Fête de l’Europe : danse sur un champ de ruine ?

vendredi 12 mai 2006.
 

Le 9 mai, c’était la fête de l’Europe. Il paraît que cela fait vingt ans que cette journée a été instaurée dans l’ensemble des pays européens. Avouons que jusque là cela nous avait un peu échappé. Mais cette année, le gouvernement avait décidé de donner à l’événement un « lustre particulier ». La ministre déléguée aux affaires européennes, Catherine Colonna, a expliqué qu’après le « non » français, il s’agissait de ne plus avoir « l’Europe honteuse ».

Pour sortir l’Union Européenne de sa crise, un magnifique plan B s’est ainsi déroulé tout au long de la journée. Le gouvernement UMP et la Mairie de Paris ont dépassé leurs divergences pour illuminer la tour Eiffel en bleu. La ministre a insisté sur la portée de l’événement. « La Tour Eiffel en bleu, cela n’a jamais été fait. Je veux remercier le Maire de Paris de m’avoir donné son accord pour qu’il en soit ainsi. Minuit-minuit, aux heures nocturnes, parce que dans la journée, cela ne se verrait pas. » Un ticket de métro bleu (un « collector », a précisé la ministre) a été édité par la RATP. Et pour montrer que l’Europe se préoccupe dorénavant des classes populaires (« cela touchera un autre public » se réjouit Colonna), un tiercé/quarté/quinté + baptisé « prix de la journée de l’Europe » s’est couru à Vincennes et a été retransmis à la télévision.

Cette grande opération s’inscrit dans les diverses campagnes de communication que promeut la Commission Européenne pour répondre à ce qu’elle appelle la « montée de l’euro-scepticisme dans les opinions européennes ».... en fait le rejet par les peuples des politiques qu’elle conduit au nom de la construction européenne. Car qui peut encore prétendre que la crise européenne vient d’un défaut de communication au sommet et d’une ignorance à la base ? Jamais la réalité des politiques européennes n’a été aussi bien connue. En France, nous avons vécu une appropriation populaire sans précédent à l’occasion du débat référendaire. Qu’ont appris de plus nos concitoyens lors de cette journée de l’Europe ? Que le drapeau européen est bleu et que l’hymne de l’Union est un chef-d’œuvre de Beethoven ?

Si les citoyens européens ne sont pas si ignorants que leurs caricatures qui en sont faites, les « élites » européennes sont aussi bien moins éclairées qu’elles veulent bien le dire. En réalité, elles n’ont aucune idée de la suite. Les Vingt-Cinq gouvernements de l’Union, qui se sont donné après les non français et néerlandais un temps de réflexion d’un an, devraient décider, au Conseil européen de juin, de le prolonger encore faute d’avoir progressé d’un mètre.

Cette panne européenne n’est pas nouvelle. Le projet de Constitution devait déjà permettre de la dépasser. La manière dont cette idée a été détournée est extrêmement révélatrice. Alors qu’un processus constituant repose sur la participation et l’adhésion des citoyens, la procédure choisie (adoption par une Convention non élue) et la nature du texte proposé (un pavé illisible de plusieurs centaines de pages) devait empêcher toute appropriation populaire. Pour une raison simple : l’irruption des citoyens sur la scène européenne risque de conduire à une remise en cause des politiques néo-libérales rejetées par les peuples.

Pour sortir l’Europe de la crise, mieux vaudrait discuter ouvertement de l’avenir du projet de Constitution européenne. Alors que celui-ci a été rejeté par deux fois par des référendums populaires, le processus de ratification n’est pas stoppé. La présidence allemande se fait même fort de remettre la Constitution sur le tapis à l’occasion de sa présidence, au deuxième trimestre 2007, juste au lendemain de la présidentielle française. Un tel acharnement à faire avaler par le peuple français la Constitution qu’il a souverainement rejetée risque d’avoir des conséquences funestes. Une telle tentative provoquerait une crise nationale de grande ampleur. Nul ne sait quel en serait le débouché politique : on peut craindre une immense vague de nationalisme. C’est pourquoi il est décisif de proposer une issue progressiste à la crise européenne. Pour notre part, nous sommes partisans de l’élaboration d’une nouvelle Constitution par une Assemblée Constituante élue à cet effet. Le calendrier en donne les moyens. Si l’élection de 2007 voit la victoire d’un candidat issu du « non » de gauche, la France aura l’autorité et la légitimité de faire une telle proposition. Elle pourra la faire avancer lorsqu’elle présidera l’Union en 2008, et il sera temps de la mettre en œuvre à l’occasion des élections européennes prévues en 2009. C’est ce qu’a défendu Jean-Luc Mélenchon lors du Forum Social Européen le week-end dernier à Athènes. Sans doute trop affairés à la préparation de la fête de l’Europe, les représentants du gouvernement français, comme ceux hélas de la sociale-démocratie européenne, ont brillé par leur absence.

François Delapierre Editorial de l’hebdomadaire A Gauche


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