Le Parlement européen (extrême droite, droite, "socialistes" et Verts) vote un texte ignoble rendant équivalents nazisme et communisme

mercredi 23 octobre 2019.
 

- 1) Pourquoi je n’ai pas voté ce texte (par l’eurodéputé italien Massimiliano Smeriglio

- 2) Le Parlement européen manipule l’histoire et la mémoire (par Charles Heimberg. Historien et didacticien de l’histoire ; Genève)

- 3) UN VOTE DANGEREUX QUI MANIPULE L’HISTOIRE ET LA MEMOIRE (Association républicaine des anciens combattants)

- 4) Le déshonneur du Parlement européen Par Patrick Le Hyaric

1) Pourquoi je n’ai pas voté ce texte (par l’eurodéputé italien Massimiliano Smeriglio

« Je n’ai pas voté pour le texte qui rend équivalents le nazisme et le communisme.

Je n’ai pas voté en sa faveur parce qu’il s’agit d’un texte confus et contradictoire.

Je ne l’ai pas voté parce que l’histoire n’a pas à être contrainte dans une construction parlementaire dont le seul but est de la tirer à soi de tous côtés pour aboutir ensuite à un étrange œcuménisme où tout devient semblable.

Je n’ai pas voté ce texte parce qu’il n’est pas vrai que la Seconde Guerre mondiale est née avec le pacte Molotov-Ribbentropp, ses causes sous-jacentes devant éventuellement être recherchées dans les conditions de la paix punitive de Versailles à la fin de la Première Guerre mondiale.

Par ailleurs, ces causes doivent aussi être recherchées dans la complicité silencieuse avec laquelle l’Etat libéral a permis le développement du fascisme et du national-socialisme contre le mouvement ouvrier.

Je n’ai pas voté pour ce texte parce que, dans un tel document, on ne peut pas ne pas traiter sérieusement de la Shoah, c’est-à-dire la volonté d’exterminer des membres de la religion juive, les Roms, les Sinti, les homosexuels et les opposants politiques.

Je ne l’ai pas voté parce que les démocraties occidentales, nos démocraties, celles qui sont nées en 1945, doivent remercier aussi bien les Anglo-Américains que les formations résistantes et l’Armée rouge pour leur victoire finale.

Telle est la vérité historique.

Je n’ai jamais été prosoviétique, je viens de la culture libertaire, je me suis réjoui de la chute du Mur, j’ai manifesté contre Tiananmen, je me suis battu contre le socialisme réel et ses horreurs, mais tout cela n’a rien à voir avec le jugement politique et historique sur le début et la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Et cette rigueur, nous la devons à nous-mêmes pour pouvoir marcher debout et nous la devons aux millions de victimes qui se sont battus pour arrêter et vaincre Hitler et Mussolini.

Et puis, nous sommes en Italie, et pour nous, le nazifascisme, cela a été Marzabotto, via Tasso, les Fosses Ardéatines. Tandis que les socialistes, les communistes, avec d’autres, ont rédigé la Constitution républicaine et ont construit notre démocratie jour après jour.

Cela compte aussi. »

2) Le Parlement européen manipule l’histoire et la mémoire (par Charles Heimberg. Historien et didacticien de l’histoire ; Genève)

Le Parlement européen a adopté le 19 septembre une résolution "sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe". Elle s’inquiète à juste titre de la montée des haines identitaires en Europe, mais va droit dans le mur en manipulant l’histoire. Non, nazisme et stalinisme ne sont pas équivalents. Non, le pacte germano-soviétique n’est pas la cause de la Seconde Guerre mondiale.

La résolution du Parlement européen « sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe » est un monument de relativisme et de brouillage de toute intelligibilité du passé. Fruit d’un compromis particulièrement malsain où chacun peut tirer son épingle du jeu, à l’Est comme à l’Ouest, à droite comme au centre-gauche, ce texte contient des affirmations extrêmement graves et tout à fait inacceptables.

Parmi tous les problèmes que cette résolution pose sur le fond, trois au moins sont à souligner :

1. Mettre sur le même plan, en pleine équivalence, et en les assimilant, le fascisme, le nazisme et le stalinisme est une grossière simplification de la réalité. Le concept de totalitarisme incite à une comparaison historienne qui prenne en compte les éléments communs aussi bien que les dissemblances. Et il ne s’agit pas de nier les éléments communs que des figures comme Margarete Buber-Neumann, qui a connu un camp du Goulag, puis le camp de concentration de Ravensbrück, ont vécu dans leur chair. Mais ce concept devient dangereux dès lors que c’est dans l’absolu qu’il met tout ce qui n’est pas démocratie libérale sur le même plan. D’ailleurs, ces parlementaires étourdis savent-ils que la notion de totalitarisme a été inventée par l’antifascisme italien avec d’être récupérée et revendiquée de manière provocante par Mussolini ?

