Note sur « L’Etat de droit »

jeudi 9 mai 2019.
 

En novembre 1987 « sort » au PUF « L’Etat de droit » (1). Le sous-titre indique : Travaux de la mission sur la modernisation de l’Etat publiés sous la direction de Dominique Colas .

Il s’agit d’un ouvrage collectif de fond au contenu éloigné de ce que l’on va appeler ensuite la modernisation de l’Etat, des services publics et de la fonction publique. Il s’agit de soumettre à l’épreuve de la théorie la notion d’Etat de droit quasiment hors toute « nécessité d’une adaptation de l’Etat pour accompagner ou devancer les mutations de la société » ainsi qu’il sera précisé moins de deux ans plus tard par la circulaire de Michel Rocard de 1989 (2). C’est ce qui fait l’intérêt de l’ouvrage qui mérite relecture plus de vingt ans après dans un contexte différent même si au milieu des années 80 le processus de déréglementation pour une autre « régulation » plus marchande et plus décentralisée était déjà bien engagé.

L’année précédente, en 1986, Mme Blandine Barret-Kriegel publiait un rapport intitulé « L’Etat et la démocratie » qui était aussi une commande du Président F Mitterrand. Son souci était la démocratisation de l’Etat. Il écrit : « Dans une démocratie, l’Etat ne peut pas être un fin en soi ». Il ajoute plus loin « pas une fin en soi, non pas seulement dans une démocratie, mais pour des démocrates. Les choses ne sont pas tout à fait identiques, car il peut y avoir une démocratie avec des responsables qui ne sont pas démocrates. Ainsi l’on respecte les formes apparentes. Car l’Etat n’en reste pas moins l’expression parfois même l’instrument de la société dominante. La société dominante n’a pas toujours l’objectif essentiel de servie la démocratie. » Un propos pertinent à peine voilé d’un homme qui sait de quoi il parle.

Ce qui fera plus discussion vient plus loin : « Il n’y a pas de démocratie sans Etat ». La « raison d’Etat » ne va pas disparaitre, il faut donc la démocratiser. On peut vouloir développer, comme Jean Ziegler (3), la nécessaire « raison solidaire » contre la « raison d’Etat », (en 1985) mais il restera l’Etat. Il faut donc introduire massivement la démocratie et la solidarité au cœur de l’Etat. La raison solidaire pas plus que la démocratisation de la société civile ne font dépérir l’Etat - du moins rapidement - ce qui fait que la question de sa démocratisation demeure pleine et entière.

Une façon de ne pas y répondre pleinement serait de la rabattre sur celle de la réduction de son « périmètre » (formule rocardienne) . Cette réduction se fait au profit de la société civile laquelle, rappelons-le, n’est pas constituée que d’associations mais aussi d’entreprises (surtout) et donc de travailleurs, de patrons, de consommateurs, bref d’une multitude d’individus diversement situés dans la division du travail et dans les rapports sociaux et qui n’ont pas nécessairement tous pour habitude d’intervenir de façon citoyenne dans la vie locale.

L’ouvrage aborde quatre grands secteurs : I - L’Etat de droit, II - Vie sociale et vie civique, III - Justice, IV - L’Etat de droit en question.

I - L’Etat de droit.

La première contribution est ouverte par Bernard Bourgeois avec « La question de l’Etat de droit en France aujourd’hui ». Elle se pose face à une double critique. « Le libéralisme dénonce alors dans l’Etat de droit le droit de l’Etat, le droit étatisé, sa régulation rigide mortifère. Quand le développement de la société civile bourgeoise intensifie sa différentiation en contradiction, le socialisme dénonce, lui cette dernière et sa fixation par l’Etat de droit comme Etat du droit, du simple droit, mystification formelle interdisant la réalisation concrète et vraie, car sociale, de l’unité de la société. Mais la négation sociale de l’Etat de droit s’est renversée historiquement dans le renforcement d’un Etat et l’asservissement d’une société ramenés l’un et l’autre en deçà de la justice et de la paix du droit. Si, donc, l’histoire moderne est celle d’un défi grandissant à l’Etat de droit, elle est aussi, maintenant, celle de la reconnaissance de la nécessité d’un tel Etat. »

Pierre Barral va développer ensuite « La vision de la citoyenneté chez les fondateurs de la Troisième République et François Borella »Nationalité et citoyenneté en droit français". Ces deux notions ne sont guère explicitées et sont souvent confondues, il importe de les distinguer.

II - Vie sociale et vie civique.

On doit à Jean-Marie Conraud le texte Citoyenneté et immigration et à Etienne Criqui celui sur La citoyenneté dans l’entreprise. Une troisième contribution de Maurice Blanc et Monique Legrand porte sur La participation des habitants dans la réhabilitation des quartiers d’habitat social.

