Octobre 2019 : "climat insurrectionnel" dans le monde

mercredi 6 novembre 2019.
 

- 1) Liban, Chili, Hong Kong, Soudan… Pourquoi le monde est-il en train de se soulever ? France Info (entretien avec Mathilde Larrère, historienne des révolutions)
- 2) Les mouvements de contestation populaires se sont multipliés ces dernières semaines autour du monde (Le Figaro)

Hong Kong, Chili, Liban... L’ère des Révolutions citoyennes (Jean-Luc Mélenchon)

Guerre sociale et soif démocratique (Médiapart)

Liban, Haïti, Chili, Équateur, Algérie, Hong Kong, Irak, Catalogne : ça craque de partout (NPA)

1) Liban, Chili, Hong Kong, Soudan… Pourquoi le monde est-il en train de se soulever ? France Info (entretien avec Mathilde Larrère, historienne des révolutions)

Une flambée d’insurrections embrase la planète depuis plusieurs mois. Le moteur commun de ces soulèvements est la dénonciation des inégalités économiques et sociales ainsi que la perte de contrôle démocratique. Entretien avec Mathilde Larrère, historienne des révolutions.

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Notre monde est-il en ébullition ? Depuis plusieurs mois, de nombreux conflits sociaux traversent les continents, du Hirak en Algérie à la fronde à Hong Kong en passant par les "gilets jaunes" en France. La planète connaît des révoltes populaires dont les points communs sont la dénonciation des inégalités, la demande de démocratie et le rejet des élites.

L’étincelle qui déclenche la colère peut sembler dérisoire, comme la hausse du prix des tickets de métro au Chili ou la taxe sur les appels via des messageries comme WhatsApp au Liban, mais elle est révélatrice d’un malaise plus profond. Pour comprendre ces soulèvements au regard de l’histoire, franceinfo a interrogé Mathilde Larrère, maîtresse de conférences à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, spécialiste des mouvements révolutionnaires au XIXe siècle. Elle est l’autrice d’Il était une fois les révolutions (Editions du Détour).

Franceinfo : Peut-on dire qu’il existe un "climat insurrectionnel" dans le monde en ce moment ?

Mathilde Larrère : Il y a des explosions insurrectionnelles dans différents points du monde et cette simultanéité crée un climat insurrectionnel. D’autant plus que chaque insurrection fait référence aux autres et que dans chacune, les contestataires cultivent les similitudes et les symboles communs. Par exemple, lorsqu’on regarde les graffitis sur les murs, on voit clairement que les révoltes font référence les unes aux autres. J’ai vu une photo d’un graffiti à Malmö, en Suède – qui n’est pourtant pas un lieu de contestation – faire référence en caractères latins et arabes à ce qu’il se passe au Chili, au Liban, en Irak ou à Hong Kong.

On est dans ce qu’on appelle la "citation révolutionnaire", qui est du registre de la solidarité internationale, où on fait référence aux autres pays en lutte. Apprendre à Beyrouth que le peuple se soulève au Chili, puis au Chili qu’il se lève en Equateur rend aussi la contestation légitime. Et on se dit qu’elle est possible puisque d’autres le font.

Chaque nouvelle insurrection suscite des marques de solidarité avec les autres insurrections.

Autre similitude : quand on regarde les images de ces révoltes, les insurgés portent les mêmes vêtements et masques pour se protéger des forces de l’ordre et de la reconnaissance faciale, ils lancent des objets, il y a souvent du feu… Si on ne connaît pas bien chaque révolte, si l’image est peu identifiable, on peut avoir du mal à faire la différence, d’autant plus que les médias choisissent le même type de photos "iconiques" pour symboliser les révoltes.

A propos des symboles communs, des masques du Joker ont été repérés dans plusieurs manifestations.

Ce n’est pas étonnant. Ce personnage est associé à la révolte, tout comme le masque de Guy Fawkes. Et puisque ces révoltes sont portées par la classe populaire et moyenne, les manifestants vont utiliser les codes de la culture qui est la leur : la culture populaire, avec des personnages qui sont connus du continent sud-américain au Moyen-Orient.

