« Gilets jaunes », acte XV : Echos des manifestations

mercredi 27 février 2019.
 

A Paris, cinq rassemblements et une « marche dans les beaux quartiers »

A Paris, cinq manifestations ont été déclarées, dont trois sous la forme de rassemblements, a indiqué par communiqué la préfecture de police. Les deux défilés, baptisés sur Facebook « Tsunami jaune » et « Tous aux Champs-Elysées, on ne lâche rien », ont rassemblé 5 800 personnes selon le ministère de l’intérieur, contre 5 000 la semaine dernière.

La « marche dans les beaux quartiers » a débuté à midi sur les Champs-Elysées, point névralgique de la mobilisation parisienne chaque week-end. Quelques bombes lacrymogènes ont été tirées à l’arrivée sur l’esplanade du Trocadéro pour disperser la cortège, en fin d’après-midi. Les autorités ont annoncé que 28 personnes ont été interpellées dans la capitale.

Au Salon de l’agriculture, visite de Macron et de certains « gilets jaunes »

Pendant que le président de la République prononçait un discours pour rassurer les agriculteurs et entamait sa visite des stands, plusieurs leaders du mouvement ont tenté, malgré l’important dispositif policier, de le rencontrer. Eric Drouet s’y est rendu dans la matinée pour tenter - en vain - d’« approcher » M. Macron, avant de repartir rapidement. Benjamin Cauchy a également annoncé son intention de le faire, mais sans dire quand il irait. Sur Facebook, Maxime Nicolle a indiqué quant à lui qu’il participerait au rassemblement à Rennes.

Alors qu’Emmanuel Macron poursuivait en début d’après-midi sa déambulation au milieu des poules, il s’est fait interpeller par un homme brandissant un gilet. « Je suis un gilet jaune tranquille, je ne suis pas méchant. Sortez un peu de votre bulle, monsieur Macron », lui a lancé le militant.

A Clermont-Ferrand, une dizaine de personnes blessées ; Bordeaux manifeste dans calme

A Clermont-Ferrand, la ville entière s’était barricadée : commerces, parcs et bâtiments publics sont fermés, tandis que les concerts et les spectacles ont été annulés. Entre 2 500, selon la préfecture, et « de 5 000 à 6 000 » personnes selon les organisateurs ont défilé dans la ville auvergnate. Dans un concert de huées, de sifflets et de pétards, aux cris de « Castaner aux fers, Macron en prison », « Fin du monde, fin du mois, même combat », la majorité des « gilets jaunes » ont convergé vers 15 h 30 place de Jaude où des poubelles ont été incendiées. Un dispositif policier exceptionnel a été mis en place, selon les autorités locales.

Des affrontements ont eu lieu dans une artère commerçante de la ville entre une trentaine de « gilets jaunes » et les CRS qui ont tiré au lanceur de balle de défense. Neuf manifestants ont été blessées et sept d’entre eux ont été pris en charge par les secours. Deux membres des forces de l’ordre ont également été blessés, l’un des deux ayant aussi été conduit à l’hôpital. Au total, une douzaine de vitrines de banques et commerces du centre-ville ont été brisées.

En fin de journée, les forces de l’ordre ont procédé à 33 interpellations, dont 16 ont débouché sur des gardes à vue. « Je condamne ces actes inadmissibles d’une très grande violence, je pense à l’agression d’un camion de pompiers qui intervenait sans escorte pour éteindre des feux de poubelles place de Jaude », a déclaré à l’AFP la préfète du Puy-de-Dôme Anne-Gaëlle Baudouin-Clerc, qui évoque par ailleurs « une violence sans retenue et organisée ». « Les policiers ont le sentiment d’avoir eu à faire à de vrais professionnels. Les mesures mises en places dès lundi ont permis d’éviter de plus lourds dégâts », a-t-elle poursuivi.

A Bordeaux, la mobilisation, samedi après samedi, reste intacte. Près de 3 500 « gilets jaunes », selon la police ont défilé dans le calme. Et alors que le cortège girondin se termine régulièrement par des heurts avec les forces de l’ordre, des organisateurs ont clairement montré samedi leur volonté d’une démonstration pacifique en bloquant eux-mêmes l’accès à la place Pey-Berland, théâtre habituel de violences.

