Union européenne : Nouveau traité, nouveau recul

mercredi 27 juin 2007.
 

Décidément plus grand-chose ne fonctionne. Même le laborieux suspense organisé ces derniers jours autour de la négociation du nouveau traité européen semblait usé jusqu’à la corde. Et jamais la lourdeur de la mise en scène n’a pu masquer le caractère prévisible d’un scénario convenu.

Qui peut se dire sincèrement surpris par le résultat du dernier sommet européen ? Il était connu dès le début de la séquence. Prenez les mêmes, tous partisans du « oui » et des politiques libérales qui dominent l’Union. Rassemblez les dans le huis-clos de la négociation intergouvernementale. Ils s’écharperont quelques jours sur ce qui les oppose, c’est-à-dire les seules divergences d’intérêts nationaux, avant de s’entendre sur l’essentiel : on continue comme avant. Une telle méthode avait donné l’ossature du projet de Constitution européenne. La concertation organisée à cette occasion, pas plus démocratique qu’à l’accoutumée mais un peu plus large, avait conduit à quelques innovations cosmétiques. La réédition de cette méthode, avec la convocation d’une Conférence intergouvernementale chargée de rédiger un nouveau texte, conduira dans quelques semaines à un traité reprenant le cœur signifiant du projet de Constitution rejeté par les peuples.

Pendant que ses dirigeants bégaient, la crise européenne s’aggrave. Le refus de soumettre le traité aux ratifications populaires évitera peut-être de nouveaux désaveux après les « non » français et néerlandais. Mais il ne permettra pas de regagner la confiance des citoyens. La pente ne sera pas remontée. Alors les dirigeants européens continueront de faire la sourde oreille. La défiance croissante envers le cours actuel de la construction européenne ne trouvera pas de canal pour s’exprimer, si ce n’est sous la forme du nationalisme. Avez-vous remarqué que seule la contestation nationaliste a voix au chapitre ? Les Polonais en ont été les porte-parole les plus visibles. Mais les exigences de Tony Blair n’avaient pas grand-chose à leur envier. Et Sarkozy aussi a contribué à ce climat en prétendant qu’en votant « non » les Français s’étaient opposés au principe même d’une Constitution européenne, dénaturant au passage le sens de leur vote. L’Union européenne a choisi ses opposants. Elle a strictement limité le droit des peuples à celui de quitter l’Union, qui doit être introduit par le nouveau traité. C’est ainsi qu’elle nourrit chaque jour le nationalisme, ennemi commode peut-être, ennemi compatible sans doute, mais ennemi funeste qui pourrait un jour emporter bien plus que ces institutions moribondes.

L’adoption de ce traité marquerait donc un basculement annonciateur de désastres. La construction européenne a été jusqu’ici un processus d’évolution graduelle. Ses progrès n’ont jamais été pleinement satisfaisants, mais on pouvait au moins se dire qu’ils en annonçaient d’autres. La voie vers une unification véritable, politique et sociale, du Vieux Continent paraissait ouverte. Cette fois ce n’est plus le cas. Chaque recul est présenté comme la dernière occasion d’en éviter un plus grave. L’objectif d’harmonisation sociale et fiscale est ouvertement et définitivement abandonné. Toute perspective d’Union politique renforcée conduisant à une République fédérale européenne est écartée. Le message envoyé aux Européens est désormais : « vous avez le choix entre l’Europe telle qu’elle l’est ou encore moins d’Europe ».

Dans un tel contexte, un nombre croissant d’Européens se laisseraient gagner par le rejet nationaliste de toute intégration européenne. Ils ne manqueraient pas de prétextes pour cela. Déjà chaque sommet crée les ressentiments qui pourriront le suivant. A Berlin, les chefs d’Etat ont buté sur le contentieux sur les procédures de vote que le compromis du précédent projet de Constitution n’avait visiblement pas suffi à éteindre. Or la réforme des procédures de vote déjà introduite dans le texte rejeté par les Français et les Néerlandais était alors présentée comme la solution des désaccords non réglés par le traité de Nice. Que dire aussi de la Charte des droits fondamentaux ? Compromis laborieux accouché à Nice, elle avait été intégrée à grand peine dans le projet de Constitution, puis elle a été affaiblie à nouveau pour ce nouveau traité. Dans les deux cas, l’union de façade est préservée par des bricolages de plus en plus grossiers : calendriers tordus de mise en œuvre, multiplication des dérogations, ambigüité croissante dans la rédaction...

La lente agonie de l’ambition progressiste européenne est donc inévitable ? L’unification politique et sociale de l’Europe serait donc impossible ? Non. Mais elle s’oppose fondamentalement à une mondialisation libérale qui exige chaque jour de nouveaux reculs des droits démocratiques et sociaux. Ce qui est en train de tuer l’Europe à petit feu n’est pas la bêtise de son peuple, c’est la conversion de ses chefs à l’accompagnement de la mondialisation libérale. Il n’est donc possible de sauver l’Europe qu’au prix d’une double révolution dans le contenu et dans la méthode. Le moyen de cette révolution pacifique et démocratique est connu. C’est la convocation d’une Assemblée constituante élue par tous afin d’adopter des institutions conformes à l’intérêt général européen, en permettant la naissance d’une souveraineté populaire européenne face aux intérêts privés qui condamnent aujourd’hui l’Europe démocratique et sociale à un recul inexorable.


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