On a moins affaire à des mouvements organisés de façon classique comme le mouvement ouvrier par exemple, donc les symboles traditionnels de la révolution – comme le poing, le drapeau rouge, la faucille et le marteau, ou le drapeau noir dans une culture politique plus anarchiste – sont moins mobilisés. Les images circulent sur les réseaux sociaux, on voit un symbole qui marche à un endroit et on le reprend par mimétisme. Il est ensuite relayé dans les médias et se retrouve à plusieurs endroits du globe. Par ailleurs, internet accélère aussi la diffusion de ces symboles. Il existe un "internationalisme du numérique".

Cette accumulation de soulèvements simultanés est-elle inédite ?

Non, ce n’est pas inédit qu’il y ait des mouvements d’embrasement dans plusieurs espaces, c’est même très classique. Sauf que cette fois, ils se produisent dans un temps très ramassé, notamment grâce aux réseaux sociaux.

De 1770 à 1790 par exemple, on a eu la révolution américaine, la révolution batave [actuels Pays-Bas], la révolution en Irlande, la révolte haïtienne dans les Caraïbes… A partir de 1810, les colonies d’Amérique latine conquièrent leur indépendance en l’espace d’une quinzaine d’années. Et puis autour des années 1820 et 1848, on a une série de révolutions dans l’Europe méridionale, au Portugal, en Espagne, à Naples… Toutes visent à renverser des monarques autocrates pour les remplacer par des monarchies constitutionnelles. La Grèce rentre en insurrection pour arracher son indépendance à l’Empire ottoman en 1821, il y a la révolution de juillet 1830 en France contre la monarchie… En 1848, le Printemps des peuples est un soulèvement quasi généralisé en Europe.

En 1917, la révolution d’Octobre aboutit à la création de l’Internationale communiste, qui doit propager la révolution dans les autres pays. Quand l’Allemagne ou la Hongrie tentent leur révolution en 1918-1919, elles font référence aux bolcheviques…

Sans oublier 1968, qui est un mouvement mondial : les révoltes explosent au Japon, au Mexique et sur tout le continent européen. En 1989, les pays du bloc soviétique d’Europe de l’Est s’effondrent, à l’instar de la Tchécoslovaquie pendant la révolution de Velours. En 2011, c’est au tour de la Tunisie, de l’Egypte et de la Libye de connaître leur Printemps arabe.

Comment expliquer le basculement vers l’insurrection ?

Il ne faut pas s’arrêter au détail du déclenchement ou de l’étincelle. A première vue, les raisons de la colère dans certains pays peuvent paraître dérisoires, mais il faut voir cela comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase. L’historien britannique Edward P. Thompson a étudié cette étincelle et l’a expliquée avec son concept d’"économie morale de la foule".

La population est prête à accepter un certain nombre de sacrifices, financiers, économiques, sociaux... Mais arrive un moment où le sacrifice supplémentaire est perçu comme inacceptable, illégitime et injuste. C’est à ce moment que se fait la rupture et la bascule.

On refuse ce nouveau sacrifice, mais aussi tout ce qui a été accepté jusqu’ici : les politiques néolibérales et leurs effets austéritaires, les écarts de fortune qui se creusent. La goutte d’eau de trop provoque le rejet du vase entier.

Il semble que l’un des points communs de ces mouvements soit la dénonciation des inégalités économiques…

Certains économistes ont montré que les politiques d’austérité choisies par certains Etats après la crise financière de 2007 pèsent encore très lourdement sur les classes populaires et les classes moyennes. Les ultrariches ne cessent de s’enrichir depuis une décennie tandis que beaucoup d’autres connaissent des processus de paupérisation. Et quand l’élite de la classe moyenne s’allie aux classes populaires, on assiste à des situations explosives. Quand il n’y a que les classes populaires, c’est plus facile à modérer, mais là, il y a une alliance. On l’a vu chez les "gilets jaunes", où la dimension interclassiste a été démontrée par des études.

Ces mouvements pointent-ils une crise de la démocratie et de la représentation ?

