Lienemann-Mélenchon, quarante ans d’amitié très combative

mercredi 17 juillet 2019.
 

Elle n’a pas fini de le « pourchasser ». Marie-Noëlle Lienemann a donc annoncé samedi son départ du Parti socialiste pour se rapprocher de son ex-camarade Jean-Luc Mélenchon et de sa France insoumise. Quarante ans pile que ces deux-là se connaissent, se jaugent, se fréquentent, s’éloignent et se retrouvent. Depuis Massy en Essonne en passant par le gouvernement de Lionel Jospin pour ensuite vivre séparés, l’une en minoritaire au PS, l’autre comme porte-voix du Front de gauche puis de la France insoumise. Des couples qui se séparent, l’histoire politique en compte un paquet. Mais qui se réconcilient, plus de dix ans après une rupture, c’est assez rare. Surtout quand on a commencé par se détester.

Lorsque le jeune Mélenchon est recruté comme directeur de cabinet par le maire de Massy, Claude Germon, et débarque en Essonne fin août 1978 avec ses meubles en bois brut du Jura, il reçoit comme première « mission » de « dégager » Lienemann. Jeune rocardienne, elle est alors, à 27 ans, l’opposante interne de l’édile qui est, lui, proche de François Mitterrand. Formé, durant ses études à Besançon, chez les trotskistes lambertistes de l’Organisation communistes internationalistes (OCI), Mélenchon - d’un mois son cadet - est chargé de constituer une petite armée pour « faire la peau à Marie-Noëlle ». « Germon était complètement enfoncé ! Ultraminoritaire ! se remémorait Mélenchon en 2011 lors d’une série d’entretiens pour la biographie que nous lui avons consacrée. Le premier vote auquel j’ai assisté : trois voix pour lui et tout le reste pour Lienemann ! »

Les fourmis, les cafards et Lienemann

La « tâche » de Mélenchon est simple : « recruter du monde, produire du discours politique, surveiller » la rocardienne. Le jeune mitterrandien passait son temps, « matin, midi et soir », à faire des cartes du parti. Mais la « tâche » s’avère impossible : en 1979, c’est Lienemann qui rafle l’investiture socialiste pour les cantonales et non l’un de ses proches. « Pourtant, on avait tout fait pour la planter, se souvient Mélenchon. Y compris avec les moyens les plus déloyaux possibles ! Je ne vivais plus, je passais mon temps à essayer de la battre mais j’ai toujours refusé les trucs sur la vie privée. Faut dire que c’était une crevarde la Marie-Noëlle… Elle te pourchasse jusqu’en enfer ! Après la catastrophe atomique, il restera les cafards, les fourmis et Marie-Noëlle Lienemann ! » Mélenchon a toujours suspecté sa camarade d’avoir, avant de prendre sa carte au PS, été « pabliste », ce courant trotskiste proche des idées libertaires et autogestionnaires qui rejoindra en 1977 le Parti socialiste unifié de Michel Rocard.

Interrogée pour le même ouvrage, la sénatrice de Paris racontait à l’époque les « pouilles » avec Mélenchon : « On s’est affrontés raide, racontait-elle. Il bourre, je bourre. Je crée une radio, il en lance une autre. Il piquait une association, j’en prenais une autre. » Cette concurrence amène cependant les deux militants de la même génération à sympathiser. Pour une raison bête : Mélenchon n’a pas le permis de conduire. Du coup, c’est Lienemann qui le convoie pour les réunions fédérales ou nationales avant de se retrouver, après 1985, sur les bancs du conseil général. Le futur insoumis aime à rappeler que cette scientifique l’a initié au « principe d’incertitude » alors qu’il n’était à l’époque qu’« un déterministe enragé ». Lienemann aime aussi faire remarquer qu’elle est à l’origine des idées de Mélenchon dans un ouvrage qu’il présente lui-même comme un « socle de sa pensée » : A la conquête du chaos publié en 1991.

Trio avec Dray

La mitterrandie remercie les deux trublions : l’un devient sénateur en 1986, l’autre députée européenne en 1984 puis députée de l’Essonne en 1988. Déjà allié avec Julien Dray dans un petit courant baptisé « La Nouvelle école socialiste » (NES) depuis 1986, Jean-Luc Mélenchon finit par faire affaire avec Lienemann. En 1991, les trois parlementaires font partie de la poignée de socialistes à voter « contre » l’intervention militaire française dans la guerre du Golfe. En août de la même année, dans un cinéma d’Hérouville avant la célébration officielle de ce mariage politique devant 300 militants à Val-de-Reuil, les trois larrons et leurs lieutenants fondent un courant « La Gauche socialiste » (GS) qui va marquer le PS.