Plusieurs « gilets jaunes » ont ainsi fermé quelques instants une rue conduisant à la place de la mairie à l’aide d’une large banderole grise où s’inscrivait, en lettres jaunes, « Pas de Pey-Berland aujourd’hui », détournant ainsi le cortège. Un jeune qui s’en prenait à un abribus a été expulsé du cortège par plusieurs manifestant.

Du côté de Toulouse, plusieurs milliers de personnes, selon un journaliste de l’AFP, ont manifesté samedi. La préfecture n’a pas donné de bilan chiffré de la participation, estimant dans un communiqué que le nombre de manifestants avait connu « une baisse sensible par rapport aux semaines précédentes ».

La semaine dernière, 4 000 personnes selon la police avaient manifesté dans la Ville rose, une des places fortes de la mobilisation en France. Une semaine auparavant, elles étaient 6 000 selon la police. Samedi après-midi, après près de trois heures de défilé dans les rues de Toulouse, dans le calme et sous le soleil, les manifestants se sont rassemblés devant l’Hôtel de ville, sur la place du Capitole.

Une large banderole avait été suspendue entre deux lampadaires de l’éclairage public, sur laquelle était écrit en lettre blanches sur fond noir : « Toutes et tous mobilisons-nous conte les politiques anti-sociales de Macron ». Quelques instants plus tard, les forces de l’ordre tiraient les premières salves de grenades lacrymogènes, les manifestants s’éparpillant alors dans les rues adjacentes. La préfecture a annoncé que quatre personnes ont été interpellées.

A Rennes, près de 2 000 personnes, selon la police se sont rassemblées. Les manifestants, venus de toute la Bretagne, mais aussi des Pays de la Loire et de la Touraine répondaient à un appel à un rassemblement interrégional.

« Macron démission ! Castaner en prison ! » : drapeaux bretons, tricolores ou jaune fluo appelant à un « RIC » (référendum d’initiative citoyenne), le cortège s’est ébranlé sous le soleil depuis la place de la République à 14 heures, au son d’un « chant des partisans » à la cornemuse. La préfecture a fait état d’une « quinzaine d’interpellations, dans le cadre de contrôles et de fouilles préventives avant la manifestation ». Des armes, des couteaux, des billes de plomb ont été saisis et les personnes interpellées placées en garde à vue, a-t-elle précisé.

A Epinal, où environ 1 600 personnes ont manifesté, le défilé a été émaillé d’affrontements : les grilles de la préfecture ont été arrachées et des vitres cassées.

Sur son compte Twitter, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a déploré les heurts qui ont eu lieu dans plusieurs villes.

Pique-nique géant à Chambord

Plusieurs leaders du mouvement, dont Priscillia Ludosky, sont à Chambord, dans le Loir-et-Cher. Ils participent dans une ambiance bon enfant au pique-nique organisé avec plus d’un millier de personnes devant le château, une manière de se moquer d’Emmanuel Macron qui y avait fêté ses 40 ans en 2017.

Principalement venus de Sologne et de Touraine, les manifestants ont mis en place, pour éviter tout débordement, un vaste réseau de « gilets blancs », chargés de surveiller le bon déroulement de l’événement organisé en coordination avec la mairie et les gestionnaires du château, mais aussi avec la gendarmerie qui a dénombré environ 1 200 personnes.

Le Monde avec AFP

• Le Monde. Publié le 23 février 2019 à 12h19, mis à jour à 21h34 : https://www.lemonde.fr/societe/arti... Une manifestation parisienne plus pacifique pour l’acte XV

Une semaine après la polémique provoquée par l’agression d’Alain Finkielkraut, le mouvement est apparu mieux organisé. Et la mobilisation n’a pas faibli.

Plus de quinze kilomètres parcourus dans les plus chics quartiers de la capitale, sans heurt, ni casse : Paris a connu, le 24 février, avec ce quinzième samedi d’affilée de mobilisation, l’une de ses manifestations de « gilets jaunes » les plus pacifiques depuis le 17 novembre 2018, alors même que l’affluence était en hausse.

