Le sommet européen où le modèle allemand s’est bloqué

lundi 15 juillet 2019.
 

Le sommet européen qui a décidé la répartition des grands postes qui structurent l’Union européenne a été aussi riche en rebondissements qu’une crise politique ouverte dans un Etat-Nation. C’est la première fois qu’un tel sommet dure autant. Et qu’il connait un tel retournement de situation.

Tout cela a été dilué en France par une opération médiatique d’extase qui fonctionna comme une diversion. Ici ce fut sur le thème des femmes à la tête des grands postes. Naturellement c’est très marquant. Moins nouveau qu’il y parait dans une zone où les femmes ont déjà été avec Merkel chancelière d’Allemagne et, avec Thatcher, de Grande-Bretagne. Ce furent de salutaires précédents ! Ils ont montré combien l’argument des femmes qui « font de la politique autrement » est vide de sens. Femmes et hommes politiques font la politique du programme de leur parti. Mais c’est un franchissement de cap important que cela soit dorénavant ainsi au sommet de l’Union européenne. Pendant l’extase médiatique française, la presse européenne fut plus critique et acide de bien des façons. Car toute l’Union s’est fait rouler par un marchandage sans visée connue pour l’avenir. Et les apparents bénéficiaires du marché conclu, c’est-à-dire les gouvernements français, allemand ou espagnol ressortent bien malengroins en dépit des apparences.

Bien sûr, en changeant de camp tout soudain, Macron a réussi un coup. Il a lâché le candidat social-démocrate pour la présidence de la Commission. C’était pourtant un libéral grand teint. Mais cela reste un coup. L’Allemande est en place. Cette présidence allemande ne peut-être une victoire du Français car il ne voulait pas de la droite allemande à la tête de la Commission. Cependant il est probable que ce coup aura son impact en Allemagne. En effet la successeure désignée de Merkel, madame Kramp Karrenbauer, grossière figure anti-française de la CDU, voit surgir une concurrente de taille dans l’intérêt du public de son pays. De son côté, la chancelière Merkel voit la Banque centrale lui filer sous le nez et il est assez probable que c’était en réalité pourtant bien son objectif final. Ce sont des erreurs qui ne lui sont guère pardonnées dans la presse allemande.

Les Espagnols se sont payés avec la nomination de Josep Borrell à la tête des Affaires extérieures. Mais ils vivent mal le lâchage français sur la présidence social-démocrate. « El Païs », quotidien « de référence », fulmine ! Total : tous floués dans le maniement de leurs ruses respectives. Mais le résultat final a ses propriétés émergentes. Il est là. Il va créer son espace et sa signification. Bien sûr, rien ne peut changer l’orientation générale de la conduite politique de l’Union. Sinon pour aggraver son cours libéral. Mais le bricolage de dernière minute libère aussi ceux qui en ont profité en réduisant leurs devoirs d’allégeance.

Pour ma part, contrairement aux apparences je vois le début du déclin allemand dans cette situation. La chancelière s’est pris les pieds dans le tapis de ses ruses. Et pour finir elle n’a pu voter pour élire sa propre compatriote et membre de son gouvernement. En effet ses alliés sociaux-démocrates dans la grande coalition en Allemagne ne pouvaient l’accepter. C’est un signe que cette abstention d’impuissance politique. Et la Banque centrale lui échappe. C’est un soulagement que de ne pas être affublé d’un de ces névropathes de l’ordolibéralisme pour la conduite du robinet monétaire. On se souvient que le banquier central allemand en dépit des menaces de récession ne voulait déjà pas de la politique « accommodante » de Mario Draghi. Et cela même alors que l’économie allemande était en récession.

Or la zone euro est de nouveau menacée de récession et l’économie allemande y est pour beaucoup. Je ne parle pas du risque que fait peser sur tout le système bancaire l’état de délabrement du système bancaire allemand. Il se confirme déjà avec la crise à la Deutsch Bank. Il faut croiser les doigts pour cela ne tourne pas à l’effondrement. Mais tout de même ! C’est un spectacle original de voir les champions du baratin sur la bonne gestion créer une banque pourrie « structure de défaisance » pour y stocker 75 milliards de créances douteuses à extraire d’urgence du bilan de la Deutsch Bank. « Le modèle allemand » en prend un bon coup sur la tête. Très fortement dépendant du marché mondial, trop fortement spécialisé dans la production automobile, le « modèle allemand » est dorénavant sévèrement plombé.

Tous les indicateurs sont en recul : exportations, production industrielle etc. Et quand on sait que ce sont les usines allemandes d’assemblage qui ralentissent la production attendue par Airbus, on comprend que le mythe du travail sérieux et ponctuel n’est plus autant de ce côté-là du Rhin. Ce sont autant de bonnes nouvelles pour les Français. Ces échecs peuvent en effet faire réfléchir Outre-Rhin où l’on deviendrait alors moins arrogants, et donneurs de leçon, plus ouverts à discuter pour construire un avenir moins étroitement borné par les exigences de la rente.

En toute hypothèse les choses ne peuvent que se dégrader chez notre voisin. La crise de la démographie, le vieillissement de la population, la crise de la natalité et l’exil des jeunes plombent le moteur de croissance qu’est la consommation intérieure. Ceux qui croient qu’il suffit de faire des automobiles pour les riches Chinois et Américains pour être heureux vont bientôt se rendre compte que le but de la production reste la satisfaction des besoins du grand nombre. Peut-être pourra-t-on bientôt parler des abus du diesel, des mines de charbon à ciel ouvert, des pesticides de Bayer et du recul des objectifs d’émission de gaz à effet de serre dont le gouvernement allemand porte la terrible responsabilité. Pour l’instant la bonne conscience et l’aveuglement de l’autosatisfaction allemande ont tout empêché. Enfin les choses vont mal dans « le modèle ». On va peut-être pouvoir proposer autre chose. Le bras bloqué de madame Merkel au moment de voter pour l’Allemagne est un bon début en dépit de son objet.


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