Gilets jaunes : une conscience de classe en formation.

vendredi 8 février 2019.
 

Le mouvement des Gilets jaunes est indiscutablement un soulèvement populaire hétérogène dans sa composition sociologique et idéologique. Le qualifier de révolutionnaire reste problématique et est pour le moins prématuré car ce mouvement social n’a pas encore construit un projet de gouvernement et un projet de société cohérents alternatifs, réalisables, servant l’intérêt général.

Aude Lancelin, dans son émission du média.tv Vraiment politique du 31/01/2019 intitulée « Comment faire plier Macron » a invité des Gilets jaunes et un politologue.

Voir l’émission en cliquant ici : https://www.lemediatv.fr/vraiment-p...

On peut aussi utiliser le lien sur ce site avec un petit texte introductif : http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Mes commentaires qui suivent ne s’appliquent pas à l’ensemble de tous les Gilets jaunes mais aux propos tenus par ceux qui étaient invités.

Certains propos tenus par les Gilets jaunes invités semblent montrer le caractère relativement embryonnaire de la conscience politique des protagonistes de ce mouvement social.

Il ne suffit pas, acculés à la misère et le dos au mur, de demander une hausse du pouvoir d’achat, une diminution des taxes, un impôt plus juste progressif, éradiquer la pauvreté, il ne suffit pas de constater la confiscation du pouvoir démocratique par des gouvernants ne tenant pas leurs promesses et de réclamer un référendum d’initiative citoyenne pour s’affirmer comme fer de lance d’une révolution en cours au fil des rues et des ronds-points dans le tumulte d’affrontement avec les forces de l’ordre.

Mettre dans le même sac tous les syndicats, avec des directions traîtres qui se partageraient un gâteau avec le patronat ou des représentants de l’État ; considérer que le mot d’ordre « Macron démission » ne sert à rien car cela consisterait à remplacer un « pourri » par un autre au moins aussi « pourri », c’est considérer que, par exemple, Mélenchon est à mettre dans le même sac que Macron, c’est ignorer l’existence du programme alternatif l’Avenir en commun et l’existence même du mouvement citoyen La France Insoumise qui a à peine trois ans d’existence qui ne peut être considéré comme un vieux parti. Alors, si ce mot d’ordre ne sert à rien, on peut se demander pourquoi il est si souvent utilisé par les Gilets jaunes dans les manifestations. Peut-être que cet invité voulait-il dire que le successeur de Macron soit un président issu des rangs des Gilets jaunes.

Mettre encore dans le même sac tous les partis politiques témoigne d’une ignorance totale du positionnement Idéologique et politique des partis par rapport à la classe dominante.

Cela révèle un manque de connaissance et d’analyse politique de la société française depuis 40 ans au moins.

Si l’on se réfère aux 42 revendications–proposition des Gilets jaunes de fin novembre 2018 et au texte de la déclaration de l’assemblée des assemblées qui s’est tenue à Commercy le 26–27 janvier 2019, on constate que la lutte contre le chômage n’apparaît pas explicitement (ce sont les mots précarité pauvreté, plus vague, qui apparaissent) alors que le chômage est un fléau majeur qu’il convient de clairement identifier.

De même, sont remis en cause les privilèges des élus mais pas ceux des patrons du CAC 40 et des des oligarques de la finance. Les mots dividendes et actionnaires n’apparaissent pas.

Pourtant, le montant total des dépenses de l’État pour rémunérer les députés, les sénateurs, les membres du gouvernement, le conseil constitutionnel, la chaîne de télévision parlementaire s’élève à 1,3 milliard d’euros soit 0,1 % des dépenses publiques (1345 milliards d’euros). En revanche le total des dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 en 2017 s’élève à 57,8 milliards d’euros.

Texte de 42 revendications ici :

https://blogs.mediapart.fr/jeremiec...

Texte de la déclaration de l’assemblée des assemblées ici :

https://alencontre.org/europe/franc...

Rendre responsables les syndicats de la relative inefficacité de leur action ces dernières années, en invoquant la tarte à la crème de l’opposition entre une direction corrompue et une base motivée mais freinée dans son action reflète un manque d’analyse de la complexité de l’action syndicale dans un milieu de plus en plus économiquement et idéologiquement dominé.

C’est aussi faire l’amalgame entre un syndicalisme de combat et un syndicalisme de conciliation.

Celui qui a invoqué à juste titre l’utilité de l’éducation populaire devrait déjà l’appliquer à lui-même en améliorant notamment son niveau de connaissance de l’histoire du mouvement syndical et notamment de l’histoire de la CGT qui a participé activement après la Libération à la création de la sécurité sociale.

