Vincent Lambert est mort... Le sordide et l’indignité

mercredi 17 juillet 2019.
 

Le sort de cet ancien infirmier de 42 ans a provoqué une bataille familiale et un long feuilleton juridique, médiatique et politique, avec en arrière-plan permanent, la question de la légalisation de l’euthanasie.

La « nuit de solitude et d’inconscience » dans laquelle Vincent Lambert était « emmuré » depuis un accident de la route en 2008 – selon l’expression du rapporteur public du Conseil d’Etat en juin 2014 – a pris fin. L’ancien infirmier psychiatrique est mort, jeudi 11 juillet peu après 8 heures, à l’âge de 42 ans, à l’hôpital Sébastopol de Reims (Marne), neuf jours après le début de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles qui le maintenaient en vie.

Ainsi s’achève ce drame familial où décisions médicales et décisions de justice se sont succédé sans discontinuer depuis le 11 mai 2013, date à laquelle le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait ordonné en urgence la reprise de la nutrition et de l’hydratation de cet homme tétraplégique en état végétatif chronique, dont les lésions cérébrales ont été jugées irréversibles.

Hors norme, l’affaire a eu un écho médiatique et politique considérable, allant jusqu’à susciter une prise de position officielle d’Emmanuel Macron, par un message publié le 20 mai sur Facebook dans lequel il assurait qu’il ne lui « [appartenait] pas de suspendre une décision qui relève de l’appréciation de ses médecins et qui est en conformité avec nos lois » mais « d’entendre l’émotion suscitée ».

En arrière-plan permanent, la question de la légalisation de l’euthanasie. « J’ai parfois l’impression que tout le débat sur la fin de vie se joue dans cette chambre [d’hôpital], autour de mon mari », a écrit Rachel Lambert, l’épouse de Vincent Lambert et la mère de sa fille, née quelques semaines avant l’accident, dans Vincent : parce que je l’aime, je veux le laisser partir (Fayard), en 2014.

« Vie purement biologique »

Cette année-là, la France entière parle de cette affaire de fin de vie qui s’est invitée au journal télévisé quelques mois plus tôt. Qui n’a pas son avis sur la décision qu’il conviendrait de prendre ? « Il n’y a pas de référendum à avoir sur la situation de mon époux. Qui le supporterait pour sa propre vie ? », réagit Rachel Lambert lors de l’examen de l’affaire par le Conseil d’Etat.

Après une phase de coma profond, son mari a été diagnostiqué en 2011 en « état de conscience minimale » au centre de recherche sur le coma (Coma Science Group) de Liège, en Belgique. Selon ces médecins, il ne faut plus s’attendre à une amélioration. Depuis le début de l’année 2013, l’équipe de soignants a noté des comportements inhabituels d’opposition lors des soins, faisant « suspecter » un refus de vivre, et les a conduits à mettre en place un protocole d’arrêt des traitements, comme le prévoit la loi Leonetti.

L’« affaire » éclate en mai 2013 parce qu’Eric Kariger, le premier médecin à prendre une décision d’arrêt des traitements, a omis d’avertir Pierre et Viviane Lambert, les parents, de sa mise en œuvre. Le patient est par ailleurs toujours un peu hydraté, le chef de service espérant le « laisser partir lentement, de sa belle mort », mais le procédé prolonge au contraire son agonie. Vincent Lambert survit alors à trente et un jours d’arrêt de nutrition.

Erreur de communication avec la famille, erreur de mise en œuvre du protocole… Mais, sur le fond, le docteur Eric Kariger a fait le même constat que Daniela Simon et Vincent Sanchez, les deux autres médecins qui lui succéderont à la tête du service. Pour eux, si Vincent Lambert n’est certes pas en « fin de vie », il est maintenu en vie par des traitements, par le biais d’une sonde gastrique, et, à ce titre, il entre dans le cadre de la loi Leonetti de 2005 (puis Claeys-Leonetti, en 2016) qui proscrit toute « obstination déraisonnable », si le patient émet ou a émis le souhait de ne pas vivre cette vie-là.

Cette vie, c’est une « vie purement biologique », sans conscience de soi ni des autres, selon la formule de l’ex-député LR Jean Leonetti. « Aujourd’hui, vous avez une médecine tellement performante qu’elle peut maintenir en vie presque de manière quasiment indéfinie des corps dans lesquels il n’y a plus de pensée, plus de conscience, plus de relation à l’autre », a récemment fait valoir l’auteur de la loi sur la fin de vie. Et à tous ceux qui s’inquiètent d’éventuelles conséquences de l’affaire Lambert pour les 1 700 personnes cérébrolésées, le Conseil d’Etat a bien précisé, dans son arrêt de 2014, qu’être en état végétatif ne relève pas « en soi » d’une forme d’acharnement thérapeutique.

Comme la majorité des Français, Vincent Lambert n’a pas laissé de directives anticipées et n’a pas désigné de personne de confiance. La loi n’établit, par ailleurs, pas de hiérarchie parmi les proches. Et si, dans la grande majorité des situations de ce type, un consensus est trouvé entre l’équipe médicale et la famille, la famille Lambert se divise en deux clans, avec d’un côté les parents, un demi-frère et une sœur et, de l’autre, son épouse, Rachel, son neveu François et cinq frères et sœurs.