Malgré le début des vacances scolaires en Ile-de-France, le ministère de l’intérieur a en effet dénombré 5 800 manifestants (contre 5 000 la semaine passée), tandis que les organisateurs annonçaient, eux, 25 000 personnes dans le cortège. « Organisateurs », « cortège » : car comme ils le font depuis le 5 janvier, plusieurs « gilets jaunes » avaient pris la responsabilité de co-déclarer la manifestation en préfecture.

Contrairement aux mobilisations plus erratiques de novembre et de décembre 2018, l’acte XV parisien a donc suivi un parcours précis, décrit dans de petits tracts distribués le matin même : partant de la place de l’Etoile, passant rive gauche aux abords du Bon Marché et du siège du Medef, puis repassant rive droite jusqu’au Trocadéro, où les seules tensions de la journée ont éclaté brièvement lors de la dispersion de la manifestation, des lacrymogènes répondant à des jets de projectiles.

La déclaration du rassemblement témoignait cependant de la volonté d’une partie des « gilets jaunes » de faire baisser tensions et violences en améliorant l’organisation, un enjeu clé s’ils veulent amplifier le mouvement.

« Ni raciste, ni homophobe, ni antisémite, ni violent »

Si, une semaine après la vive polémique provoquée par les insultes antisémites proférées contre Alain Finkielkraut, beaucoup fustigeaient l’« instrumentalisation » politico-médiatique « d’un acte isolé », il n’empêche : on n’avait jamais vu autant de pancartes et d’inscriptions sur les gilets clamant n’être « ni raciste, ni homophobe, ni antisémite, ni violent ». Ce qui n’empêchait pas la présence de petits groupes d’extrême droite dans la manifestation.

« Eteins ta télé, viens nous rencontrer », disait la banderole de Shaya, psychologue de 27 ans. « Il y a un effet loupe sur quelques individus pour décrédibiliser le mouvement, qui n’est dans sa très grande majorité ni raciste, ni antisémite, explique la jeune femme, précisant être elle-même de confession juive. Quand, alors qu’on a fait six heures de marche dans le calme, sans casse ni insulte, les images qui tournent en boucle à la télé ne montrent que la fin de la manifestation, qui dégénère, forcément les gens ont peur et ne veulent pas nous rejoindre. Moi je les invite à venir voir par eux-mêmes. »

Ce qu’ils auraient vu ce samedi, c’est un cortège des plus traditionnels, s’étant en trois mois créé son propre référentiel : ses codes, chants et slogans. En novembre, ils n’avaient guère que La Marseillaise à entonner tous ensemble. Désormais, ils chantent à plein poumons des airs brocardant le président Emmanuel Macron comme son ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. Dénonçant les violences policières, ils scandent aussi fréquemment des « Et que fait la police ? Ça crève les yeux ! » ou encore des « anti anti anti-capitaliste », signe d’une politisation plus avancée des manifestants. Aux autocollants syndicaux qui ont fleuri sur les vestes, on devine que des « gilets jaunes » plus familiers des mouvements sociaux ont gagné les cortèges ces dernières semaines. Mais la transformation s’est aussi opérée chez ceux, peu politisés, de la première heure.

« Il faut changer de peau, se régénérer »

« Il y a beaucoup de gens qui se sont réveillés avec ce mouvement, et moi ça me réveille encore plus, confiait Jacky, retraité de 65 ans. Nous vivons dans un pays très riche et des gens sont dans la misère totale à cause d’un système capitaliste devenu monstrueux, avec ces milliardaires qui fuient pour ne pas payer d’impôt. J’ai pris conscience que ce système ne fonctionne plus, qu’il faut changer de peau, se régénérer. »

Ils étaient d’ailleurs nombreux à évoquer ce que ces trois mois avaient déjà changé pour eux. Comme Sylvie 55 ans, et sa cousine Fabienne, 50 ans, qui ne connaissaient par exemple rien au « RIC », ce référendum d’initiative citoyenne qu’elles revendiquent désormais, comme tous les autres.

« On me demande des conseils de lecture, les gens se sont mis à lire, à s’informer. Le plus gros acquis du mouvement jusqu’ici c’est d’avoir réveillé les gens », se réjouissait Françoise, retraitée de la fonction publique. « Avant, je n’avais pas conscience de tout ce que je subissais. Mais maintenant je ne peux plus rentrer chez moi et faire comme si de rien n’était », disait encore Cyrille, pour expliquer la détermination de ceux qui manifestent toujours.

