Brésil Libérez Lula !

lundi 8 juillet 2019.
 

Lula est aujourd’hui un des prisonniers politiques les plus emblématiques dans le monde. Certains le comparent à Nelson Mandela en Afrique du Sud, car en plus de la condamnation injuste qu’il subit, la mobilisation internationale pour sa liberté est en passe de devenir un puissant vecteur de la lutte pour la préservation de la démocratie et de l’État de droit au Brésil.

Déjà très importante depuis son incarcération il y a un an, elle a repris de plus belle avec les révélations du journal The Intercept mettant en lumière un véritable complot au sommet de l’État pour écarter Lula du pouvoir. L’ancien juge Sergio Moro en est l’acteur principal. Il a condamné Lula en première instance, avant d’accepter le poste de Ministre de la Justice du nouveau président Bolsonaro.

Président ouvrier

Lula naît en 1945 dans une ville de la zone semi-aride du Nord-est brésilien (État du Pernambouc). Il est issu d’une famille pauvre de 8 enfants. Arrivé à São Paulo avec sa famille, il quitte rapidement l’école pour travailler comme vendeur de rue. Embauché dans l’industrie métallurgique, il y fera ses débuts dans le syndicalisme avant de fonder le parti des travailleurs au début des années 80, encore sous la dictature militaire. Après trois tentatives vaincues, il est élu président de la République Fédérative du Brésil en 2002. Il termine son deuxième mandat fin 2010 avec un taux record de popularité de 87 %. Grâce à lui et l’héritage de ses politiques publiques, Dilma Rousseff est élue à deux reprises. Mais dès lors les poursuites judiciaires se multiplient. Parmi elles, l’enquête Lava Jato à partir de 2014.

La Lava Jato révèle un vaste réseau de détournement d’argent public organisé autour de l’entreprise publique pétrolière Petrobras via des marchés publics surfacturés. L’équivalent de 12,7 milliards d’euros auraient disparu des caisses de l’État. De nombreuses figures de premier plan ont déjà été emprisonnées, comme Eduardo Cunha (ex-président de la chambre des députés), Marcelo Odebrecht, ex-président de la plus grosse entreprise de BTP du pays ou encore Eike Batista, milliardaire industriel, 8e fortune mondiale en 2011 (Forbes).

C’est dans ce cadre que Lula est condamné le 12 juillet 2017 à 9,5 ans de prison pour corruption et blanchiment d’argent, puis en appel en janvier 2018 à 12 ans et un mois avant d’être emprisonné le 7 avril 2018, sans avoir épuisé ses recours, ce qui est contraire à la législation. Il est accusé d’avoir reçu un peu moins d’un million d’euros de pots-de-vin dont un appartement (le triplex de Guaruja) de la part d’une entreprise de BTP en échange de son intervention pour l’attribution de contrats avec la compagnie pétrolière Petrobras. Seuls problèmes : il n’y a pas assez de preuves pour fonder l’accusation et son procès n’a pas été impartial.

Moro, un juge politique

La Lava Jato entre en scène juste après la ré-élection de Dilma Rousseff dans un contexte de forte tension politique où la droite, vaincue pour la quatrième fois consécutive, se refuse d’accepter la défaite. Si l’opération judiciaire a réellement permis de condamner des pratiques politiques inacceptables, sa mise en scène est aussi profondément anti-démocratique. Au lieu d’exiger de nouvelles règles de transparence et de contrôle au sein de l’appareil d’État, elle a au contraire contribué à véhiculer l’image d’une désorganisation profonde du pays, alimentant le désespoir de la population. Son rythme sensationnaliste a été scandé par les grands groupes médiatiques, bénéficiant d’une audience juteuse, aux bottes du juge Sergio Moro.

C’est ce qu’ont permis de prouver les récentes révélations confirmant ce que beaucoup dénonçaient déjà. Le système pénal brésilien établi une division claire entre le rôle du procureur (qui accuse) et du juge (qui analyse l’exposé des deux parties). Or le juge Sergio Moro a largement enfreint cette séparation, faisant preuve d’un réel activisme politique, construit grâce au soutien du système médiatique. On y découvre Moro exerçant un pouvoir d’autorité sur le parquet allant jusqu’à l’inciter à forger des arguments à charge alors que celui-ci doutait de la consistance des preuves à sa disposition. Une fois le procès passé en deuxième instance il a continué d’agir, s’appliquant, par exemple, à contourner une décision de la cour suprême qui autorisait Lula à avoir accès à la presse au cours de la campagne électorale.

Un clair acharnement politique à quelques mois des élections présidentielles pour évincer Lula, qui quand il était encore en lice devançait Bolsonaro de plus de 10 %. Un cas typique de lawfare (en anglais), ou la guerre par les moyens de la justice, engendrant la fraude électorale la plus grave de l’histoire de la démocratie brésilienne, dont les conséquences sont d’ores et déjà irrémédiables mais dont la dénonciation n’a jamais été aussi proche du but depuis ces dernières révélations.

Lula et le futur du Brésil

Après six mois de gouvernement désastreux de Bolsonaro, ces révélations ont fait l’effet d’une bombe. Concomitamment, les manifestations de rue ont aussi repris, bien plus massives que prévu, contre les réformes austéritaires annoncées dans le domaine de l’éducation et des retraites. Mais la lutte sera dure et longue. Même dans l’hypothèse d’un retour de Lula sur la scène politique. Car s’il représente encore le souvenir d’une époque prospère, le contexte économique et politique a changé et le lulisme, suivant une stratégie de conciliation et un programme basé sur l’accélération de la croissance, la consommation et le crédit, doit faire l’objet d’une profonde refonte.

Au Brésil, le PT a été le premier parti ayant réussi à mener un programme profondément socialiste jusqu’à la tête du pouvoir. Bien qu’il soit encore aujourd’hui un des seuls à avoir une idéologie claire et une forte capillarité locale, les années de gouvernement l’ont éloigné de la base et du peuple. Dans les quartiers populaires ce sont maintenant les églises évangélistes qui assurent les liens de proximité prônant la dévotion à Jésus, comme solution à tous les problèmes. Au cours des quatre dernières années, la destitution de Dilma Rousseff, la criminalisation de Lula et de l’ensemble des mouvements sociaux ont forgé l’idée que la gauche serait devenue contre le peuple. Bolsonaro en a pris la suite avec sa guerre idéologique déclarée à « toute forme de communisme ».

Un nouveau cycle politique s’ouvre donc pour la gauche brésilienne. Même forte de ses valeurs de classe, engagée dans la défense des droits sociaux et démocratiques, la gauche n’a plus un programme suffisamment convainquant pour remobiliser les masses populaires derrière elle. Elle doit aussi redéfinir son champ d’alliance en se concentrant plus que jamais sur les forces populaires, rompant définitivement avec les secteurs centristes de la bourgeoise qui l’ont fait élire puis ont orchestré sa chute. Mais les initiatives citoyennes innovantes et les figures politiques prometteuses n’en finissent pas d’émerger, portées par la lutte des femmes, des noirs, des indigènes, des travailleurs ruraux affectés par l’extraction des matières premières. De nombreuses pages d’Histoire s’apprêtent à s’écrire autour d’un réel programme populaire de réappropriation des richesses et de souveraineté.

Florence Poznanski


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