Macron : pari perdu, cap maintenu (Mediapart)

jeudi 6 juin 2019.
 

Battu par le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella, l’exécutif, qui avait fait de la première place de la liste « Renaissance » l’unique enjeu des européennes, assure avoir reçu « le message 5 sur 5 ». Pour y répondre, Emmanuel Macron a la solution : faire exactement ce qu’il avait prévu.

C’est raté. En arrivant en deuxième position derrière le Rassemblement national (RN), « Renaissance », la liste de la majorité présidentielle conduite par Nathalie Loiseau, n’a pas rempli l’objectif que s’était fixé Emmanuel Macron pour les européennes : être en tête du scrutin pour faire mentir tous ceux qui expliquent depuis des mois que l’exécutif n’est plus en position de force pour mener à terme ce qu’il appelle « la transformation du pays ».

Le revers est d’autant plus important que le président de la République et l’ensemble des membres du gouvernement s’étaient pleinement mobilisés dans la campagne [1] pour sauver une tête de liste qui a enchaîné les polémiques et les erreurs de communication [2]. « Le projet de transformation profonde que je mène pour le pays ne va pas sans une nouvelle étape du projet européen, s’était justifié Emmanuel Macron, dans un entretien accordé à la presse quotidienne régionale [3], le 20 mai. Je ne peux donc pas être un spectateur, mais un acteur de cette élection européenne. »

Dimanche soir, après l’annonce des résultats, l’Élysée changeait légèrement de discours, assurant que l’essentiel n’était pas tant la première place que le taux de participation. « C’était le sens de l’engagement du président depuis ces dernières semaines : faire en sorte que la participation soit forte, expliquait son entourage à Mediapart. Sur le résultat, on est déçus, mais on n’est pas vaincus. La majorité tient bon. Elle réalise un score honorable au regard des six mois qu’on vient de passer avec les “gilets jaunes”. »

Au Palais, « personne ne dit “on a gagné” », affirmait le même conseiller, insistant toute de même sur le fait que « c’est l’une des premières fois que le parti présidentiel maintient son score ». « C’est important de montrer qu’on ne dévisse pas dans ce contexte particulier », ajoutait-il, avant de se lancer dans un exercice d’équilibriste ardu : « Ce n’est pas une victoire, mais on ne parle pas nécessairement de défaite. C’est plus une déception. »

Un message que l’on retrouve sans surprise dans les éléments de langage distribués aux élus macronistes dans la soirée et dont Mediapart a pris connaissance. Dans les jours à venir, tous répéteront donc que « ce résultat n’est pas une sanction politique », que « notre démocratie fonctionne », que « l’effet Macron, c’est qu’on vote autant aux élections législatives qu’aux élections européennes » et que la majorité présidentielle est « aujourd’hui le rempart face au populisme ».

Le premier ministre a d’ailleurs répété sensiblement la même chose dans une allocution réalisée à Matignon, peu après 20 heures [4]. « Quand on termine deuxième à une élection, on ne peut pas dire qu’on a gagné », a-t-il concédé, expliquant qu’il ne « serait jamais dans le camp des indifférents ». « Je ne veux pas banaliser ce résultat de l’extrême droite. […] Tous les responsables politiques doivent entendre le message des Français. Il ne suffit pas de parler de colère, de rejet, de crise. »

Édouard Philippe l’a assuré : « Ce message est fort et nous l’avons reçu 5 sur 5. » Pour y répondre, l’exécutif a trouvé une solution miracle : faire exactement ce qu’il avait prévu, à savoir ce qui a été annoncé par le chef de l’État le 25 avril, lors de sa première conférence de presse [5]. « Dès demain, je serai à pied d’œuvre pour poursuivre le projet du président et de la majorité », a ainsi confirmé le chef du gouvernement dans son allocution, précisant qu’il s’agissait de « mettre en œuvre une nouvelle méthode » qui associerait davantage les Français et les territoires.

Le « cap », lui, restera le même. Depuis le début du mouvement social, Emmanuel Macron se refuse à modifier la trajectoire de ses politiques. Multipliant les rustines, il a jusqu’ici exclu l’idée de recourir aux leviers démocratiques que lui offrent pourtant les institutions de la Ve République en temps de crise : un remaniement ; une dissolution de l’Assemblée nationale ; un référendum. La deuxième place de la liste « Renaissance » ne semble pas en mesure de le faire changer d’avis.

« La réponse à la crise des gilets jaunes, elle a été donnée par le président dans sa conférence de presse », insistait dimanche soir l’entourage du chef de l’État, en tentant de décorréler au maximum le résultat des européennes de la politique nationale. Sur ce dernier point, le pouvoir préfère retenir « l’effondrement des partis traditionnels français ». « 2017, ce n’était pas un accident, soulignait le même conseiller. La bipolarisation de la vie politique française se joue désormais entre LREM et le RN. »

En installant ce match entre lui et l’extrême droite pour l’élection européenne [6] – pourtant la seule, en France, qui se fasse à la proportionnelle, dans un scrutin à un tour [7] –, Emmanuel Macron a confirmé sa stratégie politique de la présidentielle de 2017. Mais aussi la faiblesse des atouts qu’il a entre ses mains. Car l’argument du « rempart » est en général dégainé quand il ne reste plus rien. Au lieu de lui permettre d’élargir son socle électoral, les politiques qu’il conduit depuis deux ans n’ont eu d’autre effet que d’enterrer son « et de droite et de gauche ».

Les résultats du 26 mai démontrent en effet que la majorité présidentielle a puisé ses voix dans le vivier de Les Républicains (LR), qui se hisse difficilement à la quatrième place avec 8,4 % des suffrages exprimés. Les électeurs de centre-gauche, censés constituer la « pierre angulaire » du macronisme, se sont quant à eux vraisemblablement reportés sur les votes écolos. Et ce, malgré les ralliements d’anciennes figures d’EELV, comme Daniel Cohn-Bendit, Pascal Canfin et Pascal Durand.

Au début du quinquennat, les proches du président de la République se réjouissaient que l’élection européenne soit la première du mandat. Ils répétaient à qui voulait l’entendre que l’Europe était « dans l’ADN » de La République en marche (LREM) et que ce scrutin était taillé pour eux. Imperdable, en somme. Mais perdu quand même.

Ellen Salvi

• MEDIAPART. 27 MAI 2019

Notes

[1] https://www.mediapart.fr/journal/fr...

[2] https://www.mediapart.fr/journal/fr...

[3] http://www.leparisien.fr/elections/...

[4] https://twitter.com/gouvernementFR/...

[5] https://www.mediapart.fr/journal/fr...

[6] https://www.mediapart.fr/journal/fr...

[7] https://www.mediapart.fr/journal/in...


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