Européennes, colère, recomposition et lourdes menaces

mercredi 5 juin 2019.
 

Le résultat des européennes a déjoué bien des pronostics. Les Français ont dit leur colère contre le gouvernement, leurs espoirs d’une autre politique. Mais, pour l’heure, RN et Macronie s’installent dans un duel mortifère qui met la gauche au défi.

Deux ans après celui de la présidentielle, les élections européennes ont donné lieu dimanche 26 mai à un nouveau séisme. Ou plutôt, accentué la recomposition politique en cours depuis 2017… Grande surprise, avant même la fermeture des bureaux de vote, la participation était nettement plus élevée que celle annoncée par les sondages, pour remonter à un niveau qui n’avait plus été atteint depuis trente ans  : 51 %, soit 4 millions d’électeurs de plus qu’en 2014. Malgré ce sursaut de dernière minute, c’est le grand nombre de Français qui a jugé bon de rester à la maison qui domine une nouvelle fois le scrutin. C’est à nouveau l’expression d’un rejet massif, tout autant de l’Europe ultralibérale que de la politique telle qu’elle se pratique aujourd’hui. Pour la première fois depuis vingt ans, les électeurs ont pu choisir entre des listes nationales, au lieu du découpage en huit grandes régions artificielles en vigueur depuis 2004. Pourtant, cette meilleure lisibilité du scrutin n’aura pas suffi à mobiliser des électeurs qui continuent de bouder les urnes.

Le RN premier de cordée

Le scrutin aura en tout cas fait un vainqueur  : le RN (ex-FN), est arrivé en tête avec près de 24 % des suffrages. En comparaison avec 2014, son score est identique. Mais il remporte un succès indéniable compte tenu du contexte politique, et du précédent de la présidentielle de 2017. Le débat d’entre-deux-tours avait tourné au désastre pour Marine Le Pen, remettant en cause les orientations stratégiques et le discours européen de son parti. Le RN avait alors dû se débarrasser de Florian Philippot et de sa ligne anti-euro pour convertir son discours en faveur d’un changement de politique européenne de l’intérieur. Le parti d’extrême droite s’est pour cela «  allié  » à d’autres mouvements, dans le sillage du ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini.

Cette image plus européenne a rassuré certains électeurs frileux à l’idée d’un Frexit. Cette stratégie lui permet en outre d’arriver devant Emmanuel Macron, et de revendiquer la place de premier opposant à un président de la République qui a cristallisé toutes les colères depuis six mois. Selon Ipsos, le 26 mai au soir, 49 % des Français estimaient que l’arrivée de la liste conduite par Nathalie Loiseau en seconde position constituait une «  défaite importante  » devant conduire Emmanuel Macron à «  modifier sa politique en profondeur  ».

Échec et droite

En effet, le président de la République s’est personnellement impliqué dans cette campagne, notamment à travers le «  grand débat  ». Arriver en seconde position à un peu plus de 22 % est un désaveu de sa politique, qui confirme celui qu’il affronte dans les rues depuis le mois de novembre. Cependant, il s’est lui-même (ainsi que sa majorité) placé dans un duel avec le RN, il s’est posé en «  rempart  » contre le Front national dans le sillage du second tour de la présidentielle. Et, sur ce plan, il a réussi à limiter la casse. Il reste en effet au-delà des 20 %, et il n’est que peu distancé par le parti de Marine Le Pen.

Dans le même temps, les résultats du scrutin confirment qu’il a réussi à «  neutraliser  » les adversaires qui le menaçaient bien davantage que le RN  : «  Les Républicains  », qui enregistrent une sévère défaite, et les insoumis, qui, à un peu plus de 6 %, perdent les deux tiers des voix de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Les perquisitions menées contre FI au mois d’octobre dernier, dans deux affaires qui sont à ce jour toujours sans suite, avaient fait dévisser leur liste dans les sondages. À droite, la stratégie de Laurent Wauquiez, qui cherche par tous les moyens à coller au discours de l’extrême droite dans des postures souvent caricaturales, a accéléré la chute de LR, qui divise le score de François Fillon à la présidentielle par plus de deux…

Ce scrutin européen signe donc un nouvel acte de la recomposition politique à droite de l’échiquier. Autant LaREM que le RN sont en train d’avaler l’ancien parti dominant de la droite, «  Les Républicains  ». À travers cette nouvelle donnée, qui confirme et amplifie le séisme de 2017, c’est un «  duopole  » qui s’installe durablement à droite  : une droite libérale et centriste avec LaREM, tandis que le RN arrive à rassembler une droite populiste, anti-immigration et souverainiste… tout en restant fondamentalement, dans son appareil et son histoire, un parti d’extrême droite. De quoi rester pour le parti de Marine Le Pen une «  assurance-vie  » pour Emmanuel Macron, qui n’infléchira pas sa politique.

Le chemin vert

Le message des Français devrait pourtant l’y inviter. Les principales motivations du vote étant le pouvoir d’achat pour 38 % des Français et l’environnement pour 36 %. Deux thèmes qui sont à la fois des marqueurs des échecs de Macron et des sujets portés par la gauche.

