Ouighours, Hong Kong : La Chine veut imposer sa vision des droits de l’homme

lundi 2 décembre 2019.
 

Critiqué pour la féroce répression contre les Ouïgours et à Hongkong, Pékin défend sa gouvernance autoritaire, seule à même de combattre « la pauvreté ».

En moins d’une semaine, la Chine vient à nouveau d’être accusée par les Occidentaux de graves manquements aux droits de l’homme, tant dans la province autonome du Xinjiang qu’à Hongkong. Samedi 16 novembre, le New York Times a publié 403 pages de documents internes au Parti communiste chinois [1] fournissant des éléments jusqu’alors inconnus sur la politique d’internement massif des Ouïgours depuis 2017. On y apprend notamment que le président Xi Jinping – qui s’exprime très peu en public sur ce sujet – a donné l’ordre dès 2014 aux responsables locaux d’être « beaucoup plus durs » et même « absolument sans pitié ». Le chef sera écouté. A partir de 2017, entre 1 et 3 millions de Ouïghours seront « rééduqués dans des camps de travail », disent les Chinois, « internés dans des camps de concentration », disent les Occidentaux.

Deuxième dossier : Hongkong. Face à la répression menée par les forces de l’ordre contre les manifestants et l’implication de plus en plus évidente de Pékin dans la gestion de la crise que connaît cette région administrative spéciale, les Etats-Unis s’interrogent. Hongkong est-elle encore une enclave démocratique qui justifie d’être traitée différemment du reste de la Chine par l’administration américaine ? Actuellement, Hongkong, membre de l’Organisation mondiale du commerce, n’est pas concernée par les droits de douane que les Etats-Unis imposent à la Chine. Le Sénat et la Chambre des représentants se sont mis d’accord mercredi 20 novembre sur une résolution « sur les droits humains et la démocratie à Hongkong » que le président américain doit désormais ratifier [2].

Même si elle continue de craindre les sanctions économiques et diplomatiques occidentales, la Chine ne se contente plus d’être sur la défensive

Si Donald Trump promulgue cette loi, le maintien du statut spécial accordé à Hongkong sera conditionné à un examen annuel, par l’administration américaine, du degré réel d’autonomie dont disposent les autorités locales. Ce texte répond à une demande explicite des manifestants de Hongkong. Par ailleurs, un employé hongkongais du consulat britannique à Hongkong, qui avait été arrêté en août par la police chinoise lors d’un déplacement à Shenzhen, a révélé mercredi 20 novembre avoir été enchaîné, battu et privé de sommeil durant les quinze jours de sa détention. Des actes « assimilables à de la torture » selon Dominic Raab, le ministre des affaires étrangères britannique, qui a convoqué l’ambassadeur chinois à Londres pour lui faire part de son « indignation ».

Ces accusations sont d’autant plus graves qu’elles ne constituent, aux yeux des Occidentaux, que la partie émergée de l’iceberg. La Chine ne respecte ni la liberté d’expression ni la liberté religieuse, et la notion de séparation des pouvoirs lui est totalement étrangère. Pourtant, même si elle continue de craindre les sanctions économiques et diplomatiques occidentales, la Chine ne se contente plus d’être sur la défensive. Au-delà de la réponse classique – vous n’avez pas à intervenir dans nos affaires intérieures et vos critiques partisanes ne visent qu’à affaiblir la Chine, Pékin est désormais passé à l’offensive. Les droits de l’homme ? « Soixante-dix ans de progrès », résume fièrement un Livre blanc publié fin septembre par le gouvernement chinois à l’occasion des célébrations du 70e anniversaire de la Révolution.

Rythme de croissance sans précédent

Grâce au Parti communiste, la Chine a, après un siècle d’humiliation, d’occupation et de société « mi-capitaliste et mi-féodale », enfin connu la stabilité et le développement, explique ce document. On y chercherait en vain la moindre référence aux dizaines de millions de victimes du maoïsme provoquées par l’échec majeur du Grand Bond en avant (un programme de réformes mené de 1958 à 1961), puis la folie de la Révolution culturelle. Le Parti communiste dispose d’un argument massue face à tous ceux qui l’accusent de ne pas respecter les droits de l’homme : grâce à lui, 800 millions de personnes sont sorties de la pauvreté ces dernières décennies. On peut contester le chiffre mais il n’en reste pas moins évident que depuis quarante ans la Chine a connu un rythme de croissance sans précédent permettant à des centaines de millions de personnes de vivre décemment. Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Aucune force ne peut entraver le progrès du peuple chinois et de la nation chinoise »

En 1978, les Chinois étaient, en moyenne, plus pauvres que les Indiens. Aujourd’hui, ils sont quatre fois plus riches. Là où les Occidentaux parlent de démocratie et de droits individuels, la Chine répond développement économique et droits collectifs. « Il n’y a pas de modèle universellement applicable », rappelle le Livre blanc, avant de préciser que « la pauvreté est le plus grand obstacle aux droits humains ». Or, comme il ne saurait y avoir de développement sans stabilité et que seul le Parti communiste est en mesure d’assurer celle-ci, « le leadership du Parti est la garantie fondamentale pour les Chinois d’avoir accès aux droits de l’homme et de profiter pleinement de davantage de droits humains ». CQFD. Tout le reste en découle.

Même au Xinjiang où, selon Pékin, la politique menée a permis de mettre fin aux attentats. Si on ne peut exclure une part d’hypocrisie dans ce discours, force est de constater que l’argument porte. En Chine, mais aussi au-delà des frontières. Il explique en partie le silence assourdissant des pays musulmans sur la situation au Xinjiang. Si la puissance de la Chine effraie, son succès fait des émules. Lors de son entretien à l’hebdomadaire britannique The Economist, le 7 novembre, Emmanuel Macron l’a reconnu [3] : le modèle chinois axé sur un développement autoritaire n’est sans doute pas durable, mais qui peut affirmer aujourd’hui que le modèle prôné par les démocraties libérales l’est davantage ? A travers les « nouvelles routes de la soie », ce colossal programme d’investissements chinois autour du globe, Pékin veut certes favoriser ses industries mais aussi sa vision du développement et des droits de l’homme. En apparence sur la défensive, la Chine continue d’avancer ses pions.

Frédéric Lemaître (Pékin, correspondant)

NOTES

[1] https://www.nytimes.com/interactive...

[2] https://www.lemonde.fr/internationa...

[3] https://www.lemonde.fr/internationa...


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