Xavier Hamon : «  Retrouver le goût de l’émancipation  »

lundi 5 août 2019.
 

Des années durant, il a été cuisinier, avant de rompre avec les casseroles pour endosser la blouse d’infirmier en hôpital psychiatrique. Avant encore d’être rattrapé par les démons culinaires et de repiquer aux fourneaux. Restaurateur à Quimper, fondateur de l’Alliance Slow Food des cuisiniers, il a pris aujourd’hui la tête de l’Université des sciences et des pratiques gastronomiques (USPG), à Plouhinec (Finistère). Un établissement qui entend former des cuisiniers et préparer à d’autres métiers de bouche pour retrouver une liberté d’expression en lien avec les producteurs, pêcheurs, maraîchers et éleveurs, de sorte à donner du sens aux métiers de la cuisine. En tenant compte des enjeux et des défis environnementaux, alimentaires, sociaux et économiques.

À la fin du XXe siècle, on prédisait qu’on avalerait bientôt des pilules pour se nourrir. À votre avis, est-ce qu’on mangera mieux en 2050 ?

Xavier Hamon : La prédiction était bonne : on peut se nourrir depuis longtemps de pilules, d’ersatz alimentaires, de compléments synthétiques. Considérer que l’acte de se nourrir se résume à un acte physiologique n’est donc pas nouveau. En 2019, on voit éclore une gamme d’aliments lyophilisés auparavant cantonnés au monde du sport, aujourd’hui vendus avec des arguments « healthy ». Le lyophilisé décomplexé arrive ainsi au bureau et à la maison, mis au point et commercialisé par des cuisiniers très médiatisés. En fait, il s’agit du même projet qu’au début du XXe siècle : réduire le temps passé à s’alimenter, afin d’assurer une plus grande productivité des personnes. Au passage, il est amusant de constater que les industriels de la bouffe « healthy » ont retenu quelques leçons du passé en intégrant dans leur discours les mots « grand chef », « traditions », « produits savoureux » ou « 100 % bio ». Le seul argument hygiéniste ne suffit plus !

Puisque manger est devenu un acte politique conscient, bien manger signifie, selon moi, appréhender la nourriture dans toutes ses dimensions : culturelles, sociales, patrimoniales, artisanales, écologiques, climatiques, migratoires et économiques. Nous pourrons certainement mieux manger en 2050. Mais pour ceux qui auront les moyens d’avoir accès à cette alimentation, bonne, propre et juste. Pour cela, il faudra une sacrée transition.

Que mangiez-vous à 18 ans ? Qui vous a appris à bien manger ?

À 18 ans, j’avais plusieurs régimes alimentaires, selon que j’étais chez moi, à l’école hôtelière ou avec mes copains. À la maison, je mangeais une cuisine familiale nourricière et équilibrée, avec la conviction très forte que la cuisine est un élément de vie sociale important qui permet d’être valorisé pour son savoir-faire. Je sais grâce à la cuisine de ma mère ce qui est sain et équilibré, c’est instinctif. Mais, contrairement à une idée reçue, je ne suis pas sûr que toutes les mères – puisque ce sont elles qui cuisinent en grande majorité – nées après-guerre ont aimé faire à manger dans ce moment d’émancipation important par le travail en dehors de la maison. Certaines amies de ma mère n’étaient pas de grandes cuisinières et ne pouvaient donc pas être reconnues sur ce point-là : il valait mieux avoir d’autres qualités ! En revanche, elles partageaient toutes une connaissance indéniable du milieu rural et un lien avec lui, qu’elles l’aient rejeté ou non.

Pensez-vous qu’on puisse bien manger sans savoir faire un peu de cuisine ?

C’est en tout cas ce que veut nous faire croire le service de livraison Uber Eats avec ses affiches dans le métro parisien : « Zéro minute de cuisine, 45 minutes de cardio » ! Sérieusement, pour bien manger, cuisiner est évidemment nécessaire. Mais cela ne signifie pas forcément y passer deux heures par jour. Il faut cuisiner intelligent, avec des préparations qui peuvent servir à plusieurs repas, apprendre les petits trucs et astuces qui simplifient la vie. Cette reconquête du temps n’est pas limitée à l’acte de manger. Personne ne nous donnera ce temps, il faut le reprendre. Trop de nos concitoyens sont aujourd’hui réduits à un rôle d’opérateur, de bête de somme enchaînant les transports en commun, la voiture, le travail, les enfants, avec des journées qui n’ont plus de sens, sinon celui de contribuer à une économie sans valeur, uniquement tournée vers le profit. Dans ce contexte, notre rapport au temps est essentiel, et cuisiner fait partie de ces petites reconquêtes du quotidien.

Les goûts alimentaires sont souvent imprimés dès l’enfance. Peut-on s’en affranchir ?

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