et ceux qui ont le mauvais goût de déstabiliser l’ordre établi. Sur BFMTV, dans l’émission de Ruth Elkrief, les habituels chroniqueurs entourent un gilet jaune, seul, qui est bien sûr recadré par ces «  sachants  », quand il va trop loin dans ses revendications. Parmi ces têtes pensantes, des députés LaREM ou Modem, des responsables de l’Express, l’Opinion, le JDD ou l’indéboulonnable Franz-Olivier Giesberg, qui juge le mouvement comme «  un café du commerce national  ». Le même parlait de «  racket social  » en plein mouvement de grève de 1995… Pour Pauline Perrenot, «  un des rôles que se sont donnés les médias dans cette mobilisation, c’est la sélection et la promotion de ceux qui auront le droit de s’exprimer. Depuis le début, ils réclament des porte-parole pour pouvoir synthétiser le mouvement et se l’approprier  » et cherchent le « “bon client” médiatique, qui se montre modéré  ». Du 16 novembre au 17 décembre, dans la première matinale radio de France, celle de France Inter, seul un gilet jaune, tout comme chacun des représentants des oppositions de gauche et syndicales ont eu le droit à leur carton d’invitation. Quand la droite a été interviewée à cinq reprises et le PS, pas ses élus mais ses figures du précédent quinquennat, trois fois. Et la majorité présidentielle  ? Dix fois, rien que ça.

Caroline Constant et Audrey Loussouarn


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