« Croisade idéologique »

Pour Rachel Lambert, son mari n’aurait pas voulu de cette vie-là, ce que plusieurs décisions de justice ont validé. « Il avait une vision assez radicale des choses : il était pour lui préférable de partir, plutôt que de rester en vie “comme un légume”. Il employait des mots très crus : il disait qu’il valait mieux être “piqué” », écrit-elle en 2014.

Viviane Lambert, la mère, historiquement proche des catholiques intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X, n’admet pas, pour sa part, que la « nuit de solitude et d’inconscience » dans laquelle son fils est « emmuré » soit si profonde ou si définitive. Pour elle, son fils est handicapé et doit donc être traité comme tel. Elle assure le voir « vivre, évoluer, souffrir, se calmer, veiller et dormir » et même « parfois réagir [aux] sollicitations » et estime que les médecins veulent l’« assassiner ».

« J’ai l’impression que la volonté de mon frère est piétinée au nom de valeurs qui ne sont pas les siennes », estimait, en mai 2013, dans Le Monde, Joseph, le frère de Vincent Lambert, en dénonçant la « croisade idéologique » de sa mère. « On n’a pas besoin d’avoir des convictions religieuses pour défendre ses enfants », répondait-elle alors, se disant « meurtrie » par ces accusations.

C’est donc la justice qui, la main tremblante, est appelée à de nombreuses reprises à trancher, au gré des recours successifs déposés par les parents. Pour la première fois, en janvier 2014, le Conseil d’Etat est amené à se prononcer sur la vie et la mort d’un homme. « C’est la décision la plus difficile qu’ait eu à rendre le Conseil d’Etat ces cinquante dernières années », prévient Jean-Marc Sauvé, le vice-président de l’institution, avant de déclarer de façon très solennelle au Palais-Royal que la procédure d’arrêt des traitements était conforme à la loi. Au tour ensuite de la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, de confirmer cette lecture, en juin 2015.

Que restera-t-il de cette « affaire » ? Un prénom et un nom, sans doute, venus s’inscrire dans l’inconscient collectif national au côté de ceux de Vincent Humbert, Chantal Sébire ou Anne Bert, des personnes désireuses de mourir du fait d’un handicap ou d’une maladie neurodégénérative et empêchées de le faire par une loi française interdisant l’euthanasie et le suicide assisté. Mais là où ces personnes revendiquaient expressément un droit, au moins celui de déroger à la loi interdisant de décider de sa propre mort, le cas de Vincent Lambert a mis en lumière les non-dits de la loi existante.

Le sordide et l’indignité

Quelle est la volonté d’un homme qui n’est plus en état d’en formuler une ? La nutrition et l’hydratation par une sonde sont-elles des traitements au même titre que des médicaments ou une ventilation mécanique ? En clarifiant ces deux points-là, mais sans aller jusqu’à établir de hiérarchie parmi les proches, la loi Claeys-Leonetti, venue prendre en 2016 le relais de la loi Leonetti de 2005, aura pris la marque de l’affaire Lambert. Le renforcement des directives anticipées, dont la rédaction a été facilitée et qui sont désormais devenues opposables sous certaines conditions, en est un exemple.

Du coté des soignants, cette affaire largement médiatisée laisse un goût amer. « C’est une histoire particulière sur laquelle il est difficile de construire une pensée globale », estime Claire Fourcade, la vice-présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, à qui tout cela évoque d’abord « un sentiment d’échec, car notre travail est d’arriver à trouver des décisions acceptables par tous ».

Ce goût amer, certains l’ont ressenti au vu de l’instrumentalisation dont Vincent Lambert, à son corps défendant, a pu faire l’objet ces dernières années dans la « bataille de l’opinion ». Où était son droit à la dignité lorsque des images de lui sur son lit d’hôpital ont été largement diffusées dans les médias par les partisans de son maintien en vie ? Où était le droit à la dignité de son épouse lorsque ses beaux-parents l’ont fait suivre par un détective privé ou lorsqu’elle a été auditionnée au commissariat dans le cadre d’une plainte contre X pour tentative d’assassinat ? Quand les avocats des parents, juchés sur les épaules de partisans du maintien en vie, ont crié à la « remontada » lorsque la cour d’appel de Paris leur a – provisoirement – donné raison ?

Dans cette affaire, le sordide et l’indignité n’ont pas manqué de venir s’ajouter à la douleur et au chagrin. Dans une tribune publiée le 23 mai dans Libération et titrée « Vincent Lambert, le chagrin et la honte », Véronique Fournier, la présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, constatait qu’« à nous être invités à son chevet depuis des années, avec nos passions et nos déchirements, nous avons peu à peu fait de cette mort une affaire publique et collective, lui faisant perdre toute possibilité de recueillement et d’intimité » et demandait : « Qui d’entre nous voudrait de cette fin-là ? »

François Béguin


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