C’est aussi en discutant avec d’autres « gilets jaunes » que Daniel, 62 ans, a découvert qu’il avait droit au revenu de solidarité active (RSA). Il n’avait jamais « osé » demander. Il raconte que les premiers samedis, il était « méchant ». « J’avais de la haine en moi que je devais libérer. Là, de m’être exprimé ça va mieux. Mais si ça ne débouche sur rien de concret, ça va revenir de plus belle. »

Faire monter la pression

Conscients des difficultés du mouvement à prendre l’ampleur nécessaire pour obtenir le changement de système politique que beaucoup continuent d’appeler de leurs vœux, les « gilets jaunes » espèrent des renforts après le 15 mars et la fin du grand débat national.

« Avec ça, Macron n’a fait que gagner du temps, dans la perspective des élections européennes. Quand les gens vont se rendre compte qu’il n’en sort rien, ils nous rejoindront ! », estimait Eric, 44 ans, fonctionnaire dans l’Oise. Ses amis et lui espéraient aussi que le recul des violences à Paris puisse convaincre des récalcitrants.

Une stratégie qui divisait les manifestants. Samedi soir, tandis que certains se réjouissaient de n’avoir connu ce samedi qu’un minimum de débordements, d’autres au contraire le déploraient : « Ce n’est que grâce aux violences des 24 novembre et du 1er décembre qu’on a obtenu des résultats, pointait un quadragénaire. Depuis, on a apaisé les manifs et qu’est-ce qu’on a obtenu ? Rien. »

Pour essayer de faire monter la pression, un « acte décisif » intitulé « Nous ne bougerons pas » est annoncé pour le week-end des 9 et 10 mars. Un autre acte intitulé « Ultimatum, tous à Paris » est déjà prévu le 16 mars. Un jour à peine après la fin du grand débat.

Aline Leclerc

• Le Monde. Publié le 24 février 2019 à 06h36, mis à jour à 06h36 : https://www.lemonde.fr/societe/arti...

Au château de Chambord, chouquettes, farandole et pique-nique bon enfant

Organisé par les « gilets jaunes » de Romorantin, ce pique-nique inédit a rassemblé environ 1 200 participants. Parmi eux, des salariés, des retraités, Priscillia Ludosky et… le prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme.

« Si ça avait été encore une marche ou un rond-point, je ne serais pas venue », dit Lise, « gilet jaune » de Salbris (Loir-et-Cher), qui déploie des poubelles dans les jardins du château de Chambord, samedi matin 23 février, à l’aube de l’acte XV. Elle marche aidée d’une béquille depuis un accident de voiture à la sortie d’une discothèque. Le chauffeur était ivre. Cette ancienne secrétaire de mairie, aujourd’hui au RSA, est handicapée à 79 %, à un 1 % seulement d’une éligibilité à l’allocation AAH.

« J’ai toujours une bouteille d’oxygène à portée de main pour soulager mes migraines… Ça, ils ne le comptent pas dans mon handicap. »

Les « gilets jaunes » de Romorantin sont à la manœuvre de ce pique-nique inédit au château de Chambord, sur une commune toute entière propriété de l’Etat, où Emmanuel Macron a fêté ses 40 ans en décembre 2017.

« L’événement était prévu depuis six semaines. Les gendarmes nous ont autorisés à lever les barrières du péage autoroutier le plus proche et les responsables du château ont levé celles du parking », explique David, 37 ans, conducteur de fraiseuse routière et coordinateur de l’événement aux côtés de Daniel, chef d’entreprise à la retraite. Daniel entretenait les climatiseurs de grandes surfaces du département avant qu’une société anglaise ne monopolise le marché et l’oblige à licencier douze salariés.

Des chouquettes pour les forces de l’ordre

Les « gilets jaunes » de Blois sont nombreux aussi, et ont apporté trois grosses boîtes de chouquettes pour les forces de l’ordre, « Made in Patapain du Rond-Point de la Patte d’Oie », précise l’un d’eux, soit la boulangerie mitoyenne de leur giratoire préféré, régulièrement évacué sur ordre de la préfecture.

