Après la perquisition en octobre du local de la LFI, Mélenchon et ses proches renvoyés en correctionnelle – Le deux poids deux mesures de la justice française

vendredi 5 juillet 2019.
 

Quatre députés de La France insoumise sont appelés à comparaître en septembre devant le tribunal de Bobigny pour avoir tenté de s’opposer aux perquisitions au siège du mouvement, en octobre. La justice avait fait preuve de plus de mansuétude au moment de l’affaire Benalla.

L’Express a annoncé, jeudi 27 juin, que plusieurs cadres de La France insoumise (LFI) passeront devant le tribunal correctionnel de Bobigny les 19 et 20 septembre prochains. Parmi les prévenus, trois députés : Jean-Luc Mélenchon et deux de ses plus proches, Alexis Corbière et Bastien Lachaud, élus de Seine-Saint-Denis. Mais aussi Manuel Bompard, récemment élu eurodéputé après avoir été longtemps le numéro 2 du mouvement.

Seront également appelés à la barre le conseiller de l’ex-candidat à la présidentielle, Bernard Pignerol, ainsi que l’attachée de presse du mouvement, Muriel Rozenfeld.

Il leur est reproché d’avoir fait œuvre d’« actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire », mais aussi de « rébellion et provocation » afin d’obstruer la perquisition qui a eu lieu le 16 octobre 2018 au siège de LFI, rue de Dunkerque à Paris.

Ce jour-là, après que son propre domicile avait été perquisitionné dans le cadre de deux enquêtes préliminaires conduites par le parquet de Paris concernant le financement du mouvement, Jean-Luc Mélenchon, persuadé qu’il s’agissait d’une « volonté [du pouvoir] de criminaliser notre mouvement, de nous salir », avait lancé un appel sur les réseaux sociaux demandant aux militants de le rejoindre pour s’interposer face aux forces de l’ordre qui étaient sur le point de pénétrer dans le siège du mouvement.

S’en était suivie une foire d’empoigne, captée notamment par un caméraman de l’émission « Quotidien » de TMC, après que Bastien Lachaud avait crié aux policiers : « Laissez entrer la presse ! »

À l’arrivée, les images de cette perquisition mouvementée ont tourné en boucle dans les médias. On y voyait Jean-Luc Mélenchon s’en prendre aux représentants de l’État, notamment à un gendarme en faction devant la porte, ou Alexis Corbière tenter de défendre ses « camarades ».

Muriel Rozenfeld, elle, est citée à comparaître pour avoir ouvert une porte dérobée par laquelle se sont engouffrés des insoumis pour entrer dans le local. Quant à Bernard Pignerol, il est, selon Le Monde qui est revenu en détails sur cette journée, accusé d’avoir porté un coup sur le bras d’un policier.

Huit mois déjà que ce « mardi noir » colle à la peau de LFI. Jean-Luc Mélenchon avait crié à une « opération de police politique ». Mediapart avait déploré la mise en scène du député insoumis et des siens autour des perquisitions, tout en dénonçant le fait que le parquet soit sous tutelle du ministère de la justice et du gouvernement.

À l’époque en effet, les perquisitions avaient été menées sous le régime de l’enquête préliminaire, diligentée par le parquet, alors que les circonstances auraient pu présider à l’ouverture d’une information judiciaire et à la nomination d’un juge indépendant. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait, ce qui a eu pour effet de jeter le soupçon, à tort ou à raison, sur cette procédure.

Dans tous les cas, ce procès, qui s’annonce hors norme – quatre députés devant la justice, une première sous la Cinquième République –, ne manquera pas d’être amplement suivi et commenté par la presse, et ce, quelle que soit son issue ou sa légitimité même.

Car si le parquet ne fait, en l’occurrence, que formellement appliquer la loi, il est parfois plus souple dans son application. Difficile de ne pas faire le parallèle avec de récentes affaires qui ont touché les plus hautes sphères du pouvoir.

Mediapart avait ainsi raconté qu’Alexandre Benalla, proche collaborateur d’Emmanuel Macron, avait, au moment de la perquisition de son domicile, fin juillet dernier, après les violences commises le 1er mai 2018 sur la place de la Contrescarpe à Paris, « revendiqu[é] sans ciller la dissimulation de son coffre-fort et des données de son téléphone personnel, comme son refus de communiquer le numéro de sa femme ».

« Je n’ai pas les clés avec moi. La seule personne qui a les clés de mon domicile est ma femme, qui à cette heure est certainement partie à l’étranger se reposer et fuir les journalistes avec notre bébé », avait-il expliqué tranquillement aux policiers. Or son épouse était en réalité dans le XVIe arrondissement, à Paris.

Une obstruction manifeste de la perquisition qui n’a, alors, pas ému la justice plus que cela. Le parquet de Paris a ainsi refusé d’élargir l’enquête à la disparition du coffre, comme les juges l’avaient pourtant demandé.

De même, la justice n’a pas donné suite aux révélations de Mediapart sur les comptes de campagne d’Emmanuel Macron (lire ici ou là). Pourtant l’opposition parlementaire avait requis l’ouverture d’une commission d’enquête sur le sujet.

Quoi qu’il en soit, cette énième péripétie est encore un coup dur pour La France insoumise, qui doit affronter ces dernières semaines de graves remous internes. Après les mauvais résultats des européennes, une crise sans précédent s’est ouverte et les départs se sont multipliés.

Si aucune des personnes mises en cause n’a souhaité répondre à Mediapart, une source interne au mouvement décrivait vendredi matin « une mauvaise ambiance » dans les rangs insoumis, après l’annonce du renvoi en correctionnelle : « Personne n’ose parler de cette histoire de correctionnelle autrement qu’en mode : “C’est une attaque politique de Macron.” Évoquer ou dire autre chose vaudrait un bannissement immédiat. Mais en réalité, ce nouvel épisode déprime tout le monde, et de plus en plus pensent que Mélenchon a vraiment fait une connerie ce jour-là. »

Jean-Luc Mélenchon est depuis quelques mois contesté dans ses propres rangs, notamment pour sa réticence à résoudre les demandes de démocratie interne, mais aussi pour son « style », jugé par certains trop agressif. De son comportement, il en sera évidemment encore question, à l’automne prochain, devant les magistrats de Bobigny.

Les conséquences politiques de cet épisode du 16 octobre, pour la première fois porté sur le terrain judiciaire – mais qui pourrait être suivi par d’autres mises en cause dans le cadre des enquêtes sur le financement du parti qui sont en cours –, pourraient s’avérer désastreuses dans l’opinion publique. À moins que LFI n’arrive à prouver qu’elle est la victime d’un système judiciaire aux ordres du pouvoir. Mais cela serait peut-être déjà trop tard.

Pauline Graulle


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