Loi bioéthique Procréation médicale assistée et filiation

mercredi 16 octobre 2019.
 

La quatrième loi de bioéthique (après celles de 1994, 2004 et 2011, plus une mini-révision en 2013) est en ce moment, en première lecture, en discussion à l’Assemblée nationale. Le cœur de la loi porte sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et ses conséquences sur la filiation.

Les premières inséminations artificielles intraconjugales datent du début du 19e siècle en France et les premières inséminations artificielles par don de sperme frais datent de la fin du 19e siècle aux États-Unis. La technique de la congélation du sperme arrive en 1972 en France et en 1982 nait le premier bébé français après une fécondation in vitro. En 1994 la première loi de bioéthique restreint le bénéfice de ces techniques aux couples hétérosexués «  souffrant d’une infertilité pathologique  » et organise les règles de filiation.

Ce critère de l’infertilité repose sur une fiction juridique. En effet, quand un homme est stérile et que le couple recourt à une PMA avec don, l’intervention n’a rien de thérapeutique : on ne lui fait strictement rien (il est stérile, il n’y a rien à faire). Si sa compagne n’a aucun problème de fertilité, on peut quand même pratiquer sur elle une stimulation ovarienne, mais c’est pour que la fécondation marche du premier coup, pas pour la guérir (elle n’a aucun problème de fertilité et, avec un autre homme, elle pourrait faire un enfant).

C’est d’ailleurs pourquoi la PMA artisanale est techniquement si facile (même si illégale) : un peu de sperme frais dans une poire ou une seringue, et voilà  ! La médicalisation permet de contrôler les MST et surtout dans une PMA officielle la loi organise la filiation : le donneur ne sera pas accusé d’abandon d’enfant et le compagnon stérile de la mère sera bien le père légal.

Alors, de quoi s’agit-il avec cette nouvelle loi de bioéthique  ? De faire sauter le verrou de 1994 pour permettre l’accès à toutes les femmes, même quand elles ne sont pas en couple avec un homme.

Il s’agit aussi d’organiser le droit de la filiation. Actuellement, dans un couple de femmes, la femme qui accouche est automatiquement la mère légale. Son épouse peut ensuite adopter leur enfant (cette possibilité n’est ouverte qu’aux femmes mariées). Une fois l’adoption prononcée, l’acte de naissance et le livret de famille portent la mention des deux mères à égalité, n’en déplaise aux réacs qui voudraient refaire le débat de 2013.

Ce recours à l’adoption force à un parcours long, compliqué et inutile. Il s’agit donc à l’occasion de la présente loi de déjudiciariser (passage de l’adoption au tribunal à une simple déclaration en mairie) et de dématrimonialiser (fin de l’obligation du mariage) la filiation pour la compagne de la femme qui accouche.

À ce moment des débats, le gouvernement a déjà reculé devant la pression des associations et collectifs LGBTI : il proposait initialement un nouveau mode d’établissement de la filiation, dérogatoire pour les seuls couples de femmes. Depuis le passage de son projet devant la commission des lois de l’Assemblée, il maintient sa proposition d’un mode distinct, mais qui porterait le même nom que le mode d’établissement utilisé par les pères non mariés : la reconnaissance. Le nom est identique, mais la procédure est différente : il y a obligation d’un acte notarié, et la femme accouchée ne serait pas automatiquement mère (ce qui revient sur l’ordonnance de 2005 qui avait uniformisé l’établissement de la filiation pour toutes les femmes en France). La justification du gouvernement est qu’il ne veut pas toucher à la filiation des couples hétérosexués et que celle-ci repose sur la vraisemblance d’un acte charnel (on peut croire, ou feindre de croire qu’un enfant ayant pour parents une femme et un homme est né de leurs relations sexuelles, alors qu’on ne peut pas le croire pour deux femmes).

L’enjeu présent, faute d’une grande loi réformant la filiation pour tous et toutes (rappelons que L’Avenir en commun propose de faire de la reconnaissance le mode d’établissement par défaut, contrairement à la situation actuelle, où il est secondaire), est de maintenir la pression pour au moins faire entrer les couples de

femmes dans le droit commun de la filiation, et de faire admettre, comme Jean-Luc Mélenchon l’a dit à l’Assemblée, «  qu’il n’y a pas de vérité biologique dans la filiation  ». Sur cette base, nous pourrons conquérir les droits restants : la filiation pour les couples de femmes (encore en couple ou séparées) ayant fait une PMA avant la loi (à l’étranger ou une PMA artisanale), la filiation des familles pluriparentales (à trois ou quatre parents), la filiation pour les familles transparentales (quand au moins un des parents est transgenre).

Le groupe FI à l’Assemblée a d’ailleurs déposé, sans succès, plusieurs amendements pour appliquer aux couples de femmes le droit commun de la filiation, pour ouvrir la PMA aux personnes transgenres, pour interdire les mutilations sexuelles pratiquées sur les enfants intersexués. Il a aussi tenté, là aussi sans succès, d’ouvrir un débat sur l’euthanasie et le suicide assisté, un des sujets absents de cette loi.

Un autre aspect important du texte concerne l’accès aux «  origines biologiques  » : il est prévu que les enfants nés d’un don après l’entrée en vigueur de la loi puissent accéder à leur majorité à l’identité du donneur, si c’est leur souhait. Jean-Luc Mélenchon a indiqué que le groupe FI était divisé à ce sujet, mais majoritairement opposé. Le don lui-même reste anonyme : on ne pourra pas choisir son don, et un donneur ne pourra pas choisir à qui il donne.

Un amendement a été adopté le 3 octobre pour faciliter la transcription des actes étrangers des enfants nés de GPA dans les pays ou États où elle est légale. La justice s’oppose en effet à la transcription complète des actes de naissance de ces enfants. Pour les couples hétérosexués, si elle accepte de transcrire le nom du père, elle refuse de le faire pour la mère, au motif que la femme qui est déclarée dans l’acte de naissance (la mère d’intention) n’a ni accouché ni adopté l’enfant, seules voies que le droit français admet pour la maternité, et qu’ainsi l’acte ne décrirait pas «  la réalité  ». Le gouvernement a indiqué vouloir faire revoter l’Assemblée sur cet amendement. De toute façon, indirectement, la réforme de la

filiation (quelle qu’elle soit au final) que va opérer la loi de bioéthique pour la compagne d’une femme qui accouche va permettre de reconnaitre qu’en droit français, on peut être mère sans avoir accouché ni adopté, et devrait ainsi permettre la transcription complète.

Au fond, et en dernière analyse, les débats actuels, que Jean-Luc Mélenchon a qualifiés de grands moments de progrès de la raison humaine, posent la question de la nature humaine : un être humain est-il avant tout fait de chair, lié à un passé généalogique et plus largement à une ethnie, ou est-il avant tout un esprit doué de volonté, qui se construit par sa contribution positive au bien commun  ?

Thomas Linard


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