2. Le pacte germano-soviétique n’est pas la cause de la Seconde Guerre mondiale, laquelle est due à un éventail de causalités au centre desquelles se trouve assurément le projet expansionniste, belliqueux et racial du national-socialisme. Cette affirmation grossière ne vise qu’à prétendument légitimer la précédente. C’est un non-sens dont la logique consiste à occulter la gravité de la barbarie nazie en lui associant les crimes du stalinisme.

3. Présenter la Russie comme n’ayant souffert que du stalinisme (selon le point 15 de la résolution ci-dessous), c’est nier l’ampleur des souffrances et des pertes subies par ce peuple, et par les soldats de l’Armée rouge, pour arrêter l’expansion nazie et permettre la libération de l’Europe.

Sans surprise, au cours du débat parlementaire sur la motion, une eurodéputée espagnole du Parti populaire, Isabel Benjumea Benjumea (dérouler ici), a soutenu le texte en dénonçant au passage la pourtant très tiède loi espagnole sur la mémoire historique promulguée par les socialistes. "Il n’est pas possible d’imposer un seul récit de l’histoire par une seule loi", s’est-elle exclamée. Car tel est bien l’objectif de ces défenseurs de l’amnésie d’État et de l’occultation des crimes franquistes : encore une fois, mettre tout sur un même plan, la complexité des faits historiques et les pires récits néofranquistes qui nient les souffrances des victimes, l’analyse historienne du passé et les plus grossières manipulations de ce passé.

Ce mésusage idéologique de l’histoire, qui est surtout un brouillage mémoriel, fait des dégâts à l’échelle de tout le Continent. Il résulte sans doute des dynamiques internes au Parlement européen, notamment vis-à-vis des pays membres de l’Union européenne qui ont connu le stalinisme. Mais il est profondément inacceptable. En tant que science sociale, l’histoire sert à construire une intelligibilité du passé et du présent. Dans ce sens, elle nourrit aussi un travail de mémoire susceptible de contribuer à une prévention des crimes contre l’humanité. Mais avec son relativisme outrancier, la majorité du Parlement européen fait tout le contraire. Et c’est déplorable.

Charles Heimberg (Genève)

3) UN VOTE DANGEREUX QUI MANIPULE L’HISTOIRE ET LA MEMOIRE (Association républicaine des anciens combattants)

L’ARAC DENONCE UN VOTE DANGEREUX AU PARLEMENT EUROPEEN QUI MANIPULE L’HISTOIRE ET LA MEMOIRE

Le Parlement européen a adopté (pour : 535 – contre : 66 – abstentions : 52), le 19 septembre 2019, une résolution sur « l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe ». Cette résolution est grave et abjecte. Elle constitue l’aboutissement de la stratégie de révisionnisme historique prônée par l’Union Européenne.

Ce texte assimile fascisme et communisme. Il explique que l’origine de la seconde guerre mondiale serait… le pacte germano-soviétique.

Non le pacte germano-soviétique n’est pas la cause de la seconde guerre mondiale.

Les causes de la seconde guerre mondiale doivent être recherchées dans la complicité silencieuse qui a permis le développement du fascisme et du national-socialisme contre le mouvement ouvrier, la collusion des grands monopoles allemands avec Hitler. Elles sont à chercher dans le silence assourdissant qui a conduit les états d’Europe à abandonner l’Espagne Républicaine aux mains du fascisme, dans la lâcheté qui a conduit aux accords de Munich le 28 septembre 1938 entre Daladier, Chamberlain, Hitler et Mussolini.

Cette résolution cherche à effacer la contribution décisive des communistes et des peuples de l’Union Soviétique à la défaite du fascisme nazi.

Cette résolution occulte la gravité de la barbarie nazie et la renaissance du fascisme aujourd’hui.

Il est important d’avoir une rigueur historique, nous la devons aux millions de victimes, à tous ceux et avant tout les communistes et le peuple Russe qui se sont battus pour arrêter et vaincre Hitler.

Mettre sur le même plan et en les assimilant, le fascisme, le nazisme, le stalinisme et le communisme est une grossière simplification de la réalité.

Le fascisme favorisé et mis en avant a été le moyen trouvé par les capitalistes pour écraser les mouvements révolutionnaires des années 30 et sauver leurs systèmes. Le fascisme est la créature du capitalisme, le moyen du repartage entre impérialistes du monde dans la guerre la plus violente de l’histoire.