L’obsession est à l’ambiance bon enfant. Des baraques à frites, kebabs et pizzas font face au château. L’alcool est proscrit. Quatre-vingts « gilets jaunes » avec sur le dos un gilet blanc floqué d’une salamandre découronnée se déploient dans le parc pour prévenir tout débordement. « Le moindre tag sur une vieille pierre et c’est terminé », a prévenu un gendarme au mégaphone. S’en suivra donc une journée paisible – près de 1 200 participants, selon les organisateurs et la gendarmerie – à discuter des suites à donner au mouvement, à déplorer les petites trahisons, les mobilisations qui s’éteignent ou se ravivent, du prix de l’essence reparti à la hausse.

Les caméras de Russia Today et BFM-TV se fondent dans la foule. Flanquées de deux gardes du corps, les jeunes journalistes de la chaîne française sont interpellés sur le parti pris supposé de ses présentateurs vedette. « Notre force, dans la région, c’est quand même d’avoir des gilets de toutes origines sociales, de toute orientation sexuelle, de toute sensibilité politique, assure David, l’un des organisateurs. Bien sûr, on a des gars qu’on peine à tenir et qui sont à deux doigts de faire des bêtises. Mais on alerte les gendarmes. Et on les dissuade de venir à nos événements. »

Depuis mi-décembre et une vague d’évacuations de ronds-points, les blocages et filtrages se sont transformés en marches pacifiques dans les villes du Loir-et-Cher et du Loiret. Les « gilets jaunes » plus vindicatifs ont rejoint Paris, Tours, voire renoncé à tout, dépités. « Il y en a quelques-uns parmi nous qui se sont retrouvés fichés S », croit savoir un manifestant trentenaire, ancien militaire et père de deux enfants.

« Moi, je suis encore là par loyauté mais je n’organise plus rien. Les types des renseignements montent des dossiers sur nous et ça nous retombera dessus un jour, c’est sûr. Enfin, tout ça est flou. »

Des femmes se rassemblent sous une tente blanche et racontent leurs tourments. Un mélange d’injustice sociale, d’isolement, de coups durs. Marie-Jeanne touche une allocation de 860 euros depuis deux AVC en 2005, quand elle était femme de chambre à Tours. Pour compléter, elle fait le ménage pour une société d’intérim. « Il me reste une vingtaine d’euros chaque mois. Le monde du travail, j’en peux plus. » Sa sœur, Chantal, est ouvrière dans une usine de fauteuils d’avions, intérimaire aussi. « Moi encore je suis vieille alors on me respecte un peu. Mais les plus jeunes, on les fait aller n’importe où pour une paie de misère. » Sylvie, 58 ans, parle de sa fille, 27 ans, revenue vivre à la maison.

« Elle était serveuse à Tours, dans un buffet restaurant de 540 couverts. Le patron la faisait bosser comme une dingue, elle a fait un burn-out. »

« Ce sont eux les gilets jaunes que j’aime »

Des « gilets jaunes » entament une farandole sur un tube d’André Bézu. Gilet fluo sur veston de velours, un homme commente le spectacle, attendri. C’est le prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme.

« Ce sont eux les “gilets jaunes” que j’aime. Des gens respectueux de la France qui n’aspirent qu’à vivre dignement de leur travail, sans rêve de lutte des classes ni de pillages urbains. »

Plus loin, la médiatique figure du mouvement Priscillia Ludosky fait son apparition. On lui réclame un selfie, une dédicace sur le gilet avant de la disposer au premier plan pour une photo de groupe.

Un homme en veston bleu s’empare du micro dans l’indifférence générale. Il démarre une diatribe contre les banques et les juifs. Mohamed, 59 ans et gilet jaune blésois, se précipite pour lui arracher le micro et l’extirper vers le parking. Un vieil homme lui succède, un papier froissé à la main. Son gilet jaune arbore un pin’s de la Croix Rouge. « Je m’appelle Pierre Léger et je suis un ancien sapeur-pompier de Paris. » Puis il entonne, en sanglots, le Chant des partisans.

Jordan Pouille, correspondant

• Le Monde. Publié le 23 février 2019 à 21h25, mis à jour à 21h26 : https://www.lemonde.fr/politique/ar...


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