Il y a une véritable demande de démocratie dans ces révoltes. On assiste, à Hong Kong, en France ou encore au Liban, à l’expression de la souveraineté populaire, qui est à la base de la démocratie. Les contestataires usent de moyens d’action qui ne sont pour l’instant pas considérés comme démocratiques, puisqu’ils utilisent la violence, mais le fond de leurs demandes est profondément démocratique : ils veulent mettre fin aux politiques qu’on leur impose.

Ils rejettent le fait d’être gouvernés toujours par les mêmes familles ou par des personnes issues des mêmes classes sociales, que ce soit les mêmes qui monopolisent le pouvoir.

A Santiago (Chili), j’ai vu un graffiti qui faisait le rapprochement entre le président Sebastian Piñera et Augusto Pinochet [dictateur entre 1973 et 1990]. Ces insurrections montrent que la démocratie n’est pas à l’abri de la révolution. Elles questionnent la nature même de la démocratie et de son application.

La violence a-t-elle augmenté au cours de l’histoire ?

En France, on n’est pas au niveau de la violence politique du XIXe siècle, encore heureux ! Les révolutions du XIXe siècle que j’étudie laissent sur le pavé des centaines de morts et se concluent par des jugements massifs qui débouchent sur un grand nombre de peines de mort et de déportations. Le niveau de répression au XIXe siècle est évidemment bien supérieur.

Mais cela dépend des pays et des régimes. En ce moment, au Chili ou en Irak, on tire aussi à balles réelles. L’escalade de la violence dans plusieurs endroits s’explique aussi par la répression des forces de l’ordre. C’est leur violence qui explique le passage à l’acte. Les deux sont liés.

Le désordre est toujours coconstruit, il y a une répression d’un côté, et en réponse, des actes émeutiers de l’autre.

Quant aux tactiques de la guérilla urbaine, elles circulent depuis toujours. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, on dispose en plus des photos de ces techniques. A Hong Kong, on a repris la tactique "Be Water", qui consiste à être insaisissable pour les forces de l’ordre. C’est une tactique assez classique du bloc [les black blocs] depuis les grands sommets internationaux et altermondialistes. Elle est juste appliquée à des masses plus importantes à Hong Kong.

Les femmes sont-elles plus présentes dans ces mouvements ?

De fait, on représente davantage les femmes. Non pas forcément qu’elles soient plus présentes ; les femmes ont été présentes dans toutes les luttes. Mais elles étaient moins représentées parce qu’elles combattaient moins les armes à la main. Elles étaient à l’arrière, pour recharger les fusils, soigner les blessés, ravitailler les barricades… Mais ce qu’on représente en priorité, ce sont les combattants.

A chaque révolution, on tend à invisibiliser le rôle et la présence des femmes. On les a davantage vues au sein des "gilets jaunes" parce qu’on est sans doute plus sensibles qu’avant à leur présence et parce qu’elles ont aussi plus été en première ligne que dans les mouvements précédents, où elles étaient là, mais en retrait. Et il y a aussi eu des manifestations de femmes "gilets jaunes".

Même si toutes ces révoltes n’aboutissent pas à une victoire des contestataires, que changent-elles dans l’histoire ?

Si, après une révolte, on peut avoir des vagues contre-révolutionnaires, il n’y a plus de retour en arrière. On peut avoir cette impression, mais quand on regarde la décennie qui suit, il y a quand même des évolutions. Après les révoltes de 1848 en Europe, le système féodal et le servage ont définitivement été abandonnés. Il y a des points de non-retour. L’histoire montre qu’après-coup, des compromis et des améliorations ont lieu. Je suis optimiste.

2) Les mouvements de contestation populaires se sont multipliés ces dernières semaines autour du monde (Le Figaro)

https://www.lefigaro.fr/internation...

CHILI :

Quand ? Depuis le 18 octobre.

Quel élément déclencheur ? La hausse des tickets de métro à Santiago.

Où en est-on ? Le président conservateur Sebastian Piñera a annoncé samedi 26 octobre un vaste remaniement. Une grève générale a commencé le 23 octobre. Pour l’heure, elle est maintenue.

Quel bilan humain ? 18 morts.

LIBAN

Quand ? Depuis le 17 octobre.

Quel élément déclencheur ? Une nouvelle taxe sur les appels passés via la messagerie WhatsApp.