Les communistes, au contraire, dans chaque pays d’Europe, ont organisé et animé une résistance héroïque contre le fascisme. Ils ont pu le faire grâce au large soutien populaire dont ils disposaient.

Présenter la Russie comme n’ayant souffert que du stalinisme (point 15 de la résolution), c’est nier l’ampleur des souffrances et des pertes subies par ce peuple, et par les soldats de l’Armée rouge (21 millions de morts), pour arrêter l’expansion nazie et permettre la libération de l’Europe.

Cette résolution, d’une extrême gravité, vise à ouvrir la voie l’interdiction des partis communistes, des forces progressistes et du mouvement syndical comme ce fut cas dès 1933 en Allemagne.

Avec ce texte, le Parlement Européen veut empêcher toute révolte, toute contestation démocratique.

Le vote de ce texte est scandaleux et dangereux. Ceux qui l’ont voté portent une lourde responsabilité devant l’Histoire, ils font comme dans les années 30 le lit du fascisme.

Nous n’acceptons pas la réécriture de l’Histoire sous peine de voir se reproduire les mêmes dangers. Réfléchir au passé pour construire le présent, implique d’avoir le courage et l’intelligence de regarder l’histoire de chaque peuple.

Villejuif, le 23 septembre 2019

ARAC

4) Révisionnisme historique. Le déshonneur du Parlement européen

Par Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité.

Le Parlement européen a voté il y a quelques jours une résolution scélérate censée souligner l’«  importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe  ». En réalité, cette mémoire est bafouée ligne par ligne, laissant présager un «  avenir  » sombre pour l’Europe. Visant à mettre un trait d’égalité entre communisme et nazisme, ce texte mobilise des considérants qui sont chacun des modèles de propagande et de révisionnisme historique.

La signature du pacte germano-soviétique est ainsi obsessionnellement désignée comme cause principale du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Ce grossier raccourci historique permet d’absoudre cyniquement aussi bien le national-socialisme, son idéologie de mort et les régimes fascistes des années 1930 que l’atermoiement meurtrier et parfois connivent des chancelleries occidentales avec le nazisme, et la complicité active de puissances d’argent avec les régimes fascistes et nazi.

Silence est fait sur le traité de Versailles et ses conséquences. Aucun mot n’est consacré aux accords de Munich d’octobre 1938, ce «  Sedan diplomatique  » qui a livré les peuples européens au «  couteau de l’égorgeur  », ce «  début d’un grand effondrement, la première étape du glissement vers la mise au pas  », comme l’écrivait dans l’Humanité le journaliste et député communiste Gabriel Péri, fusillé par les nazis.

Tout le faisceau de causes mobilisées par des générations d’historiens pour tenter d’expliquer le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale est bazardé au profit d’une bouillie antirusse sans aucun égard pour le sacrifice immense des Soviétiques dans l’éradication du nazisme.

S’il ne fait aucun doute que le régime stalinien fut bel et bien un régime sanglant et criminel, il est moralement et historiquement inconcevable de faire de l’Union soviétique, de son armée et de tous ceux qui s’engagèrent avec elle, communistes de tous pays acteurs décisifs du combat libérateur, des équivalents des nazis et de leurs supplétifs collaborateurs, sauf à sombrer dans «  l’obsession comparatiste  », névrose idéologique dénoncée par l’historien Marc Ferro. Les communistes furent, dans de nombreux pays et avec l’appui de différentes forces, gaullistes et socialistes en France, les artisans du redressement national, créant un rapport de force qui permit l’édification d’institutions républicaines et sociales sur les cendres du nazisme et des collaborations. Est-ce un hasard si cet héritage fait parallèlement l’objet de violentes attaques dans tous les pays de l’Union européenne  ?

Les pays d’Europe orientale furent, quant à eux, des points d’appui décisifs dans les combats anticoloniaux qui essaimèrent après guerre. Noyer dans le concept de totalitarisme des réalités historiques aussi dissemblables ne peut apparaître que comme une escroquerie intellectuelle. Une telle entreprise ne sert en aucun cas à poser un regard lucide et apaisé, pourtant indispensable, sur les contradictions, crimes et fautes des régimes influencés par le soviétisme et qui ont pris le nom de socialisme.

Cette résolution s’appuie sur un considérant aussi grotesque que l’interdiction formulée dans certains pays de l’Union de «  l’idéologie communiste  », semblant acter des dérives revanchardes des extrêmes droites du continent en incitant tous les États membres à s’y plier. Signe qui ne trompe pas, l’inféodation à l’Otan est ici désignée comme gage de liberté pour les peuples de l’Est européen.

