Fonction publique Une réforme pour préparer les privatisations

dimanche 9 juin 2019.
 

Tout est fait pour qu’on n’y comprenne rien ou pas grand-chose. Si, une rengaine : les fonctionnaires ne travaillent pas assez, sont trop nombreux et coûtent trop cher. Ce dénigrement répété depuis Sarkozy - dans la continuité duquel s’inscrit Macron sur bien des aspects de sa politique – accompagne la loi de transformation de la fonction publique, présentée en conseil des ministres le 27 mars dernier et qui sera débattue à l’Assemblée Nationale avant l’été. Affichée comme étant une réforme technique, de « modernisation » et de « simplification », elle a un objectif clair : faciliter les suppressions de postes de fonctionnaires pour préparer des vagues de privatisations de services publics.

Or, contrairement à ce que peuvent répéter les journalistes, le statut de fonctionnaire n’est pas un privilège daté et les fonctionnaires ne sont pas des « fainéants inutiles ».

L’intérêt général

Les fonctionnaires travaillent pour les services publics, donc pour l’intérêt général. Ils ont d’ailleurs dans leurs missions de faire passer l’intérêt général avant tout. Et pour ce faire, ils sont détachés de la problématique de l’emploi, qui leur est garanti, afin de leur permettre de mener à bien leurs missions, sans que la primauté de l’intérêt général puisse être mise en danger par la précarité de leur situation d’emploi. Le statut de fonctionnaire n’est donc pas un privilège, il est une garantie de la neutralité des services publics et de l’égalité de traitement entre les citoyens.

Dans le même temps le service public impose des contraintes spécifiques : la continuité du service, de jour comme de nuit, la semaine comme le week-end, sans rémunération différenciée mais avec des journées de repos bonifiées. Il est en effet plus raisonnable qu’un soignant qui a effectué une garde ou qu’un conducteur de train qui termine son service aient la possibilité de se reposer correctement : il en va de notre sécurité à tous et de la qualité des services rendus.

L’idée que les fonctionnaires travailleraient moins que les salariés du privé est non seulement une idée fausse (beaucoup d’heures sont faites en dépassement du nombre d’heures dues, par engagement et conviction au service de tous) mais les faire travailler plus est un risque important de dégradation de la qualité des missions qu’ils exercent. En dehors des méthodes contestables de maintien de l’ordre de l’État, la fatigue excessive des fonctionnaires de police et de gendarmerie depuis des mois peut également expliquer une partie de leurs attitudes violentes et contraires à l’ordre républicain.

Le risque de conflits d’intérêt introduit par la loi

Le postulat du gouvernement est que les fonctionnaires ont des profils trop peu diversifiés et ne seraient pas suffisamment créatifs et inventifs pour adapter les services publics aux demandes des usagers, qui seraient eux, bien plus « modernes » et « agiles ». Pour y remédier, le projet de loi de transformation de la fonction publique ouvre considérablement les possibilités de recrutement de contractuels. Ainsi, d’après le gouvernement, de nombreux « talents » jusqu’alors impossibles à recruter dans la fonction publique pourraient apporter leur aide afin de réaliser sa transformation. Ce qu’oublie un peu vite le gouvernement, c’est que les salaires du public sont bien inférieurs à ceux du privé à niveau de qualification et de responsabilité égal.

Par ailleurs, 20% des emplois publics sont d’ores et déjà occupés par des contractuels, on ne peut donc pas dire qu’il est aujourd’hui très difficile de les recruter. Mais il est vrai qu’il restait un principe de base : la voie d’accès première à la fonction publique est le concours. Car, malgré tous les travers qu’il présente – voici d’ailleurs un chantier utile que la refonte des programmes de concours d’entrée dans la fonction publique –, il est le meilleur moyen de garantir l’égalité d’accès aux emplois publics et surtout, de se prémunir contre les conflits d’intérêts. L’absence de contrôle de l’utilisation des contrats et de garde-fous pour évaluer l’attachement des personnes recrutées au service public sont bien significatifs de la pente prise par le gouvernement : affaiblir petit à petit la fonction publique pour mieux privatiser les services publics.

Un plan social qui ne dit pas son nom

C’est ainsi que ce projet de loi nommé « transformation de la fonction publique » présente une conception particulièrement extensive de la transformation… jusqu’au transfert vers une entreprise privée ! En effet, il est prévu que lors de privatisations de services publics, les fonctionnaires en poste soient automatiquement et sans qu’ils puissent s’y opposer, transférés auprès du repreneur privé, lequel n’a pas l’obligation de garder ces employés. De la même manière, la loi introduit la rupture conventionnelle pour les fonctionnaires, dont on sait déjà dans le privé qu’elle peut être instrumentalisée pour éviter aux entreprises de licencier. C’est du pain béni pour atteindre l’objectif de suppression de fonctionnaires que s’est fixé Macron.

Autre solution avancée, l’augmentation du temps de travail des fonctionnaires. Comme évoqué plus haut, l’idée est particulièrement délétère pour notre sécurité et la qualité du service rendu. Mais elle est aussi bêtement gestionnaire. Ainsi, bien aidé par un rapport de l’inspection générale des finances opportunément rendu public concomitamment au projet de loi, le gouvernement considère que le temps de travail supplémentaire demandé à chaque agent public permettra de moins remplacer les départs à la retraite. C’est méconnaître absolument la réalité des rythmes de travail dans les services publics que de produire ce genre de calcul : le temps de travail supplémentaire ne fera qu’user davantage des agents à qui on demande déjà de travailler plus longtemps avant de partir à la retraite.

Mépris pour le législateur et le dialogue social

Enfin, le projet de loi prévoit de nombreuses délégations au gouvernement à procéder par ordonnances, sur des sujets majeurs comme la rémunération ou la formation des fonctionnaires. Il semble pourtant que sur ces questions qui ont une incidence immédiate sur la nature du service public mis en place, il était légitime que les parlementaires se prononcent. Les organisations syndicales représentatives ont quant à elles été mises à l’écart de la construction du texte, qui n’a été précédé par aucun cycle de négociations. Mais c’est finalement cohérent avec le sort réservé aux organisations syndicales, à savoir l’appauvrissement considérable des champs de discussion des instances représentatives. Ainsi, comme cela a été prévu pour le privé dans le cadre de la loi travail, une seule instance débattra des questions d’organisation des services et d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. De même, la gestion des carrières des agents et notamment des promotions ne se fera plus lors d’instances en présence de représentants du personnel. C’est désormais la porte ouverte à l’arbitraire sur ces sujets.

Claire Mazin


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