Réflexions sur la nation et les élections (Christian Schneider dans la lettre de l’UFAL)

dimanche 27 mai 2007.
Source : UFAL
 

J’ai retenu du résultat des élections présidentielles deux constatations :

Le problème de la nation est probablement à l’origine de l’échec des collectifs anti-libéraux. Ceux-ci n’ont pas compris les raisons profondes du vote du 29 mai 2005. Le Non avait recueilli près de 55% de voix, dont 35 % d’électeurs de gauche et 20 % d’électeurs de droite. Ceux-ci ont tous été catalogués comme lepénistes, ce qui est une erreur. Comme le disait Stéphane Rozès en mars-avril 2005 (revue Le Débat), « voter non est devenu une façon d’empêcher les gouvernants d’utiliser les prétextes de l’Europe et la contrainte extérieure pour se défausser de leurs responsabilités ». Les classes populaires qui pour une fois avaient voté massivement, eurent dans l’idée que la construction européenne était antidémocratique, qu’elle nuisait aux citoyens, et que seule la nation pouvait les défendre. L’antilibéralisme ne pouvait être victorieux que sur cette base, et non accaparé par les gauchistes qui crachent sur la nation. Les collectifs du NON avaient été le fer de lance de la campagne, ils n’ont pas compris que d’autres moins voyants avaient aussi contribué à la victoire, c’était le cas par exemple des gaullistes. Ceux-ci ne distribuaient pas de tracts sur les marchés mais agissaient individuellement dans des réseaux d’influence. Les collectifs du Non, rebaptisés collectifs antilibéraux ont considéré qu’il ne leur fallait pas s’allier avec les socialistes, sous prétexte que la majorité du PS avait voté oui, oubliant que 60 % des électeurs socialistes avaient voté Non. On connaît la suite : Lutte ouvrière se drapait dans un splendide isolement. La LCR acceptait de faire partie des collectifs, si le candidat commun à choisir promettait de ne pas gouverner avec les socialistes, José Bové se retirait. Les communistes restaient à peu près seuls comme force politique organisée et désignaient leur candidate. Les non-encartés se rallièrent à la candidature de José Bové. On se retrouvait avec cinq candidats antilibéraux dont le score d’aucun n’a dépassé 4 %. Pas un n’a fait référence à la nation, les uns considérant qu’au 21e siècle, la nation était morte au profit d’une fumeuse citoyenneté mondiale, les autres qu’il ne fallait pas prononcer ce mot réservé aux partis de droite et d’extrême droite qui avaient fait de la nation leur cheval de bataille.

En ce qui concerne les deux finalistes, l’argument de la nation me semble avait été le pivot de la campagne. Ségolène Royal avait parlé du drapeau, mais elle a été tellement raillée par toute la gauche que les électeurs ont cru que seul Sarkozy pourrait défendre la nation. Les 14 millions d’ouvriers et d’employés souhaitaient le retour du politique. Ils cherchaient une sécurité morale, physique, économique et sociale (Stéphane Rozès, interview à Marianne du 11 octobre 2006). Sarkozy leur a paru le plus crédible qui leur a parlé de les protéger des délocalisations par un retour à la préférence communautaire pour le commerce international.

Dans les mois qui viennent, il nous faudra réhabiliter l’idée de communauté de citoyens, la nation qui est à l’opposé de la segmentation du peuple en petites communautés, le communautarisme sur lequel Sarkozy va essayer de s’appuyer. Le peuple serait découpé en petites entités rivales les unes des autres dirigées par des minorités dont les porte-parole s’arrogent le droit de parler au nom de toute leur communauté : les Corses, les Bretons, les Basques, les juifs, les musulmans, les homosexuels, les femmes (voir le livre de Julien Landfried, « Contre le communautarisme », publié chez Armand Colin en 2007). Le communautarisme détruit les solidarités, déjà mises à mal, depuis que le discours de classe a été remplacé par l’exaltation des tribus. Il est évident qu’il est de l’intérêt du néolibéralisme de diviser un peuple qui pourrait être redoutable s’il reconnaissait son ennemi.

La nation est le seul endroit où la démocratie peut s’exercer. Il n’existe en effet pas de peuple européen et nous n’avons aucun autre moyen de défense que la volonté de la nation contre les mesures que l’Union européenne néolibérale veut nous imposer. Prenons un exemple : la concurrence des produits provenant de pays à bas salaires entraîne la désindustrialisation des pays occidentaux. Les néolibéraux affirment que le nombre de délocalisations est relativement faible, mais ils oublient de parler des délocalisations indirectes, c’est à dire des usines qui ferment, incapables de lutter contre la concurrence des produits à bas coût. Sarkozy propose d’établir des écluses pour lutter contre les délocalisations. Mais il ne dit pas comment faire, alors que tous les traités de libre-échange c’est à dire de réduction des barrières douanières et d’interdiction des quotas ont été signés par la Communauté européenne au nom des pays membres, et donc de la France. Il faudrait que Sarkozy demande au Conseil européen le retour à la préférence communautaire en matière de commerce extérieur. En supposant qu’il ait le courage de faire une telle proposition, il faudrait l’unanimité pour qu’elle soit adoptée, ce qui est peu probable, car la Grande Bretagne entre autres s’y opposera. Il faudrait que la France adopte la politique de la chaise vide, comme l’avait fait le général de Gaulle dans d’autres circonstances en 1966 pour avoir gain de cause, La France pourrait aussi décider unilatéralement des mesures protectionnistes, ce qui créerait une crise encore plus grave avec l’Union européenne. Qui peut croire qu’elle pourrait continuer tranquillement sans la France ?

Nous devons préparer l’opinion aux enjeux que nous impose la mondialisation. Il nous faudra creuser notre idée de nation et montrer qu’elle est différente de celle de l’extrême droite. Pour reprendre la question des protections douanières, notre but ne doit pas être d’empêcher les pays émergents de se développer, ce qui serait effectivement égoïste. Notre but doit être la sauvegarde de notre industrie, en mettant au même prix pour le consommateur les produits fabriqués en France et ceux fabriqués en Chine. Les droits de douane devraient être reversés à un fonds dont le but serait l’élévation des droits sociaux et des salaires des pays exportateurs, c’est ce que Jacques Sapir a appelé le protectionnisme social et écologique.

Christian Schneider


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