En réalité, on retrouve ici le résultat de 40 années de matraquage médiatique, de dépolitisation médiatique sur une fraction de la population longtemps largement isolée des luttes sociales et maintenant en révolte. La segmentation de l’appareil productif des biens et services, le nombre élevé de petites entreprises où n’existe pas de section syndicale, la peur de perdre son emploi ont contribué à écarter bon nombre de nos concitoyens des organisations syndicales. Nombreux Gilets jaunes dénoncent la malveillance ou le mépris des médias dominants à leur égard et l’image négative renvoyée par les médias de leur mouvement.

Ils devraient tous se poser la question : n’ont-ils pas été, eux aussi, lorsqu’ils étaient simples spectateurs des luttes sociales, victimes d’une manipulation médiatique négative présentant les organisations syndicales et politiques proposant des alternatives à l’ordre économique et social existant ?

Peut-être trouveraient-ils ici une raison de leur rejet à l’emporte-pièce, mettant tous les syndicats et partis dans le même sac.

Si l’immigré ne semble pas avoir été pris comme bouc émissaire par les Gilets jaunes, on pourrait se demander si le bouc émissaire de remplacement ne serait pas le syndicaliste si l’on écoute les propos tenus sur ce plateau.

On ne peut prétendre à la réussite d’une grève générale en se posant en surplomb des syndicats ainsi méprisés que l’on invite ainsi à venir manger dans la main des vrais révolutionnaires que seraient les Gilets jaunes. Une telle arrogance ne peut que décourager les syndicalistes à soutenir le mouvement.

On peut espérer que les propos tenus sur ce plateau ne reflètent pas l’opinion de la quasi-totalité des Gilets jaunes.

Avec un taux de syndicalisation qui est l’un des plus faibles des pays de l’OCDE, avec un taux de chômage de plus de 9 %, avec un droit du travail de plus en plus affaibli, le coût psychologique de l’engagement syndical devient beaucoup plus élevé qu’à une certaine époque. Il paraît donc relever d’un humanisme élémentaire de respecter les citoyens qui ont le courage de s’engager dans l’action syndicale aujourd’hui.

Aucune référence dans l’émission aux 14 manifestations organisées par les syndicats contre la loi travail sous le gouvernement Hollande ; aucune référence à la grève de 37 jours des cheminots en 2018 (la plus longue depuis 30 ans), aucune référence à la multitude des mouvements sociaux qui se sont développés ces dernières années dans un grand nombre de secteurs.

Comme le fait remarquer le politologue, il est utile d’avoir aussi une analyse conflictuelle des rapports sociaux. La conflictualité entre capital et travail, entre syndicats et patronat pouvant se traduire par des négociations aboutissant à des résultats variables en fonction des rapports de force, semble échapper à certains des intervenants. Il ne suffit pas non plus de constater que certains se remplissent les poches pendant que d’autres tirent la langue, pour avoir une vision claire des rapports antagoniques de classes.

La conscience de classe est-elle présente dans le mouvement des gilets jaunes ? Oui, mais très partiellement, si l’on en juge par les propos tenus par les Gilets jaunes présents sur le plateau.

Mais la conscience politique du mouvement des gilets jaunes évolue assez rapidement pour l’instant dans le bon sens car une revendication comme la suppression du CICE qui coûte 40 milliards d’euros au Trésor public apparaît maintenant dans les revendications.

Ce mouvement gagnerait en temps et en efficacité en s’appropriant les mesures de l’Avenir en commun dont ils ont d’ailleurs la possibilité de faire évoluer le contenu.

La lecture du livre de Jacques Généreux « L’Autre société » leur permettrait de faire un bond d’un demi-siècle dans leur réflexion politique.

Mais cela suppose de se débarrasser de 40 ans d’intoxication médiatique anticommuniste, antisyndicale, notamment anti CGT, anti progressiste et plus récemment anti Mélenchon et anti LFI. Ce qui ne peut se faire en un jour et sans une activité militante de LFI d’une nouvelle ampleur envers ce mouvement.

Cela permettrait au Gilets jaunes de disposer d’un programme politique cohérent pour satisfaire leurs revendications et construire un projet de société au service de l’intérêt général et non pas d’une caste numériquement très minoritaire.

Les affirmations précédentes sont relativement évidentes car si elles étaient fausses, Mélenchon serait actuellement président de la république, l’assemblée nationale appliquerait les mesures du programme l’Avenir en commun et le mouvement des Gilets jaunes avec son cortège de blessés et de tuer n’aurait pas existé.

Mélenchon avait prévu la situation lors de sa campagne électorale : « si vous votez pour l’un de ces trois la, vous cracherez du sang » Voir la courte vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=AL7...

Sans projet économique et politique alternatif progressiste enraciné sur une large base populaire accompagnée d’une équipe démocratique prête à gouverner, tout mouvement social oppositionnel à l’ordre politique existant est condamné à l’échec. (Mai 68, révolutions arabes, etc.). Les Gilets jaunes seront-ils capables de tirer les leçons de l’Histoire ?

Hervé Debonrivage


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