Mort d’Adama Traoré : le « J’accuse ! » de sa sœur Assa

lundi 29 juillet 2019.
 

Trois ans après la mort de son frère Adama, Assa Traoré, devenue la figure de proue de la lutte contre les violences policières, parle de son combat.

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, 24 ans, décédait dans la cour de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise). Trois ans plus tard, sa sœur Assa, porte-parole du collectif « Vérité pour Adama », nous parle de son combat contre les violences policières.

Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

ASSA TRAORÉ. Je suis plus déterminée que jamais, on ne lâchera rien. Jeudi soir, j’ai mis en ligne sur les réseaux sociaux une tribune qui s’intitule : « J’accuse… ! ». J’y accuse tous ceux (NDLR : elle donne leurs noms) qui ont entravé l’enquête sur la mort de mon frère : experts, gendarmes, procureur, juges… Leur nom va rester dans le marbre. Nous sommes dans un système qui protège les forces de l’ordre. C’est une machine de guerre. Il faut écouter les déclarations du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner après chaque violence policière. C’est de la provocation, une crise d’autoritarisme.

Mais il y a quand même des juges qui enquêtent sur la mort de votre frère ?

Dans toutes les affaires de violences policières, c’est toujours le même schéma qui se met en place : la victime devient le coupable, et vice-versa. Les expertises innocentent systématiquement les forces de l’ordre. Dans l’affaire Adama, nous en sommes à la cinquième expertise et nous avons déjà réussi à écarter trois maladies. Si on ne s’était pas battu, mon frère serait officiellement mort de causes cardiaques et d’une infection grave. En mars, les juges auraient classé l’affaire si notre avocat, Me Bouzrou, n’avait pas remis un rapport médical contredisant les conclusions douteuses d’une précédente expertise.

Aujourd’hui, il existe suffisamment d’éléments pour mettre en examen les gendarmes et les renvoyer devant un tribunal. Mais les juges cherchent à gagner du temps en demandant une sixième expertise. Elles se cachent derrière les experts. Nous les avons rencontrées lundi, elles n’arrivent plus à en trouver un seul… Évidemment nous avons fait appel aux meilleurs spécialistes dans le domaine. Et leur rapport est très clair : mon frère est mort par asphyxie sous le poids de trois gendarmes.

Vous appelez aujourd’hui à Beaumont-sur-Oise à une marche « historique » contre les violences policières. Qu’en attendez-vous ?

C’est une façon de montrer que le combat est d’abord local, même si aujourd’hui l’affaire Adama dépasse largement la famille Traoré. Plus nous avançons, plus nous sommes forts et puissants. Aujourd’hui le tee-shirt d’Adama est porté partout dans le monde. Il y a des comités Adama au Kenya, au Canada, au Mali… À la rentrée, je suis invitée à San Francisco, aux Etats-Unis, en Angleterre… Notre combat est universel. Il dénonce la répression policière vécue par les jeunes de couleur dans les quartiers populaires. L’affaire Adama a permis de mettre à nu un système répressif, autoritariste et violent qui s’appuie sur une justice à deux vitesses. Celle que l’on applique aux jeunes des quartiers populaires, aux Gilets jaunes, et celle qu’on applique aux forces de l’ordre pour les protéger. Nous clamons qu’un pays sans justice est un pays qui appelle à la révolte. Les autorités doivent entendre ceci. Elles mettent en danger notre pays et ses citoyens. Elles divisent notre peuple.

Les manifestations des Gilets jaunes et certaines violences policières qui y sont apparues ont-elles rendu, selon vous, vos revendications plus audibles ?

Aujourd’hui, les Gilets jaunes nous ont ralliés et certains d’entre eux seront à nos côtés ce samedi. Ils ont vécu de plein fouet la répression policière et ils ont pris conscience que notre combat était légitime. Pour anecdote, l’an passé, une grand-mère est venue de la région niçoise pour participer à notre marche. Elle a pris le bus pour venir à notre rencontre. Elle n’était encore jamais entrée dans un quartier. Il n’y a pas deux France. Aujourd’hui dans notre mouvement, il y a des personnes de toutes les couleurs, de toutes les religions, de tous les milieux, et de toutes les tendances sexuelles. Nous sommes à un tournant de notre lutte.

Par Jean-Michel Décugis Le 20 juillet 2019 à 08h05


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