Hongkong : « La peur, c’est la méthode favorite du Parti communiste »

vendredi 4 octobre 2019.
 

Les affrontements ont pris un tour explosif ce mardi 1er octobre, jour de commémoration du 70e anniversaire de la République populaire de Chine » : pour la première fois, un manifestant a été gravement blessé à la poitrine par un tir à balle réelle.

« Voilà ce qu’on a fait de votre soi-disant fête nationale ! Un jour de deuil, une tragédie ! Dégagez ! »

Des fourgons de police passent en trombe. Des passants les conspuent, des manifestants les insultent. Sac à dos et casque de la Croix-Rouge, John, secouriste volontaire, lâche laconiquement : « Ça va chauffer aujourd’hui. » Il est midi à Sham Shui Po (nord-ouest de la péninsule de Kowloon), et la journée est déjà tendue.

Elle va devenir explosive et sanglante, comme une nouvelle étape pour Hongkong qui s’enfonce un peu plus chaque semaine dans une crise politique sans précédent. Mardi, pour la première fois, un manifestant a été gravement blessé à la poitrine par un tir à balle réelle. Il a été transporté dans un hôpital pour y subir une intervention. Au moins 30 personnes ont été blessées, dont deux grièvement.

Impossible de traverser ce quartier vers l’île de Hongkong. La police bloque les tunnels et les routes. Les taxis, les bus ou les voitures sont systématiquement arrêtés et fouillés aux barrages filtrants. « Si on tente de passer, on atterrit au trou direct : ventoline, ciseaux médicaux, tout peut être prétexte à nous arrêter », poursuit John. « La peur, c’est la méthode favorite du Parti communiste. C’est le diable ! »

« Nous ne sommes pas la Chine »

« Nous sommes en Chine mais nous ne sommes pas la Chine. On refuse en bloc l’autoritarisme du Parti communiste. On refuse de devenir le prochain Xinjiang [où sont internés des centaines de milliers de Ouïghours, ndlr] », s’emporte une dame en écho.

La trentaine rondouillarde, John est un Hongkongais réserviste de la marine britannique, formé au Royaume-Uni. Avec deux coéquipiers, il forme une escouade de secouristes qui grillent clope sur clope. L’un est un échalas de 1,80 m, en treillis, avec tout l’attirail paramilitaire : protection aux genoux, ceinture militaire avec plein de poches et pansements ou bandages accrochés. « On n’est pas sûr de ressortir en vie. On ne sait pas comment on va être traité maintenant, avec cet Etat-policier. »

John reste sur ses gardes. Il accompagne un groupe de manifestants qui grossit au fil des minutes. Des centaines, bientôt des milliers. Google Maps sous les yeux, le trio visualise les restaurants pro-démocratie où se replier en cas d’urgence. Les « jaunes, pro-démocratie, sont ouverts ; les bleus, pro-Pékin, sont fermés », explique John, habitué des réseaux souterrains de la lutte. Quand il ne travaille dans un hôpital, il couvre les manifestations, tous les week-ends depuis juin.

« La calamité de notre histoire »

A nouveau, la police n’avait pas autorisé de rassemblements ce mardi, pour ne pas gâcher les commémorations des 70 ans de la République populaire de Chine. Las.

Des centaines de personnes sont dans la rue. En noir. A Kowloon, sur l’île, dans les Nouveaux territoires. La police n’avait pourtant pas lésiné sur les arguments et les menaces, ces dernières heures, pour dissuader les manifestants.

Le gouvernement local s’est contenté d’organiser des festivités a minima : feu d’artifice annulé, levée du drapeau en catimini au petit matin, décorations sans drapeaux chinois dans les rues. Les manifestants ont pris le relais. Les murs sont tapissés de slogans anti-Parti communiste, les trottoirs couverts de portraits piétinés du président Xi Jinping.

« Le Parti communiste chinois est la calamité de notre histoire. Tiananmen, les arrestations arbitraires, les disparitions de militants des droits de l’homme, l’incitation à la délation permanente, la censure : un beau bilan en soixante-dix ans », ironise John.

Le groupe continue d’avancer, direction Tsim Sha Tsui et son commissariat. « La police est depuis juin l’incarnation du pouvoir central et donc la principale cible des manifestants », reprend John. En réponse, les méthodes se font plus musclées. L’armée populaire de Chine, stationnée dans le territoire semi-autonome depuis la rétrocession en 1997, se serait équipée de matériel spécial guérilla urbaine, croit savoir le quotidien South China Morning Post. La police aurait reçu des renforts des forces chinoises pour contrer la guérilla, selon Reuters.

Ces informations de presse exacerbent les tensions d’une partie des Hongkongais. Depuis lundi, la police a procédé à 48 perquisitions et arrêté 51 personnes. Dans le cortège, certains brûlent des drapeaux chinois, puis entonnent à plein poumon « l’hymne » autoproclamé de Hongkong, composé ces dernières semaines.

Des adolescents « sur la ligne de front »

Derrière un parapluie, deux silhouettes maigrichonnes sont en train de s’équiper. Casques, masque à gaz, protège-tibia. Ils ont 12 et 13 ans. John les incite à rentrer chez eux. En vain. « Si on n’a plus la liberté de penser, plus la liberté de se rassembler, quel est le sens de la vie ? » lance un adolescent à peine plus âgé. Non loin, certains arrachent des briques au sol. John et ses camarades s’équipent aussi. « On est sur la ligne de front. »

Soudain une pluie de lacrymogènes s’abat. Tout s’accélère. Il y a des cris, des mouvements, du repli. John et ses camarades s’activent, nettoient les yeux brûlés par les gaz. Puis, c’est la course. La police charge. Les « raptors », les équipes d’élite, fondent sur les manifestants.

« A l’abri ! » Ils courent, puis se faufilent dans un immeuble. Au dernier étage, des copains les attendent. « C’est un médecin, il soigne clandestinement les blessés », explique John. Le temps d’une courte pause, ils regardent les infos. Mêmes scènes de chaos dans tout le territoire. Puis, devant cette vidéo d’un policier tirant à bout portant sur un manifestant, ils crient : « Les salauds ! »

Dehors, les lacrymogènes éclatent à nouveau. Des cocktails Molotov volent, éclatent sur le bitume, des voitures les évitent de justesse. Aussitôt, John et ses camarades redescendent. La soirée sera longue.

Rosa Brostra correspondante à Hongkong


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