Réfugiés Le dur parcours des Enfants étrangers isolés

mardi 8 octobre 2019.
 

Les enfants étrangers arrivés seuls sur le territoire français ont droit à la protection inconditionnelle des autorités françaises en tant que personnes vulnérables. Rappelons qu’en 2016, l’agence Europol annonçait la disparition de 10 000 mineurs pendant la crise migratoire de 2015, un grand nombre ayant probablement été interceptés par des réseaux de trafiquants. Les mineurs étrangers isolés relèvent donc des mécanismes de l’aide sociale à l’enfance (ASE), au même titre que les nationaux. Ce qui déclenche cette protection spécifique, c’est l’âge du jeune étranger. Reconnu comme mineur, il intègrera le dispositif de la protection de l’enfance, alors que considéré comme majeur, il se verra appliquer le droit commun des étrangers. Dans le premier cas, il sera protégé de toute éventuelle mesure d’expulsion car un enfant n’a pas à justifier d’un titre de séjour, alors que dans le second cas, il sera susceptible d’être reconduit à la frontière.

Qui sont ces enfants ?

En 2018, 17.022 personnes ont été reconnues comme mineures non accompagnées (MNA), alors qu’elles étaient 14.908 en 2017 et 8.054 en 2016. 56% avaient 16 ou 17 ans, 33% étaient âgés de 15 ans, et 11% avaient 14 ans ou moins. Parmi elles, 95% étaient des garçons et 5% des filles. Ces jeunes viennent principalement de Guinée (31%), du Mali (20%), de Côte d’Ivoire (16%), et dans une moindre mesure de Tunisie, d’Algérie, du Cameroun, du Bangladesh, du Pakistan, d’Afghanistan, d’Albanie, du Maroc.

Le nombre de jeunes à la minorité alléguée non reconnue atteint probablement des dizaines de milliers de personnes. Comme l’explique MSF, « Ces jeunes se retrouvent dans une situation administrative inextricable et juridiquement inexistante : mineurs selon leurs papiers, majeurs selon une décision arbitraire. Ils sont condamnés à l’errance. » (1).

Justifier de sa minorité

La détermination de l’âge des MNA est donc un enjeu essentiel. Parfois, les jeunes arrivant sur le territoire français ne disposent pas de documents d’état civil prouvant leur minorité. Souvent, la véracité des documents qu’ils produisent est remise en cause par les services sociaux. Dans tous les cas, un premier entretien d’évaluation doit permettre une évaluation, complété par un test osseux critiqué par les médecins et associations mais que le Conseil constitutionnel considère comme suffisamment fiable, malgré une marge d’erreur de deux ans.

L’évaluation sociale est menée par le département, en théorie dans un délai de cinq jours car seuls ces cinq premiers jours sont pris en charge financièrement par l’État. Pour éviter les évaluations divergentes de l’âge du même enfant par des départements différents, la loi asile et immigration du 10 septembre 2018 a autorisé la création d’un fichier biométrique des mineurs non accompagnés. Comme le dénonce le Défenseur des droits (2), « contrairement aux enfants français ou enfants étrangers accompagnés, les personnes se disant mineures non accompagnées de nationalité́ étrangère pourront désormais être soumises à une collecte de leurs empreintes, photographies et données personnelles par l’autorité́ préfectorale, avant d’accéder à une mesure de protection ».

Accéder à ses droits

En réalité, le durcissement des conditions d’octroi de la protection de l’enfance à l’égard des MNA s’explique par l’augmentation du nombre d’enfants concernés. L’État cherche ainsi, par tout moyen, même douteux et rompant l’égalité de traitement avec les enfants français, à limiter le nombre de jeunes reconnus comme mineurs.

Les MNA sont aussi l’objet d’un véritable bras de fer financier entre les départements, à qui revient la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance, et l’État. Pour protester contre une charge financière qu’ils jugent de plus en plus lourde, certains départements rechignent à mettre en œuvre les mesures de protection d’urgence, notamment l’hébergement, qui relèvent de leur compétence. Devant la juridiction administrative, les mineurs étrangers, définitivement reconnus comme tels par le juge des enfants, sont bien souvent obligés de demander que le département soit contraint, sous astreinte, de leur fournir un hébergement d’urgence.

La procédure de demande d’asile est ouverte aux mineurs non accompagnés comme aux adultes. Obtenir l’asile offre une plus grande garantie aux bénéficiaires que la protection au titre de l’ASE car l’asile ne prend pas fin à la majorité. Pourtant, les enfants isolés sont peu orientés

vers l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et des apatrides). En 2018, seuls 742 enfants ont demandé l’asile en France. Plusieurs difficultés se combinent pour éloigner les MNA des guichets de l’asile : l’absence d’aide financière pour les mineurs demandeurs d’asile et les délais nécessaires à la nomination par le procureur d’un administrateur ad’hoc qui effectuera les démarches administratives pour le compte du mineur.

L’enfermement des mineurs, qu’ils soient isolés ou accompagnés, est en contradiction avec le droit international. La France a d’ailleurs été critiquée sur ce point à de nombreuses reprises, notamment par le Comité́ des droits de l’Homme de l’ONU, qui, dans le cadre de son rapport d’examen périodique de la France de 2015, demandait à notre pays d’ « interdire toute privation de liberté́ pour les mineurs en zones de transit et dans tous les lieux de rétention administrative en Métropole et en Outre-mer ». En juin 2018, le contrôleur général des lieux de privation de liberté avait également préconisé l’interdiction pure et simple de l’enfermement des enfants dans les centres de rétention administrative. (3) Malgré cela l’enfermement des enfants, accompagnés ou non, continue d’être une réalité́ en France.

Atteindre la majorité

Le sort des mineurs étrangers pris en charge par l’ASE diffère selon qu’ils sont arrivés en France avant ou après 16 ans. Pour ceux arrivés avant 16 ans, le passage à la majorité leur donne droit, en théorie, à une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » (article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). En revanche, les MNA pris en charge par l’ASE après 16 ans n’ont droit à un titre de séjour portant la mention « salarié » ou la mention « travailleur temporaire » qu’à titre exceptionnel (article L. 313-15). En outre, confrontés à une hausse des dépenses sociales, de nombreux départements ont choisi de rogner sur les « contrats jeunes majeurs », allocation facultative attribuée par le conseil départemental aux jeunes de 18 ans suivis, jusque-là, par l’ASE. Résultat : l’insertion socio-économique des jeunes arrivés seuls sur le territoire français s’interrompt souvent brutalement, malgré l’investissement conséquent effectué par les jeunes eux-mêmes et par la collectivité.

Si « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale »,comme le stipule l’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant de 1989, alors la France, dans son traitement des enfants étrangers isolés, est loin du compte.

Prune Helfter-Noah

NOTES

1. MSF, Les MNA : symbole d’une politique maltraitante, juillet 2019

2. Décision n°2019-104 du 15 avril 2019

3. Avis du 9 mai 2018 relatif à l’enfermement des enfants en centres de rétention administrative


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