LREM et 5 décembre : Je pleurniche, tu pleurniches, nous pleurnichons

vendredi 6 décembre 2019.
 

Alors que la mobilisation du 5 décembre contre la réforme des retraites s’annonce forte, l’exécutif et sa majorité n’ont qu’un seul contre-argument : « Cessez de vous plaindre, bande de privilégiés ».

Les Français sont des imbéciles. Certes, c’est une traduction légèrement exagérée du langage macronien mais c’est tout de même en substance ce qu’a voulu dire le président de la République lors de sa conférence de presse vendredi dernier, dans la Somme : « Le Premier ministre a donné un calendrier. Le gouvernement est en train de mettre en œuvre la réforme. Vous constaterez avec moi que, le 5 décembre est quelque chose d’étrange : parce qu’au fond, vous êtes en train de me dire qu’il va y avoir une mobilisation massive contre une réforme dont on ne connaît pas les termes exacts. Ce qui est vrai. » Comprendre : pourquoi manifester alors que vous ne connaissez même pas le contenu de la réforme ? Idiots que vous êtes. Nous sommes. Pourtant, quelques mots plus loin, dans la même intervention, le Président ajoute : « Cette mobilisation est avant tout la mobilisation de salariés d’entreprises qui relèvent des régimes spéciaux. Donc c’est une mobilisation contre la fin des régimes spéciaux. Mais c’est l’engagement que j’ai pris devant les Français. »

Pour un projet de réforme « dont on ne connaît pas encore les contours », voilà pourtant un premier élément qui mérite d’être souligné tant il semble acquis à cette réforme : la remise en cause des régimes spéciaux. Ça tombe bien puisque c’est l’une des raisons de la mobilisation du 5 décembre prochain. Mais pour tordre le bras à ses défenseurs – des régimes spéciaux –, la majorité voudrait faire croire qu’il ne s’agirait là que d’une revendication conservatrice de quelques « privilégiés ». Et de parier sur la division. D’ailleurs, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, l’affirme et l’assume : « Les Français doivent réaliser que ces syndicats défendent des régimes spéciaux extrêmement déficitaires payés par nos impôts et qui ont des revendications très corporatistes », a-t-elle lancé au micro de France Info le 21 novembre dernier. Et son collègue du Palais Bourbon, Richard Ferrand, de l’aider dans ce sens : « Le 5 décembre, c’est une mobilisation pour conserver les inégalités que nous ne pouvons ni ne voulons assumer » (JDD, le 24 novembre). Encore une fois, pour un projet qui n’est pas arbitré, ils sont nombreux à assurer que ce point-là, qui fâche les syndicats et plus encore, semble bel et bien arbitré. Rappel : les régimes spéciaux touchent 3% des retraités.

Ainsi la mobilisation ne serait pas légitime parce qu’on ne connaîtrait pas encore le contenu de la réforme des retraites, disais-je. Ou plutôt disaient-ils. Voyons voir… Pour Emmanuel Macron : « Il faudra travailler plus longtemps, car on vit plus longtemps ». Pour Edouard Philippe : « Il faut dire aux Français que nous allons travailler plus longtemps ». Pour Agnès Buzyn : « À un moment, il faut dire la vérité aux gens. On va vivre plus longtemps, il y aura de moins en moins d’actifs car le nombre de naissances baisse. Il va nous falloir un jour travailler plus pour payer tout ce que nous avons à payer. » Quant à Jean-Paul Delevoye, il entend inciter « au prolongement de l’activité » avec un « âge d’équilibre ». Voilà bien un deuxième point, après la fin des régimes spéciaux, qui semble désormais acté dans le projet de réforme sur les retraites : nous travaillerons plus longtemps. Et ça n’est pas le Medef qui dira le contraire. Pour le patron des patrons, Geoffroy Roux de Bézieux : « Régime universel ou pas, il faudra travailler plus longtemps ». Pourtant, pour un projet de réforme dont on ne connaît pas les contours, il s’agit là d’une décision qui a plus d’une raison de cliver. « Ne soyons pas pleurnichards »

Enfin, troisième élément : la retraite par point. Ça n’est un secret pour personne que le projet de réforme des retraites – dont on nous dit (au cas où vous n’auriez pas compris) qu’on ne connaît pas encore le contenu et donc « on ne comprend pas pourquoi les Français se mobiliseraient le 5 décembre prochain » – repose sur le principe d’une retraite par point où chaque euro cotisé rapporterait la même chose à chacun. Si la CFDT y est favorable depuis les années 90, la plupart des organisations syndicales y sont opposées. Pour plusieurs raisons : parce qu’elle individualise le système de retraites quand il reposait jusque-là sur le principe de la solidarité nationale. Parce que nul ne sait comment et qui décidera de la valeur du point et de son évolution. Et enfin que personne ne sera en capacité d’anticiper le montant de sa pension de retraite.

En réalité, si on ne connaît pas les détails de la réforme – ni les arbitrages s’agissant notamment de la fameuse clause du grand-père (carte sur laquelle va sans doute jouer le gouvernement pour ramener à lui la CFDT) –, les grandes lignes sont connues de tous. Et c’est bien la raison de la grogne. Parce qu’il ne s’agit pas d’une réformette. Il s’agit d’une contre-réforme structurante. Qui rompt avec l’histoire sociale de notre pays. De nos grands acquis. Et nos principes. « Ne soyons pas pleurnichards », a lancé hier le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, dans le JDD. Après les transports, la fonction publique parmi lesquels les enseignants ou les personnels soignants, les électriciens, les personnels de justice, les pompiers, la police, les agriculteurs, les routiers, les étudiants, ils vont être nombreux à pleurnicher alors, le 5 décembre.

Pierre Jacquemain


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