Jusqu’où et comment se réalise dans ce secteur la participation (ici des habitants), thématique gaullienne fréquemment reprise ? Le souci majeur des élus soucieux de l’intérêt général (qu’ils représentent de par l’élection) et méfiant des tendances corporatistes des associations cherchent à se prémunir contre les risques de dérapage de la concertation. Ils veulent bien consulter, mais ils se réservent l’exclusivité de la décision. Intervient un second thème. La décentralisation est censée favoriser cette participation. S’y ajoute un certain volontarisme dès 1981 sur « la nouvelle citoyenneté » (P Mauroy) et sur le « Vivre ensemble dans la cité ». Mais « des travaux récents (en 1987) montrent que la décentralisation ne joue pas automatiquement en faveur de la démocratie et qu’elle peut aussi favoriser le retour en force des notables locaux » (4). Jean-Pierre Garnier craignait que « l’autocratie municipale ne succède à la bureaucratie centrale » (in Changer la ville. Métropolis 1982) . Le même remarquait que « dans les années 70, les fameuses zones d’aménagement concerté (ZAC) autorisaient : »les grands commis de l’Etat à agir de concert avec les requins de l’immobilier pour débarrasser l’espace parisien des activités non rentables et des habitants non solvables qui l’encombraient" (in Les Parisiens Hachette 1985).

III - Justice

Gérard Duprat développe Justice et participation. Ensuite viennent d’une part L’Etat de Droit vu par le « juge judiciaire » par Bernard Bacou et d’autre part L’ Etat de droit vu par le juge administratif par Joseph Capion.

IV - L’Etat de droit en question.

Jean-Louis Autin décrit Illusions et vertus de l’Etat de droit administratif alors que Dominique Rousseau déploie une très intéressante problématique De l’Etat de Droit à l’Etat politique ? Michel Miaille termine l’ouvrage avec Le retour de l’Etat de droit. Le débat en France.

* Jean-Louis Autin : « La volonté de créer un Etat de droit représente une utopie qui a constitué un puissant facteur de légitimation de l’Etat mais aussi un élément générateur de fâcheuses illusions car la réalité n’a jamais correspondu et ne peut sans doute correspondre au modèle idéal ». Mais la vertu de l’Etat de droit est de faire en sorte que la contradiction s’y résout en son sein.

* Plan de : De l’Etat de Droit à l’Etat politique ? Dominique Rousseau

I - Une affirmation contrariée : « l’extraordinaire valorisation » du droit de l’Etat politique.

A) La supraconstitutionalité, aveu explicite de la dévalorisation du texte constitutionnel.

a) La dévalorisation du caractère organisateur du texte constitutionnel

b) La dévalorisation du caractère écrit du texte constitutionnel

B) La supraconstitutionnalité, contradiction majeur de la théorie de l’Etat de droit.

a) La logique d’invention de la supraconstitutionnalité

b) La logique meutrière de la supraconstitutionnalité

II - Une affirmation hâtive : l’impossible dépassement de l’Etat de droit.

A) Une proposition erronée : Le droit principe de l’Etat.

a) L’au-delà juridique de l’Etat

b) L’au-delà juridique de la crise

B) Une proposition impensée : la possibilité de l’Etat politique.

a) Les conditions sociales du jeu propre de l’Etat

b) L’Etat politique, enjeu du jeu ?

* Réactivation de l’Etat constitutionnel au travers des valeurs et idéaux républicains

* Dépassement de l’Etat constitutionnel : Le changement du mode de scrutin pour la représentation proportionnel. On passe ici d’une forme de l’Etat à une autre. L’Etat politique selon Philippe Dujardin est celui ou le traitement et le règlement des oppositions d’intérêts, des conflits de groupes sont confiés aux partis politiques (5)

* Le retour de l’Etat de Droit. Le débat en France. Michel Miaille

Le retour à l’Etat de droit fait partie d’un mouvement actuel plus large, celui d’un retour à l’éthique comme dimension essentielle des rapports sociaux écrit Michel Miaille. Ce retour est d’autant plus important que l’Etat-Providence montre des signes évidents de fatigue...

Christian Delarue

1) note JSTOR : Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, Vol. 21, No. 4 (Dec., 1988), pp. 859-861 http://www.jstor.org/pss/3228928

2) La circulaire de Michel Rocard de 1989 http://discours.vie-publique.fr/not...

3) Vive le pouvoir ! Ou les délices de la raison d’état, Seuil, 1985

4) Le sacre des notables. La France en décentralisation par Jacques Rondin Fayard 1985. Dans le même registre : François Dupuy et Jean-Claude Thoenig L’administration en miettes. Fayard 1985.

5) Philippe Dujardin auteur de « 1946, le droit mis en scène » (PUG 1979)

D’autres juristes critiques d’inspiration marxiste ont publié :

Le droit politique de l’Etat Jean-Jacques Gleizal PUF 1980.

Le droit administratif. Essai de réflexion théorique André Demichel LGDJ 1978


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