Un nombre conséquent de responsables politiques de gauche d’aujourd’hui y ont été formés. Entre autres : le député France insoumise Alexis Corbière, l’ex-ministre de l’Ecologie Delphine Batho, le scénariste de Baron Noir, Eric Benzékri, l’ancien député de Paris - aujourd’hui proche de Benoît Hamon - Pascal Cherki, ou encore l’ex-candidat à la mairie de Marseille, Patrick Mennucci… Le courant est marqué par le tandem Dray-Mélenchon. Lienemann est là pour tempérer les tensions entre les deux mâles alpha. « J’étais souvent d’accord avec Jean-Luc pour freiner les ardeurs de Julien », racontait-elle en 2011. Du trio, c’est Lienemann qui, la première, est appelée au gouvernement. En avril 1992, Pierre Bérégovoy la nomme secrétaire d’Etat au Logement.

Avec son statut d’aile gauche du parti et ses 10% dans les congrès, la « GS » fait et défait les premiers secrétaires du PS. D’abord Fabius, puis Rocard après la débâcle législative de 1993 et son « big-bang ». Alors qu’elle en vient, Lienemann se montre pourtant réservée à l’idée de faire alliance avec le représentant de la deuxième gauche. Puis ce sera Emmanuelli, Jospin… En mars 2000, Mélenchon est nommé ministre délégué à l’Enseignement professionnel dans le gouvernement de gauche plurielle. Lienemann le rejoint à l’automne en reprenant son poste au Logement. Les deux auraient pu continuer à grimper sans la chute de la maison Jospin le 21 avril 2002.

« Populiste de gauche »

Une fois le séisme digéré, les chemins des deux camarades divergent. La GS est dissoute. D’abord aux côtés d’Emmanuelli, Mélenchon choisit de pilonner la direction du PS puis de faire campagne contre le Traité constitutionnel européen de 2005, avec le noyau de fidèle de son club d’alors « Pour la République sociale » (PRS) et d’autres forces « antilibérales » comme le Parti communiste, Olivier Besancenot ou José Bové. Il prend une route qui l’amène à quitter le PS pour fonder le Parti de gauche en 2008.

De son côté, Lienemann joue la partition plus classique de l’aile gauche : jouer le rôle d’aiguillon de la direction du PS, pilotée par François Hollande puis Martine Aubry avant Harlem Désir et Jean-Christophe Cambadélis. Un coup avec Henri Emmanuelli, puis avec Benoît Hamon ou Emmanuel Maurel. Elle ne croit pas, à l’époque, à la possibilité pour Mélenchon de s’en sortir sans le PS et le somme en privé d’envoyer des signaux à son ancienne famille plutôt que de les insulter - donc d’empêcher le rassemblement de la gauche - ou jouer au « populiste de gauche ».

Si Mélenchon, après son départ du PS a coupé les ponts avec beaucoup d’ex-camarades, cela n’a jamais été le cas avec « Marie-Noëlle ». Et ce d’autant plus que le mari de la sénatrice a, lui, rejoint le PG et le Front de gauche. Chacun prend des nouvelles de l’autre, sonde le camp d’en face. Ils échangent sur l’état de la social-démocratie en France et en Europe, sur ce qu’il reste du PS, sur la « République sociale » dont ils ont toujours partagé le grand projet, sur ce « populisme de gauche » qui fait rechigner Lienemann, débattent du bien-fondé de la stratégie de chacun. Remplacer le PS et prendre le pouvoir par l’extérieur pour l’un, le transformer et le prendre de l’intérieur pour l’autre…

Il y a un an, on avait revu Marie-Noëlle Lienemann dans son grand bureau de vice-présidente du Sénat pour l’interroger à nouveau sur Jean-Luc Mélenchon. Quelques mois après les 19% de son ex-camarade à la présidentielle, elle s’interrogeait : « Il est devant un choix. Qu’a-t-il envie d’être ? Président de la République française car il pense que la France a un rôle historique majeur à jouer dans une période historique chahutée ? Ou un grand leader des courants de reconquête du peuple par la gauche ? Sans doute doit-il hésiter entre les deux », analysait-elle. Les signaux de celui qui jadis avait pour mission de la « dégager » finissent par convaincre Lienemann de quitter un Parti socialiste qu’elle n’imaginait jamais quitter. Elle dit qu’elle est « arrivée au bout du chemin ». Celui avec Mélenchon n’est pas fini.

Lilian Alemagna


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