Où en est-on ? Le gouvernement de Saad Hariri a rapidement annulé la mesure et annoncé des réformes économiques d’urgence. Mais le mouvement de contestation, réclamant le départ de l’ensemble de la classe politique, continue de grandir du nord au sud du pays, provoquant sa quasi-paralysie.

Quel bilan humain ? Manifestations pacifiques, émaillées de quelques heurts.

EQUATEUR

Quand ? 1-13 octobre.

Quel élément déclencheur ? La hausse du prix des carburants.

Où en est-on ? Après 12 jours de manifestations, un accord a été conclu entre le mouvement indigène, fer de lance de la contestation, et le président Lenin Moreno, qui a retiré le décret controversé.

Quel bilan humain ? Huit morts et 1340 blessés.

CATALOGNE

Des émeutes ont démarré le 14 octobre, immédiatement après la condamnation de neuf dirigeants séparatistes à de lourdes peines de prison. En six jours, près de 600 personnes ont été blessées et plus de 200 interpellations ont eu lieu. De nouvelles manifestations doivent avoir lieu ce week-end à Barcelone.

ETHIOPIE

Quand ? Depuis le 23 octobre.

Quel élément déclencheur ? Des centaines de manifestants sont descendus dans la rue pour manifester contre le premier ministre et récent prix Nobel de la paix, Abiy Ahmed, accusé par l’opposant Jawar Mohammed de préparer une attaque contre lui.

Où en est-on ? Les violences ont d’abord éclaté dans la capitale, Addis Abeba, avant de se répandre dans la région d’Oromia. A l’origine dirigées contre Abiy Ahmed, elles se sont ensuite transformées en affrontements ethniques.

Quel bilan humain ? 67 morts

GUINEE

Quand ? Depuis le 7 octobre.

Quel élément déclencheur ? Le projet prêté au président sortant Alpha Condé, 81 ans, de briguer sa propre succession en 2020 et de changer à cette fin la Constitution.

Où en est-on ? Les manifestations rassemblant des milliers de Guinéens se succèdent à l’appel du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), coalition de partis d’opposition, de syndicats et de membres de la société civile.

Quel bilan humain ? Une dizaine de morts.

IRAK :

Quand ? Depuis le 1er octobre.

Quel élément déclencheur ? Appels spontanés sur les réseaux sociaux pour réclamer du travail et des services publics fonctionnels.

Où en est-on ? Après une semaine de contestation violemment réprimée, le gouvernement a annoncé des mesures sociales, mais aucune réforme en profondeur. La rue veut, elle, une nouvelle Constitution et un renouvellement total de la classe politique. Vendredi, la contestation a repris, avec une nouvelle flambée de violences, attisée par le leader chiite Moqtada Sadr.

Quel bilan humain ? Plus de 150 morts la première semaine. Plus de 40 morts pour la seule journée de vendredi.

HONG KONG :

un mouvement de contestation est né le 9 juin 2019, enclenché par un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine continentale. Les manifestations et actions quasi-quotidiennes, rassemblant jusqu’à deux millions de personnes dans ce territoire de 7,3 millions d’habitants, ont plongé l’ex-colonie britannique dans sa pire crise politique depuis la rétrocession en 1997. Le projet a été suspendu début septembre mais les revendications se sont élargies à la dénonciation du recul des libertés et des ingérences grandissantes de Pékin dans les affaires de sa région semi-autonome. Initialement pacifiques, les manifestations ont dégénéré en violents heurts entre militants et forces de l’ordre. De nombreux militants pro-démocratie ont été attaqués par des partisans du pouvoir de Pékin.

ALGERIE

La décision du président Abdelaziz Bouteflika de briguer un 5e mandat a provoqué une vague de manifestations pacifiques le 22 février. Abdelaziz Bouteflika a démissionné début avril, mais les manifestations ont continué, réclamant le départ de l’ensemble de l’appareil politique. Le « Hirak » (mouvement) rejette la tenue d’une élection présidentielle, annoncée le 12 décembre par le pouvoir intérimaire, n’y voyant qu’un moyen pour le « système » de se maintenir au pouvoir.


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