Cette résolution fait la part belle au révisionnisme d’extrême droite quand les pays baltes sont désignés comme ayant été «  neutres  », alors que ces derniers ont mis en place bien avant le pacte germano-soviétique des régimes de type fasciste laissés aux mains de «  ligues patriotiques  » et autres «  loups de fer  », suscitant un antisémitisme viscéral qui connaîtra son apogée sanglant dans ces pays lors de la Seconde Guerre mondiale.

Incidemment, la Shoah, sa singularité intrinsèque, et les logiques d’extermination méticuleuses et industrielles du régime nazi sont fondues dans le magma des meurtres du XXe siècle et ainsi relativisées. L’odieuse équivalence entre nazisme et communisme permet d’exonérer les régimes nationalistes d’inspiration fasciste des années 1930 que des gouvernements et ministres actuels d’États membres de l’Union européenne célèbrent ardemment.

Viserait-on, par ce texte politicien, à réhabiliter ces régimes qui gouvernèrent de nombreux pays d’Europe orientale avant de sombrer dans la collaboration en nourrissant l’effort de guerre nazi et son projet d’extermination des juifs d’Europe  ? Ce texte est une insulte faite aux 20 millions de Soviétiques morts pour libérer l’Europe du joug nazi, aux millions de communistes européens engagés dans la Résistance et les combats libérateurs, un affront fait aux démocrates alliés aux mouvements communistes contre nazis et fascistes, avant et après la Seconde Guerre mondiale.

Au moment où Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, propose de nommer un commissaire à la «  protection du mode de vie européen  », célébrant un culte que l’on croyait révolu à la pureté continentale, les thèses historiques révisionnistes des droites extrêmes et réactionnaires, qui ont de toute évidence inspiré ce texte, font leur entrée fracassante au Parlement européen. Pendant ce temps, aucun commissaire n’est nommé sur les questions d’éducation ou de culture…

Thomas Mann, vigie morale d’une Europe décomposée, écrivait  : «  Placer sur le même plan moral le communisme russe et le nazi-fascisme, en tant que tous les deux seraient totalitaires, est dans le meilleur des cas de la superficialité, dans le pire c’est du fascisme. Ceux qui insistent sur cette équivalence peuvent bien se targuer d’être démocrates, en vérité, et au fond de leur cœur, ils sont déjà fascistes  ; et à coup sûr ils ne combattront le fascisme qu’en apparence et de façon non sincère, mais réserveront toute leur haine au communisme.  »

Si l’expérience qui a pris le nom de communiste au XXe siècle ne peut être, pour tout esprit honnête, résumée à la personne de Staline ou à une forme étatique, tel n’est pas le cas du nazisme, intrinsèquement lié à un homme, à un régime. Et si le communisme propose un horizon d’émancipation universelle, quoi qu’on pense des expériences qui s’en sont réclamées, tel n’est pas le cas de l’idéologie nazie, qui se revendique raciste, réactionnaire et exclusive, portant la mort en étendard. Ces simples arguments de bon sens disqualifient l’odieuse comparaison de cette résolution.

C’est bien la visée communiste, dont nous maintenons qu’elle ne fut jamais mise en pratique dans les pays du bloc soviétique, qui est la cible de ce texte indigne et inculte, et avec elle, la possibilité d’une autre société. Que des voix sociales-démocrates et écologistes aient pu soutenir pareille résolution, mêlant leurs voix au Rassemblement national (ex-FN) et aux extrêmes droites continentales, est le signe désolant de la lente dérive d’une frange trop importante de la gauche européenne qui largue les amarres d’une histoire et d’un courant, ceux du mouvement ouvrier, dans lesquels elle fut elle aussi forgée, qui prête également le flanc aux pires tendances qui s’expriment dans le continent.

Demain, un maire, un élu, un député pourra-t-il se dire communiste sans enfreindre la docte délibération du Parlement européen  ? Et l’Humanité pourrait-elle un jour passer sous les fourches Caudines de la censure imposée des droites extrêmes coalisées  ? Ne plane-t-il pas là comme un parfum munichois, justement, face à une offensive idéologique dont certains pensent pouvoir se satisfaire en rasant les murs  ?

Tous les démocrates, toutes les personnes attachés à la libre expression des courants qui se réclament du communisme et d’une alternative au système capitaliste devraient au contraire se lever contre cette inquiétante dérive qui nous concerne tous. Au risque d’y laisser eux aussi un jour leur peau.


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