Rénovons, refondons, mais autrement ( Clémentine Autain et Roger Martelli )

lundi 16 juillet 2007.
 

Le nouveau must de la politique française, surtout à gauche, est la rénovation ou la refondation. Si les socialistes n’ont pas réussi, c’est parce qu’ils ont manqué leur aggiornamento. La faute incombe aux ringards, à ceux qui n’ont pas su “ décomplexer ” la gauche en l’ouvrant vers le centre, vers les modèles britannique ou italien. Étonnant travail d’appropriation du vocabulaire, légitimé par les “ grands penseurs ”, relayé par les médias. Quiconque ose expliquer que les fondamentaux de la gauche sont un socle nécessaire de toute reconstruction est irrémédiablement rangé au rayon des vieilles barbes.

L’avenir est à la “ sortie de l’affrontement bloc contre bloc ”, nous expliquent en cœur Bayrou et Royal. Mais qui a donc gagné l’élection ? Un tenant de la droite molle ? Au contraire : pendant des années Sarkozy a cultivé tranquillement le terrain d’une droite fière d’elle-même, mobilisant l’électorat, notamment populaire, non pas aux marges mais au centre de l’idéologie d’une véritable “ contre-révolution libérale ”. Et c’est au moment où triomphe le héraut libéral autoritaire que l’on nous explique qu’il faut “ décomplexer ” la gauche en la portant... vers sa droite !

Ne nous laissons pas avoir. La gauche sociale-libérale ? On l’a déjà tentée, en Angleterre, en Allemagne ou en Italie. Si elle peut être séduisante un moment pour conjurer la droite dure, elle est porteuse de lourdes déceptions, propices à réactiver une droite encore plus rude qu’elle ne l’était auparavant. Cette orientation ne permet pas de changer en profondeur les conditions de vie du plus grand nombre et donc de gagner, massivement et durablement, les catégories populaires et les jeunes. C’est au cœur des cultures politiques, à droite comme à gauche, que les joutes électorales se perdent ou se gagnent ; pas aux franges incertaines des familles politiques.

Ce n’est pas surprenant, à un moment où la politique se remet à passionner et où les débats structurants portent sur le fond des projets de société. À partir de quoi construit-on du lien social et de l’efficacité ? Sur ce terrain-là, impossible de s’en tenir à des faux-fuyants. Comment peut-on nous faire croire que l’adaptation au marché est “ moderne ” quand la concurrence libre et non faussée produit tant de désastres humains et écologiques, de gabegie et de désordre social ! Comment parler d’ordre juste dans un système qui, par essence inégalitaire, déchire la société et oppose les individus les uns aux autres ? Le réalisme n’est pas dans l’acceptation de la norme de l’économie libérale, mais dans sa contestation et dans la recherche patiente et sans verbiage de son dépassement. La modernité n’est pas du côté d’une gauche qui renonce à être elle-même sur le fond, mais du côté d’une gauche bien dans ses baskets, sûre et fière d’elle-même.

Mais il est vrai, en même temps, que cette gauche assumée et “ décomplexée ” par sa gauche a besoin de balayer devant sa porte. Le temps n’est plus au yo-yo entre le renoncement et la conservation, l’abandon des principes ou l’enkystement dans les vieilles formes.

Une gauche ambitieuse est une gauche qui ne renonce pas aux nécessaires ruptures, mais qui en repense de façon neuve les cohérences.

Une gauche qui respecte son histoire et ses valeurs, mais qui n’hésite pas quand il le faut à bousculer ses habitudes, ses instruments de pensée critique, ses façons d’être même, et qui porte le renouvellement générationnel et culturel.

Une gauche qui parle de la question sociale mais qui apporte des réponses sur tous les terrains, des droits humains à la démocratie, en passant par l’école, la culture ou les enjeux urbains.

Une gauche qui ne confond plus tous égaux et tous les mêmes, la force de la solidarité et la dilution de l’individu dans le collectif, la passion de la mise en commun et la soumission à l’étatisme, la promotion du public et la fascination de l’administratif, les vertus de l’efficacité productive et le productivisme.

Si les classes populaires, les nouvelles générations, les milieux culturels, les intellectuels critiques ne se sentent plus portés par une dynamique de la gauche de transformation sociale, c’est parce que s’est construite, d’impasse soviétique en renoncements sociaux-démocrates, la démoralisation qui leur a fait perdre confiance dans les “ lendemains qui chantent ”. Mais c’est aussi pour une part parce que nous, les tenants obstinés de la transformation sociale, nous restons en panne. Et ce n’est pas qu’une question d’ego, de mécano stratégique ou de boutiques. C’est un enjeu de fond. Pour quoi nous battons-nous ? Pas seulement, en contre, pas seulement pour défendre des acquis, mais au nom d’une société différente, reposant sur d’autres valeurs, d’autres critères, d’autres manières de “ faire société ” que celles de la mondialisation libérale et du chacun pour soi.

Ou bien nous sommes capables de développer un projet cohérent, transformateur, tracé en positif, qui construise à partir des valeurs d’égalité, d’émancipation, de mise en commun, des réponses neuves , adaptées au monde contemporain, de façon critique pour sa propre histoire et pas seulement pour celle du capital ; ou bien nous nous engluons dans nos réflexes idéologiques et nos vieilles routines et laissons à d’autres les attributs de la rénovation. Or si le mouvement ouvrier fut expansif, jusque dans les années soixante, c’est parce qu’il sut à sa manière incarner une certaine vision de la modernité, alternative à celle du marché libre du capital en expansion.

Soyons sans complexes. Assumons notre histoire. Sachons en être fiers ; sachons donc la transformer.

Clémentine Autain (élue à Paris) et Roger Martelli (membre du PCF) sont co-directeurs du mensuel Regards.


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