Ce n’est pas donc pas la moindre des contradictions pour les formations de gauche d’être en position favorable idéologiquement et si faibles dans les urnes. Rejet des politiques libérales en France et en Europe, aspirations démocratiques, à la justice sociale et écologique auraient dû permettre un retour de la gauche au premier plan. Or, si l’on excepte le cas écologiste, c’est l’inverse qui s’est produit. Cela met en exergue une crise de l’offre politique à gauche. Le seuil de 5 % pour obtenir des élus, couplé à la dispersion des listes – LO, FI, PCF, Génération.s, EELV, PS-PP –, empêche à la fois de faire élire un nombre important de députés et de peser au niveau national. Les formations de gauche réalisent près de 30 % des voix, soit davantage que les deux blocs dominant l’élection, mais continuent d’être en difficulté pour influer sur la politique gouvernementale.

Certes, EELV peut se féliciter d’être en tête d’une gauche déconfite, mais son score, bien qu’inattendu, reste en dessous de ce qu’il était en 2009 (16 %). La surprise EELV vient en particulier des jeunes, qui, à 27 %, ont choisi les écologistes, tout en étant 10 points de plus qu’attendu à se déplacer (40 %). Voter aux européennes reste minoritaire chez les jeunes, mais ce sursaut témoigne du fait que la jeune génération exprime de fortes attentes envers les politiques sur la question environnementale.

«  C’est autour de l’écologie que doit s’articuler l’alternative  », a déclaré le candidat Yannick Jadot, tête de la liste écologiste. Sous une forme ou sous une autre, difficile de lui donner tort. Les insoumis sont d’autant plus frustrés de leurs mauvais résultats (6,4 %) qu’ils avaient compris ce message depuis 2017. Mais, triomphante au soir de la présidentielle, dominante après les législatives, voici la France insoumise devancée après des européennes qu’elle pensait pouvoir transformer à son profit en référendum anti-Macron. «  C’est le RN qui a joué ce rôle  », constate aujourd’hui un responsable insoumis. Le mouvement se consolera avec ses 7 députés européens, qui siégeront dans la prochaine assemblée, ce qui n’est pas si mal pour un mouvement qui ne se présentait pas (sous cette forme en tout cas) aux dernières élections. Mais devant ce qui ressemble tout de même à un échec, la stratégie et le fonctionnement du mouvement devraient revenir sur la table rapidement.

À gauche, la douloureuse

Et s’il y a une chose à laquelle les insoumis ne s’attendaient pas, c’est d’être devancés par le PS. L’ancienne formation dominante à gauche, qui avait fait le choix d’une tête de liste estampillée «  société civile  » avec le philosophe Raphaël Glucksmann, avec tout juste 6,4 %, sort soulagée du scrutin où elle risquait l’ultime humiliation, qui était de n’avoir aucun député européen. C’est pourtant le pire score du PS depuis 1969. Benoît Hamon, qui était le candidat PS à la présidentielle, échoue également à faire élire des députés européens avec son mouvement Génération.s, ce qui hypothèque la poursuite de cette aventure commencée en 2017.

Ne pas avoir d’élu n’était jamais arrivé au PCF depuis que le Parlement européen est élu au suffrage universel, soit depuis 1979. Mais, avec 2,5 % des voix, le Parti communiste, qui voulait signer son retour avec cette élection, n’est pas parvenu au seuil de 3 % permettant le remboursement des frais de campagne. Celle-ci, emmenée par Ian Brossat, a pourtant été unanimement saluée comme l’une des plus réussies, et la perspective d’arracher des élus à longtemps paru à portée de main.

Au soir du scrutin, Ian Brossat s’est adressé aux communistes  : il faut conserver «  en nous cette joie d’être ensemble, cette envie, ce bonheur de nous être retrouvés. (…) Dans cette période politique trouble, n’oublions jamais que nous n’avons aucun adversaire à gauche  ». Cette gauche qu’il va falloir reconstruire, en commençant par la reconquête des classes populaires. Celles-ci ont (encore) voté très largement pour le RN (40 % des ouvriers, contre 31 % pour toutes les forces de gauche réunies, 27 %, contre 31 % chez les employés). Il faudra aussi construire une offre politique crédible. Si 55 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon de 2017 se sont abstenus, ce qui constitue un gros contingent, c’est sans doute que l’offre proposée ne satisfaisait guère. Sur le plan programmatique, les diverses manières de changer l’Europe n’ont pas convaincu et, sur le plan organisationnel, l’éparpillement a vraisemblablement contribué à éloigner les électeurs des urnes.

Reconstruire la gauche, encore faut-il qu’il y ait des forces pour y parvenir. «  C’est le temps de la reconquête à gauche  », a ainsi clamé Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. Une rhétorique que l’on retrouve dans la bouche de Raphaël Glucksmann. Chez EELV et la France insoumise, la référence à la gauche passe derrière le peuple pour ceux-ci et l’écologie pour ceux-là. De quoi rendre impossible toute alliance  ? Sans doute pas. Le chemin entre réinvention des projets (communiste, écologiste, insoumis, social-démocrate) et rassemblement de tout ou partie de cet arc est sinueux. Mais l’avertissement est clair  : sans réinvention de la gauche, le duel de 2022 est connu. Le résultat, lui, ne l’est pas.

Cédric Clérin et Diego Chauvet


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